Quand un milliardaire québécois convoite le bien commun du Québec

La Dépossession tranquille



Richard Le Hir, Desmarais. La dépossession tranquille, essai, Michel Brûlé, 2012.
Tous les milliardaires sont des êtres humains. C’est une évidence.
On pourra répéter à l’envi, un peu à la manière de Foglia, dans son papier du 9 juin, que Paul Desmarais a un grand cœur, qu’il s’intéresse même à certains livres (Il y a trop d’images, de Bernard Émond, que le chroniqueur, bon samaritain, considérant le dit livre «trop marxiste», soucieux des bonnes lectures de son patron, aura tôt fait de remplacer par Chaque jour est un adieu d’Alain Rémond), ou qu’il a le profil d’un papy inoffensif et consciencieux.
Mais après avoir lu l’essai de Richard Le Hir sur l’homme, il serait pour le moins naïf de ne considérer le personnage que sous ces traits de caractère anodins.
Le Hir, qui a œuvré longtemps dans le monde des affaires, ex-ministre du gouvernement Parizeau en 1994-1995, n’a pas le parcours d’un activiste excité ni d’un opposant radical à l’économie capitaliste. Mais son observation du milieu des affaires, depuis quelques années, et son analyse des dérives du capitalisme financier l’ont incité à prendre position publiquement, entre autres dans Le Devoir et La Presse, le 31 octobre 2009, en réagissant à la tentative d’achat d’Énergie Nouveau-Brunswick par Hydro-Québec.
Connaissant bien le dossier d’Hydro-Québec, ayant lui-même pris parti à l’époque pour une privatisation à hauteur de 10% (s’étant ravisé depuis) de ce «navire amiral de l’économie québécoise» comme le nommait René Lévesque, l’auteur était tout indiqué pour critiquer les visées de cette transaction. Ce qu’il devine se profiler à l’horizon d’une telle tentative d’achat d’Énergie NB est une éventuelle privatisation complète d’Hydro-Québec 1.
Derrière ce coup du gouvernement Charest, Le Hir y voit les intérêts des Desmarais.
L’auteur voit d’ailleurs en fait à l’œuvre la main et l’œil de Power Corporation un peu partout dans les grandes décisions politico-économiques québécoises des quarante dernières années. Il nous présente l’entreprise des Desmarais comme une espèce de toile d’influences, de longs tentacules d’intérêts financiers qui plongent profondément dans la plupart des appareils politiques au provincial, au fédéral tout comme à l’international. Ces jeux financiers, cette longue partie d’échecs avec les pouvoirs en place pour faire fructifier leur capital ne peuvent que fasciner le lecteur friand des coulisses du pouvoir, à l’affût des multiples tractations financières qui fondent les empires et garantissent l’ultra richesse à une oligarchie sournoise. Seigneurs industrialo-financiers qui bénéficient de la façade de la démocratie, de ce théâtre du «pouvoir du peuple» pour réorganiser eux-mêmes les règles, en sous-main, derrière les rideaux, à l’abri des yeux du citoyen vigilant. Réel gouvernement derrière le gouvernement, mettant eux-mêmes en scènes les carrières politiques des gens qui les serviront, que ce soit celle de Jean Charest au Québec ou celle de Nicolas Sarkozy en France.
Power Corporation a placé ses pions un peu partout, dans les conseils d’administration de compagnies affiliées, directement dans l’arène politique ou sur des comités d’organismes gouvernementaux. Une longue suite de politiciens canadiens, québécois et français sont associés de diverses manières à la famille Desmarais ou à Power Corporation, pensons seulement à Lucien Bouchard, Jean Charest, Jean Chrétien, Pierre-Marc Johnson, Daniel Johnson fils, Daniel Johnson père, Nicolas Sarkozy, Georges Bush, Paul Martin, tout le groupe des lucides, avec Joseph Facal et François Legault.
À cet égard, personne n’est plus dupe des opinions télégraphiées de Lucien Bouchard, président de l’APGQ (Association des pétrolières et gazières du Québec), qui défend au détriment des restants de sa crédibilité politique, les intérêts avoués de certaines filières de Power Corporation dans le développement des projets pétroliers et gaziers sur le territoire Québécois, que ce soit par l’entremise de Talisman, Petrolia ou Junex.
En grande partie constitué de la réunion de ses papiers publiés sur le site Vigile.net, cet essai de Richard Le Hir dresse un portrait alarmant de la situation de la démocratie au Québec. L’auteur verse par moment dans la théorie du complot et brandit la menace du nouvel ordre mondial mais ses élucubrations momentanées n’enlèvent rien aux questions pertinentes qu’il pose, dans la mesure où la grande majorité des informations sur lesquelles il base ses dires proviennent de recherches crédibles et de sources sérieuses. Quand les décisions politiques qui influencent l’avenir d’un peuple sont prises dans les officines de bureaux d’ingénieurs intéressés ou dans les conseils d’administration de compagnies qui souhaitent privatiser les profits et pelleter les coûts d’exploitation aux générations futures, sous le couvert de mesures d’austérité sociale et économique, on peut sérieusement se poser des questions sur la réelle légitimité démocratique du gouvernement de Jean Charest.
Portraiturés dans ce livre choquant comme des gens tenaces, ambitieux, et, à la limite, mégalomaniaques, les Desmarais n’ont pas fini de susciter la controverse.
À l’aube de grands enjeux économiques liés à la protection et à la sauvegarde de notre patrimoine écologique, de notre eau, de la richesse en minerais et en hydrocarbure de notre sol, un tel essai nous rappelle combien nous perdrions à ne pas entreprendre un combat politique conséquent pour nous réapproprier tous ces trésors naturels québécois.
Notes et références
L’article 92 de la constitution canadienne de 1867, repris en 1982, reconnaît qu’une entreprise provinciale qui sort de ses frontières, qui passe alors sous la coupe de l’Office national de l’énergie du Canada, s’expose à être déclarée à l’avantage du Canada. Les lois du Québec ne s’appliquant plus, la porte devient alors ouverte pour une éventuelle vente à des intérêts privés de ce joyau national. Manœuvre légale possible, corroborée et authentifiée par l’avocat André Braën dans une lettre au Devoir du 20 novembre 2009. ↩


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