Que les Plaines soient rendues au Québec

1759-2009: récupérons les Plaines


Il fallait lamentablement sous-estimer les Québécois pour leur concocter une reconstitution de la bataille des «hauteurs d'Abraham» avec l'assurance qu'ils n'y verraient qu'un spectacle coloré et distrayant, de nature à allonger les célébrations du 400e anniversaire de fondation de Québec. Double erreur de jugement: d'abord, celle des administrateurs des Plaines, irrésistiblement soucieux de promouvoir «notre bon Canada»; puis, celle de leurs maîtres d'Ottawa qui croient les Québécois dépourvus de mémoire collective. Le président de la Commission des champs de bataille a confessé qu'il avait mal mesuré la sensibilité de la population. En fait, c'est à la dignité des Québécois qu'il faisait injure. On ne joue pourtant pas impunément avec les mythes fondateurs des peuples: la bataille des plaines d'Abraham du 13 septembre 1759 est un des moments les plus douloureux de l'histoire nationale des Québécois; s'il faut inlassablement en rappeler le souvenir pour comprendre qui nous sommes, on ne peut en faire l'objet d'un spectacle ou d'un bal, fût-il masqué. À moins de vouloir provoquer.
En tout état de cause, la gaffe de la Commission des champs de bataille ravive des questions d'un autre ordre. Pourquoi les plaines d'Abraham sont-elles la propriété du gouvernement du Canada? Pourquoi n'entreraient-elles pas dans le patrimoine historique et paysager de la capitale nationale des Québécois?
Un cadeau d'anniversaire
On se rappelle que le Parc des champs de bataille a été créé en 1908, à l'occasion du 300e anniversaire de la fondation de Québec. Le gouvernement de Wilfrid Laurier, qui était aux commandes des célébrations (eh oui!), aurait voulu que l'inauguration du pont de Québec fût au coeur de la fête. Hélas, une section du pont s'était effondrée en août 1907 et c'est ainsi que prit forme l'idée de transformer les Cove Fields, qui avaient abrité les casernes de la garnison anglaise jusqu'en 1871, en parc à vocation urbaine et historique. C'était le cadeau du Canada à la ville tricentenaire, bien que les coûts d'acquisition à la Défense nationale nécessitèrent des contributions substantielles des gouvernements québécois et ontarien.
Pourquoi le gouvernement fédéral n'a-t-il pas du coup cédé le site à la Ville de Québec ou encore au gouvernement du Québec? N'eût-il pas été dans l'ordre des choses que l'aménagement et l'administration d'un parc urbain, dans une ville autre que la capitale fédérale, soient du ressort de l'administration municipale ou du gouvernement de la «province» concernée? Il faut croire que le gouvernement du Canada opta pour la meilleure visibilité fédérale dans la capitale de la province de Québec.
Cent ans après, ces questions refont surface. D'autant plus que, au cours du XXe siècle, la présence du gouvernement du Canada à Québec a pris une proportion stupéfiante (40 % du territoire de la ville fortifiée et de ses alentours est propriété fédérale, au point où même une portion de la place de l'Assemblée nationale est localisée en terre fédérale). Le Canada compte à Québec de nombreux parcs, une citadelle et sept kilomètres de fortifications, des sites et monuments historiques à profusion, sans compter un éparpillement d'édifices administratifs -- et j'en passe. Ces actifs fédéraux font partie du paysage urbain de la capitale nationale du Québec, en même temps qu'ils servent de vitrines franchement immodestes à l'unifolié et rappellent, à la faveur d'une approche subliminale, notre indéfectible besoin du Canada protecteur.
Pour l'heure, ce qui nous intéresse, c'est l'avenir du Parc des champs de bataille, le plus beau parc urbain au coeur de la capitale nationale de la nation québécoise, à deux pas de l'Assemblée nationale du Québec et à la frange de la colline parlementaire (dont il ne fait pas légalement partie parce que les propriétés fédérales ne sont assujetties ni au droit des provinces ni à la planification urbaine des villes). Dans ses propres publications, la Commission des champs de bataille soutient à juste titre que les plaines d'Abraham sont à Québec ce que Central Park est à New York et Hyde Park à Londres. On imagine mal que les gouvernements américain et anglais, fût-ce par agences interposées, administrent ces deux espaces publics. Que fait donc le gouvernement du Canada dans la cour du Québec avec cette Commission des champs de bataille? Faut-il qu'à l'humiliante défaite de 1759 s'ajoute, en se perpétuant, l'humiliante sujétion au gouvernement du Canada pour tondre la pelouse, jardiner les platebandes et raconter à nos enfants et aux visiteurs l'histoire qui est la nôtre?
Le patrimoine de la capitale nationale
Mais qui donc prendrait la relève de la Commission des champs de bataille? Devenu propriétaire au nom de tous les Québécois, le gouvernement du Québec pourrait placer le parc sous l'autorité de la Commission de la capitale nationale du Québec, ce qui permettrait notamment de faire l'économie d'un doublon administratif comme le fédéralisme canadien en génère tant. Créée en 1995, cette commission s'est fait remarquer par la conduite de projets imposants, dont le réaménagement de la place de l'Assemblée nationale et l'aménagement de la promenade Samuel de Champlain, et ce, en partenariat avec la Ville de Québec. La haute qualité de ses interventions et son expertise dans l'aménagement et l'exploitation de l'espace public sont gages de réussite. Sous la conduite de la CCNQ, les Plaines seraient ainsi entre bonnes mains pour le prochain siècle.
Il n'y a plus de bonne raison, en 2009, de contenir les Plaines dans une enclave fédérale, à moins que l'on tolère une domination fédérale inappropriée dans ce Québec moderne qui est le nôtre. Nos gouvernants ne sont-ils pas capables de gestes marqués au sceau de l'honneur? Honneur pour le gouvernement du Canada de restituer au Québec son butin, c'est-à-dire les terrains qu'on lui a pris après la défaite de 1759. Honneur pour le gouvernement du Québec de restaurer l'intégrité du territoire de la capitale nationale en incorporant dans les limites de la colline parlementaire 108 hectares de terrains stratégiques qui, jusqu'alors, lui échappaient. Certes, tout cela ne peut être fait sérieusement sans arrangements financiers entre gouvernements. Considérons les choses dans l'ordre! Pour l'heure, la dignité d'un peuple doit primer sur la comptabilité publique.
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Pierre Boucher, Ex-président et directeur général de la Commission de la capitale nationale du Québec

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