Déjà aux prises avec des compressions sans précédent, les hôpitaux doivent assumer un nouveau manque à gagner supplémentaire allant de 45 à 64 millions pour payer le personnel et le fonctionnement des établissements sur une journée de plus en raison de l’année bissextile, une dépense qui, contrairement aux années bissextiles précédentes, ne sera pas assumée par Québec.
« Habituellement, effectivement, il y a un budget supplémentaire qui est donné [aux établissements lors des années bissextiles] qui ne sera pas donné cette année, confirme la porte-parole du ministère de la Santé, Marie-Claude Lacasse. Comme le budget ne sera pas augmenté cette année, il faut [que les établissements fassent] un effort équivalent. Où ça va être pris ? C’est à chaque établissement, à chaque région de faire cet exercice-là. Ils peuvent répartir cette mesure sur toute l’année. Il faut vraiment le voir comme un tout dans les mesures d’optimisation et de gains d’effectivité administratifs. »
Joanne Beauvais, l’attachée de presse du ministre de la Santé, confirme qu’il s’agit d’une « mesure d’économie » qui a été approuvée par le ministre Gaétan Barrette. La veille, elle affirmait au journal The Gazette que le fait de ne pas financer l’année bissextile allait engendrer des économies de 64 millions. En entrevue au Devoir mercredi, elle soutenait que c’était plutôt des économies de 45 millions qui étaient demandées aux établissements, mais que cela pourrait s’élever à 64 millions. Au final, selon elle, ce n’est pas tant une compression qu’une « opération comptable virtuelle » qui consiste à répartir le budget annuel sur 366 jours plutôt que sur 365.
Impacts sur les établissements
Mais pour les établissements de santé, les coûts pour une journée supplémentaire n’ont rien de virtuel. Le salaire des employés et les autres coûts d’entretien liés à l’ajout d’une journée sont bien réels et s’ajoutent à des compressions déjà très importantes pour l’exercice financier 2015-2016.
Au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), on parle d’un coût additionnel de 2,5 millions par jour. « Cela complique la gestion parce que c’est une nouvelle coupe qui était inattendue, nous sommes un peu surpris », soutient une source qui souhaite garder l’anonymat.
Au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), les coûts associés à l’ajout de la journée du 29 février sont estimés à 1,7 million de dollars. « On ne l’a pas vu comme 1,7 million, on l’a pris dans l’ensemble des mesures, on avait un plan à développer sur l’ensemble des activités pour atteindre les objectifs gouvernementaux et ça faisait partie de ça », explique la porte-parole de l’établissement, Joëlle Lachapelle. Cette dernière tente de se faire rassurante : « Le 29 février prochain, l’hôpital n’arrêtera pas de tourner, c’est vraiment [réparti] sur le budget global du CHUM. »
Au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie-Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), ces nouvelles « dépenses non récurrentes à assumer » obligent la direction à changer ses plans. « Le fait d’avoir une journée de plus ainsi qu’exceptionnellement deux jours fériés supplémentaires en 2016 occasionne des dépenses d’environ 8 millions, écrit la direction dans un communiqué de presse diffusé au début du mois sur les mesures d’optimisation. Nous reporterons, par exemple, certains projets qui ne sont pas encore engagés et qui n’auront pas d’impacts à court terme, à une autre année afin de faire face à ces dépenses exceptionnelles et non récurrentes. »
D’autres, comme le Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent, ont plutôt choisi d’aller chercher l’argent ailleurs. « On a pris l’argent de nos crédits régionaux pour cette journée-là, explique la responsable des communications, Lise Chabot. C’était une aide qui était non récurrente pour cette année, donc c’est juste un transfert budgétaire pour aider nos établissements. »
Impacts sur les soins
Si tous les porte-parole officiels et représentants du ministère de la Santé répètent que les services et soins aux usagers ne seront pas affectés, le président de l’Association des gestionnaires des établissements de santé (AGESSS), Yves Bolduc, est convaincu du contraire. « Dans un contexte où les gestionnaires du réseau comptent les sous un par un, c’est inévitable qu’on va attaquer les services. C’est 64 millions de moins de services qu’il y aura dans le réseau de la santé, pour moi, ça ne peut pas être plus clair que ça. »
Selon lui, ces coupes vont également se traduire par de la grogne dans le milieu hospitalier. « On va vivre encore sur le terrain des tensions passablement grandes. On va nous reprocher de remplacer le minimum des absences de maladies et autres pour essayer de récupérer ces sous-là à gauche et à droite […] C’est nous qui allons devoir, encore une fois, gérer ce manque à gagner et on va passer encore pour les méchants qui ne se préoccupent pas des services. »
Pour Yves Bolduc, c’est la continuité d’une longue série de compressions qui n’augure rien de bon pour le système de santé. Ces 64 millions s’ajoutent à une somme de 220 millions que les établissements doivent déjà récupérer avec la réorganisation du réseau, et à 150 millions supplémentaires en pertinence des soins et des services en santé physique, tel que le rapportait Le Devoir il y a deux semaines. Au total, on parle de compressions totales de plus de 450 millions de dollars pour cette année.
« Ça fait des années qu’on s’affaire à réduire les dépenses, qu’on coupe, qu’on maximise les ressources, soupire M. Bolduc au téléphone. D’ajouter 64 millions, c’est encore un grand coup. Et le problème, c’est que les p.-d.g. ne parleront pas, parce qu’ils sont drôlement positionnés pour parler. Le ministre Barrette ne s’en est pas caché, il a dit que ceux qui ne voulaient pas suivre ses directives et orientations seraient tassés. Qui est en mesure maintenant de se lever pour dire “ ça ne fonctionne pas dans ma région ” ? »
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