Depuis quelques jours, la presse internationale a publié plusieurs articles détaillant les propositions formulées par Yanis Varoufakis, l’ancien Ministre des finances du gouvernement grec à Alexis Tsipras, propositions qui furent rejetées par le premier ministre.
Ces articles nous éclairent sur le contenu de l'alternative au "Diktat" qui fut imposé à la Grèce par l'Allemagne et les pays de l'eurogroupe. On y apprend qu'il existait bien un "plan B" en Grèce. Ce plan est fortement contesté, que ce soit par l'opposition au gouvernement grec et même par certains dirigeants de Syriza. Mais il montre qu'il existait bien une autre voie. Cependant, celle-ci impliquait, à relativement court terme, une sortie de la Grèce de l'euro, une position qui semble être acceptée par des collaborateurs de Varoufakis (1). D'ailleurs, ce dernier a publié sur son blog un article de Stefano Fassina, ancien vice-ministre de M. Mario Monti en Italie, qui appelle à une dissolution concertée de la zone euro (2). Cela indique un changement significatif de la position de Yanis Varoufakis, qui fut jusqu'à ces dernières semaines un défenseur inconditionnel de l'euro. Il convient d'en tirer les conséquences.
Le contenu de ce plan "B"
Ce plan a été en partie révélé initialement par un quotidien grec (3), à partir de fuites provenant de l'appareil gouvernemental. Ce quotidien étant très opposé à Syriza, il convient de faire attention aux formulations qui sont employées, et qui ne correspondent pas nécessairement à la réalité. Néanmoins, on y apprend que Varoufakis et Tsipras, dès le mois de décembre 2014, soit avant même l'élection de janvier 2015, s'attendaient à se heurter à une opposition résolue de la BCE. Ils s'attendaient aussi à ce que cette opposition se traduise par un blocage des activités bancaires en Grèce.
Le journaliste Britannique Ambrose Evans-Pritchard, dans le journal The Telegraph, donne la version de Varoufakis (4). Cette source peut être considérée comme plus fiable, et en tous les cas certainement plus honnête, que celle du journal grec. Un article dans La Tribune, dont on salue ici la couverture des événements en Grèce, couvre aussi le sujet (5).
Le plan de Varoufakis consistait à créer un système parallèle au système officiel pour les paiements entre le gouvernement et les entreprises (6). Mais, l'administration fiscale étant de fait sous le contrôle d'experts appointés par la "Troïka", il fut obligé de le faire en secret. En fait, les membres de la cellule constituée par Varoufakis lors de son arrivée au ministère des finances, pénétrèrent le système informatique de l'administration fiscale grecque. Ce système de paiements parallèles aurait permis au gouvernement grec de contourner le blocage des banques qui fut organisé par la BCE à partir de la fin juin 2015. Il aurait aussi pu permettre un glissement très rapide de l'euro vers la Drachme, mais Varoufakis, selon les propos rapporté par The Telegraph, n'envisageait cela qu'en toute dernière extrémité (7). C'est un point important, qui donne lieu à de nombreuses fausses interprétations dans la presse. Varoufakis n'avait pas — du moins initialement — le projet de sortir de l'euro et de retourner à la Drachme. Mais, et il le reconnaît, le système qu'il voulait mettre en place aurait rendu possible et même facile un tel retour à la Drachme.
Toujours d'après les déclarations faites à Ambrose Evans-Pritchard dans The Telegraph, Varoufakis affirme que c'est dans la nuit du 5 au 6 juillet, alors que le "Non" l'avait largement emporté au référendum, que Tsipras s'est refusé à mettre ce système en œuvre, ce qui provoqua la démission de Varoufakis.
Je sais, pour avoir été moi-même en contact avec des membres du cabinet de Varoufakis, que ce système de paiements parallèle n'était que l'un des éléments du "plan B". La réquisition des banques commerciales et de la Banque Centrale, dans le cadre des pouvoirs d'urgence qu'auraient dû réclamer Tsipras, en faisait partie. Dans les conversations que j'ai eues avec des membres du cabinet, j'ai expliqué qu'il fallait être conscient que ces mesures de réquisitions constituaient une rupture de facto des traités, et qu'il fallait alors les présenter comme une réponse aux actions illégales de la BCE envers la Grèce.
Sur le fond, il est clair que le refus de Tsipras de mettre en œuvre ce "plan B" est lié à son refus, quel qu'en soit les motifs, de rompre avec le cadre de l'euro et de l'europe. Les explications sur la crainte de provoquer la "banqueroute" des banques ne tiennent pas, car, justement, ce plan visait à porter remède à la situation des banques. La décision d'Alexis Tsipras a été politique, pour le meilleur et pour le pire. Placé devant le choix entre le programme de Syriza et l'UE, il a choisi l'UE et l'austérité. C'est ce qui explique sa capitulation la semaine suivante et l'acceptation du Diktat européen du 13 juillet.
Les conséquences de la réquisition de la Banque centrale de Grèce
Un point important ici, car il a été évoqué à de nombreuses reprises dans le débat français, et en particulier dans des discussions publiques que j'ai eues avec Jacques Généreux et Jean-Luc Mélenchon (8), porte sur la réquisition de la Banque Centrale. Cette réquisition avait fondamentalement pour but de récupérer la souveraineté monétaire et de débloquer les réserves détenues à la Banque centrale de Grèce et dans les banques commerciales, mais sous "clef" de la Banque centrale. Ces réserves se montaient à approximativement 12 milliards d'euros, et auraient permis à la circulation monétaire de reprendre pour quelques semaines. Notons ici que la reprise rapide de la circulation monétaire, si ce plan "B" avait été mis en œuvre dès le 6 juillet, aurait évité la désagrégation d'une partie de l'économie grecque qui va peser lourdement sur la situation économique désormais.
Une source de la Banque centrale européenne, relayée par un article du Financial Times, indique que face à une telle mesure, la BCE aurait dénoncé les réserves réquisitionnées comme de la "fausse monnaie" (9). Cet article contient plusieurs inexactitudes par ailleurs. Mais, ce qui nous intéresse ici est bien la réaction de la BCE face à la réquisition d'une des Banques centrales de la zone euro. En fait, la BCE ne peut pas discriminer entre l'argent en circulation avant la réquisition et la fraction saisie du fait de la réquisition. La seule chose qu'elle puisse techniquement faire c'est d'isoler le pays ayant fait cette réquisition et d'obliger les banques des autres pays de la zone euro de ne pas reconnaître comme valable en tant qu'euro la monnaie circulant dans le pays ayant fait cette réquisition. Notons que c'était déjà en partie ce que la BCE avait imposé à la Grèce. Mais, dans le cas d'une réquisition il était donc possible que la BCE isole totalement le pays ayant réalisé cette réquisition, l'obligeant alors soit à ne plus du tout commercer avec les autres pays de la zone euro, soit à changer de monnaie et de fait à sortir de la zone euro.
Autrement dit, la réquisition pourrait conduire très rapidement à une sortie de l'euro. C'est l'opinion que j'ai exprimée dans mes conversations avec des membres du cabinet de Varoufakis. Dans le cas de la Grèce cependant, le gouvernement grec pouvait légitimement dire que les mesures de réquisition, qui auraient été nécessaires pour éviter la destruction du système bancaire grecque, n'étaient que la réponse à l'action illégale de la BCE qui avait mis en péril le système bancaire alors que l'une de ses missions, inscrites dans sa charte, est justement d'assurer le bon fonctionnement de ce système bancaire. Mais, dans les faits, il apparaît clairement que les actions de la BCE ne sont plus contraintes par une quelconque légalité. Cette dernière est devenue un monstre ou plus précisément un tyran qui s'est dégagé de toute règle.
Implications
Les implications d'une telle évolution de la BCE sont claires pour tout gouvernement qui entrerait en conflit avec les institutions de la zone euro. Il lui faudrait recourir très vite à l'état d'exception. Dans ces conditions, la menace d'une inculpation pour Haute Trahison pesant désormais sur Yanis Varoufakis a quelque chose d'absurde, mais aussi de terriblement révélateur (10). Varoufakis, en tant que ministre des Finances a pris la décision de faire pénétrer clandestinement le système informatique de l'administration fiscale grecque parce que ce dernier était en réalité sous le contrôle d'hommes de la "Troïka", c'est à dire du Fond Monétaire International, de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne. C'est donc le premier ministre conservateur, battu lors des élections du 25 janvier, qui a en réalité commis cet acte de Haute Trahison en confiant l'administration fiscale à une ou des puissances étrangères. C'est lui, et lui seul, qui porte la totale responsabilité de ce qui est alors survenu. Inculper M. Varoufakis est ainsi absurde. Le fait qu'il soit désormais défendu par des personnalités comme Mohamed El-Erian, l'économiste en chef d'Allianz et Président d'un comité d'experts économiques auprès du Président des Etats-Unis (11), montre bien que ce qu'il a fait, il l'a fait pour le plus grand bien de l'Etat qu'il servait comme ministre des Finances.
Mais, c'est aussi quelque chose de très révélateur de l'attitude néocoloniale qu'ont les autorités européennes aujourd'hui vis-à-vis de la Grèce mais aussi d'autre pays. Ceci justifie entièrement la constitution d'une "alliance des fronts de libération nationale" des pays de la zone euro pour faire plier le tyran et pour démanteler la zone euro.
1) Munevar D., "Why I've Changed My Mind About Grexit", in SocialEurope, 23 juillet 2015
2) Voir Fassina S., "For an alliance of national liberationfronts", article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015
8) Le débat avec Jean-Luc Mélenchon date de juillet 2013, et il fut réalisé par l'équipe d'Arrêt sur image. Mélenchon fait référence à cette réquisition à partir de discussions que j'avais eues depuis le printemps 2011 avec Jacques Généreux qui, à l'époque, était le responsable "économie" du Parti de Gauche.
9) Kerin Hope et Tony Barber, "Syriza's covert plot during crisis talks to return to drachma", Financial Times, 24 juillet 2015, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/2a0a1d94-3201-11e5-8873-775ba7c2ea3d.html#axzz3gx22HCKc
10) Evans-Pritchards A., "European 'alliance of national liberation fronts' emerges to avenge Greek defeat", The Telegraph, 29 juillet 2015
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