Québec paie trop cher une usine d'eau potable

L'usine de Saint-Irénée produit donc cinq fois la consommation moyenne par habitant.

L'affaire BPR

Kathleen Lévesque , Alec Castonguay - Le ministère des Affaires municipales du Québec a approuvé et subventionné une usine d'eau potable cinq fois trop grosse pour les besoins de la petite municipalité de Saint-Irénée, dans Charlevoix, a appris Le Devoir. Un projet de 3,6 millions de dollars pour environ 400 habitants, financé à 95 % par Québec.
Le plus gros consommateur d'eau de cette municipalité est le Domaine Forget. Au moment de l'octroi des contrats (entre 2005 et 2009), le président du conseil d'administration de cet organisme culturel était Paul Lafleur, qui est également président du C.A. de la firme de génie-conseil BPR. Or, BPR a géré le projet d'usine d'eau potable de bout en bout après avoir raflé le contrat sans appel d'offres.
Le 18 octobre 2008, 48 citoyens de Saint-Irénée ont porté plainte au gouvernement du Québec concernant l'usine de filtration d'eau potable devant être construite dans leur municipalité. Une lettre a été acheminée au bureau de la ministre Nathalie Normandeau. «Parce que la municipalité manque totalement de transparence dans ce dossier, nous sommes loin d'être convaincus que la solution proposée par la municipalité de Saint-Irénée soit la meilleure et la plus économique pour les citoyens», peut-on lire dans la plainte.
Malgré la controverse, l'usine d'eau potable a vu le jour et a été mise en marche mardi dernier. L'usine alimente 140 maisons reliées au réseau d'aqueduc, soit environ 400 habitants, selon la municipalité.
Or, d'après les chiffres obtenus, Saint-Irénée et le gouvernement du Québec auraient mené à terme un projet surdimensionné.
La capacité de production de l'usine de Saint-Irénée est de 852 000 litres par jour (cycle de 24 heures), ce qui fait une moyenne de 2130 litres d'eau par jour, par habitant. Au Québec, un citoyen utilise en moyenne 400 litres d'eau par jour. L'usine de Saint-Irénée produit donc cinq fois la consommation moyenne par habitant.
Même avec les touristes qui visitent ce joli coin de la province en été, l'usine est beaucoup trop grosse, ont confirmé au Devoir des employés de la municipalité.
En raison de cette surcapacité, l'usine n'est utilisée que cinq heures par jour depuis son ouverture. Après seulement quelques heures, le réservoir est plein et les besoins de la ville sont comblés.
L'usine d'eau potable a coûté 3,6 millions de dollars, un projet financé à 95 % par le gouvernement du Québec. En plus des coûts de construction, son entretien et les frais d'utilisation des installations sont élevés en raison de la taille de l'usine.
En entrevue avec Le Devoir, le maire de Saint-Irénée, Pierre Boudreault, n'a pas été en mesure de justifier la taille du projet. Il a soutenu qu'il s'agit d'un «vieux dossier». «Pourquoi vous revenez à la charge avec ça? Le dossier est réglé», a-t-il soutenu.
Le maire s'en remet au ministère des Affaires municipales du Québec, qui a accepté de financer le projet. «L'usine n'est pas trop grosse puisque le ministère des Affaires municipales a accepté le projet, tout comme le ministère de l'Environnement, a affirmé M. Boudreault. Si eux l'ont accepté, pourquoi revenir à la charge avec ça? C'est quoi, une campagne de salissage? On en a assez de se faire poser des questions. Ça prend de l'énergie pour se défendre de tout ça.»
Au ministère des Affaires municipales, une porte-parole a affirmé que la plainte des citoyens sur le projet a été rejetée après des vérifications, qui comprenaient la dimension de l'usine, a dit Caroline Saint-Pierre. Il n'a toutefois pas été possible de savoir hier pourquoi une si grosse usine, dont le coût est forcément plus élevé, a été approuvée par le ministère.
Contrats à BPR
La directrice générale de la municipalité de Saint-Irénée, Marie-Claude Lavoie, a confirmé que c'est la firme de génie-conseil BPR, très présente dans cette région, qui a piloté le dossier avec la Ville. Le point de vue de la firme a également pesé dans la décision de bâtir cette usine.
Les différents contrats accordés à BPR ont tous été octroyés sans appel d'offres, a confirmé le maire Boudreault. «On faisait déjà affaires avec eux dans d'autres travaux, alors on les a mandatés par résolution, dit-il. Ils ont déjà travaillé pour la municipalité, alors c'est la continuité. On a beaucoup apprécié leur travail.»
BPR a mené des projets d'assainissement des eaux et un projet de développement domiciliaire avec Saint-Irénée dans le passé. «Nous autres, c'est cette firme-là», dit Marie-Claude Lavoie, la directrice de cette petite municipalité de 680 citoyens — dont 400 sont branchés sur le réseau d'aqueduc de la ville.
Rappelons que la firme BPR entretient des liens étroits avec les élus de Saint-Irénée. Hier, Le Devoir révélait que le maire, Pierre Boudreault, a été invité par BPR à un voyage de pêche de plusieurs jours, toutes dépenses payées, dans un chalet du lac Wilkin, non loin de La Tuque. M. Boudreault affirme n'avoir jamais discuté de contrats lors de ces voyages.
BPR a également utilisé ce chalet de pêche pour inviter d'autres élus municipaux du Québec, ainsi que des fonctionnaires du ministère des Affaires municipales.
Hier, la firme BPR n'a pas répondu à nos demandes d'explications sur le projet d'usine d'eau potable.
Domaine Forget
Le plus gros utilisateur d'eau de la municipalité de Saint-Irénée est le Domaine Forget, un magnifique et gigantesque centre culturel réputé pour ses concerts de musique classique.
Jusqu'à récemment, le président du conseil d'administration du Domaine Forget était Paul Lafleur, qui a également une résidence dans la municipalité de Saint-Irénée.
M. Lafleur est aussi le président du conseil d'administration de la firme BPR, qui a obtenu les contrats et qui a conseillé la municipalité sur la construction de l'usine d'eau potable.
Il n'a pas été possible de parler à M. Lafleur hier, puisque BPR n'a pas donné suite à notre demande d'entrevue.
(ns)
Le maire Boudreault affirme toutefois que M. Lafleur n'a jamais participé aux décisions ou à la réflexion entourant le projet d'usine. «Il n'a pas d'affaire là-dedans, dit le maire. On n'a pas fait affaires avec lui, mais avec le ministère des Affaires municipales.» Y a-t-il eu des pressions du Domaine Forget pour avoir une nouvelle usine? «Aucune pression de nulle part», tranche Pierre Boudreault.
La directrice générale de Saint-Irénée, Marie-Claude Lavoie, affirme elle aussi que M. Lafleur n'a joué aucun rôle dans ce projet. «Il n'a pas influencé le choix», dit-elle.


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