Quel avenir pour les aînés ; repos ou boulot?

Tribune libre

Dans La longévité : une richesse, Claude Castonguay et Mathieu Laberge prônent le vieillissement actif pour infléchir les contraintes que le remous démographique fera peser sur l'économie québécoise.
L'argumentaire est que (1) même si la santé des seniors s'améliore, ceux-ci délaissent le marché du travail autour de 60 ans, privant la société de leurs savoirs et expériences; (2) l'amalgame retraite précoce et dénatalité provoquera une pénurie de main-d'œuvre que l'immigration ne pourra endiguer à elle seule; (3) les retraites massives des baby-boomers, combinées à l'allongement de l'espérance de vie, ralentiront notre PIB et appauvriront nos programmes sociaux.
De l'avis des cosignataires, l'économie québécoise s'en tirerait mieux en matière de finances publiques et de productivité économique si l'on repoussait l'âge de la retraite. Travailler sur le tard constituerait également un rempart contre la maladie, la solitude et le sentiment d'inutilité.
Or, réduire cet important débat à cette équation comptable et démographique est regrettable, dans la mesure où l'on masque les grands paramètres de l'économie actuelle tout en véhiculant une conception idyllique et obsolète du marché de l’emploi.
La question du recul de l'âge de la retraite nécessite d'être examinée à l'aune de la mondialisation et de la déréglementation des marchés, des rationalisations d’entreprises, des changements technologiques et de la récession, autant d'éléments qui ont déstabilisé la société salariale, reconfiguré le travail et affaibli la protection sociale. Certaines forces économiques poussent dans le sens du recul de l'âge de la retraite, alors que d'autres agissent dans la direction inverse.
Retraites hâtives
Il faut voir qu'au nom de l'innovation, de la productivité et de la concurrence, plusieurs entreprises préfèrent écourter la vie «active» de leurs employés plutôt que de l'étirer et d'encourager la retraite progressive. Licenciements et mises à pied constituent le lot des travailleurs plus âgés, faiblement qualifiés, victimes des délocalisations, des restructurations ou de la forte compétitivité.
Parallèlement, pendant que les charges de travail s'alourdissent, les emplois demeurent précaires, à temps partiel, sous rémunérés et sujets au démantèlement des avantages sociaux. L'initiative personnelle qu'était censé procurer le travail mobile et flexible (télétravail, travail autonome, semaine comprimée, heures modulées) et l'injonction à la polyvalence n'ont manifestement pas livré leurs promesses.
Qui plus est, dans certains secteurs d'activité, le stress et la pénibilité du travail épuisent psychologiquement et physiquement de nombreux cadres, des professionnels et des personnes sous scolarisées ou immigrantes. Pas étonnant que la soixantaine soit perçue comme l'étape de la retraite libératrice, quand ce n'est pas celle de la retraite forcée.
Retraites tardives
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les secousses économiques se sont succédé. L'effondrement des marchés boursiers, du secteur des hautes technologies, suivi de l'ensemble de l'économie, a pulvérisé les caisses de retraite et dilapidé l'épargne des Québécois. Ces tourmentes économiques ont déclenché un double retournement, à savoir le recul progressif de l'âge de la retraite et la réinsertion de nombreux retraités sur le marché du travail.
La récession a du même souffle brisé les aspirations des salariés dits jetables, les assujettissant à de longs ou répétitifs épisodes de chômage. Leurs maigres revenus les empêchent d'engranger suffisamment en prévision des vieux jours. En désespoir de cause, plusieurs n'ont d'autres choix que de repousser l'âge de la retraite pour accumuler de l'épargne.
Le Conseil des aînés rapporte que la participation des seniors sur le marché du travail a enregistré une hausse de 136% en six ans, une recrudescence qui ne peut s'expliquer que par la gérontocroissance! Plus du quart des retraités souhaitent trouver un emploi pour demeurer utiles ou alertes mentalement, maintenir une vie sociale active, mais surtout pour éponger les pertes et relever des défis financiers imprévus.
Sécuriser prioritairement l'emploi et le revenu
Sous leurs oripeaux avant-gardistes, les belles doctrines néolibérales ont en définitive fragilisé le revenu, prescrit des normes de travail exigeantes et désagrégé bien des acquis sociaux. Conséquemment, le «monde ordinaire» vit plus que jamais au rythme des bas salaires, du chômage chronique et de l'érosion de l'épargne.
Tout bien considéré, promouvoir la retraite tardive sans simultanément s’attaquer à l'insécurité de l'emploi et du revenu ne ferait que reproduire chez les travailleurs âgés les mêmes difficultés qui prévalent chez les jeunes travailleurs. L'objectif consisterait plutôt à concilier la précarité du travail ou la réalité du chômage et la prolongation de la vie active rémunérée. On est même en droit de se demander s'il n'est pas préférable d'investir nos énergies dans la sécurité d’emploi et du revenu des moins de 60 ans au lieu d'inciter au travail les 60 ans et plus.
Force est de constater que le rapport Castonguay-Laberge souffre de cécité sur au moins trois fronts. D'une part, le recul de la retraite s'avère déjà une tendance lourde, non pas en réponse à un souci de solidarité citoyenne, mais en réaction à une nécessité financière de la part des personnes concernées. D'autre part, s'inscrivant dans l'optique du statu quo économique, leur thèse fait l'impasse sur les conditions d'emploi et de rémunération des travailleurs, âgés ou non. Enfin, en différant l'âge de la retraite, on court le risque de faire payer aux sans-emploi et aux salariés précaires l'allongement de la durée de vie.
En soi, le principe du vieillissement actif rémunéré comporte certains atouts, au chapitre notamment de la transmission de l'expertise et de la valorisation personnelle, à condition de prendre en compte les éléments énoncés précédemment. Ce scénario plaira sans doute aux gens de la classe moyenne supérieure. Encore faudrait-il développer à leur intention des mesures incitatives nouvelles, et non simplement le versement échelonné des prestations de vieillesse. Bref, prévoir les modalités de cette retraite flexible ou «à la carte».
Enfin ce rapport, hélas peu documenté, évacue d'un revers de main l'idée souveraine que le vieillissement actif recouvre d'autres formes d'engagement citoyen que le travail rémunéré et que l'épanouissement de l'individu passe par d'autres sentiers.


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1 commentaire

  • Raymond Gauthier Répondre

    17 mars 2010

    Je partage tout à fait votre analyse, monsieur Lefrançois.
    « La longévité une richesse », « le vieillissement actif », encore de ces formules creuses qu’arborent les grands bonzes du néo-libéralisme doctrinaire. Comme si on ne pouvait pas vieillir et continuer d’être socialement utile, sans occuper un emploi rémunéré !
    Vous avez raison de dire que les travailleurs peu qualifiés et mal rémunérés n’ont d’autre choix que de prolonger, lorsqu’ils y parviennent, leur période « active » sur le marché de l’emploi. S’ils avaient le choix, ils s’occuperaient autrement et feraient valoir à leur façon leurs connaissances, leurs compétences, leurs talents, leur générosité envers leurs proches ou envers leur communauté d’appartenance.
    Je me demande si les auteurs du rapport Castonguay-Laberge ont une quelconque idée de ce que c’est que de s’investir bénévolement dans leur communauté ?
    Un retraité engagé et fort occupé… bénévolement,
    Raymond Gauthier
    aux Îles de la Madeleine