Deux mois et demi après le Coup d'État au Honduras,

Radio Canada dépêche un reporter à Tegucigalpa

Tribune libre

Après deux mois et demi, Radio Canada dépêche enfin leur reporter spécialiste Jean-Michel Leprince en Amérique centrale. [1]
Déjà deux mois et demi que la dictature a pris le pouvoir au Honduras.
Je vous sens déjà grimacer, froncer les sourcils… j'ai dit "dictature".
Eh oui! Comment peut-on appeler autrement un régime qui prend le pouvoir par les armes en expulsant un Président ÉLU?
Bien sûr, aucun de nos médias ne parle de dictature au Honduras. Lorsqu'on fait allusion à la dictature, on pense plutôt au Venezuela…
On a expulsé ce Président ÉLU… C'est que ce Zelaya n'était pas honnête, vous dites-vous. On vous l'a dit et on vous l'a bien inculqué dans le cerveau. Même Monsieur Leprince qui fait preuve d'une apparente neutralité irréprochable vous répète ce «pour quoi » Zelaya a été, en quelque sorte, «légitimement» (sic) expulsé.
Monsieur Leprince reprend la cassette disant que la constitution du Honduras dit «qu'il est formellement interdit de la changer» alors Zelaya a été condamné par des juges "compétents" (sic) et "justes" (sic sic) pour trahison parce que celui-ci (Zelaya), hors de tout doute, voulait changer la constitution, et ce, pour rester au pouvoir, bien entendu ! (ce qui est totalement faux). On l'a donc arrêté pour haute trahison.
Monsieur Leprince nous livre cette information "simple" sans trop insister et nous fait comprendre, pour ainsi dire, que l'expulsion par les armes du Président ÉLU était, disons, tout à fait "normale".
Bon, Jean-Michel nous dit que, le Président Zelaya a été arrêté en quelque sorte tout à fait "légalement" (puisque la constitution…) mais, bon, déporté un citoyen hondurien est aussi interdit par la constitution. Il semble que l'armée ait outrepassé son mandat et a pris la fâcheuse initiative de déporter le Président ÉLU. Là, par contre, ce geste est répréhensible, bien entendu. Mais bon, c'est l'armée qui a commis cette bévue et bon, probablement, si on extrapole un peu, qu'on ouvrira une enquête là-dessus pour condamner les coupables.
Jusqu'ici, tout va bien. Monsieur Leprince qui est un excellent journaliste et qui fait preuve d'une neutralité exemplaire (tous devraient suivre son exemple) se garde bien d'enquêter sur ce qui pourrait modifier la perception que les médias nous ont inculquée profondément dans l'esprit. Son reportage consolide notre sentiment bien ancré du «pas-honnête-ce-Zelaya». Il nous montre clairement, vidéo à l'appui (on voit très bien ce Zelaya, sourire aux lèvres sauter dans les bras de cette bande de brigands (sic)) ses liens d'amitié avec toute cette gauche dure, les Ortega, Morales, Correa, Chávez (bien entendu) et même le démon Castro, bref tous ces dégueulasses de l'ALBA. On comprend que son amitié avec «la bête noire» est bien réelle et cela dit tout. Ce Zelaya n'est vraiment pas très catholique! Notre sentiment populaire condamne vigoureusement ces mauvaises fréquentations.
Donc, Monsieur Leprince reprend le même discours décrivant de façon douteuse la situation sans en modifier le moindre mot.
Monsieur Leprince interview un représentant golpiste. Dommage que Monsieur Leprince n'ait pas questionné cette personne très bien placée pour nous faire comprendre les raisons du Coup d'État. Simplement demander: «Pourquoi donc Monsieur Zelaya a-t-il été expulsé ?» aurait permis d'entendre les raisons et par la suite le reportage aurait pu s'orienter sur cesdites raisons.
Monsieur Leprince dit que Zelaya a été renversé parce qu'il voulait faire un référendum qu'on a "appelé par la suite" dit-on "consultation populaire".
Le point central de ce Coup d'État est justement cette consultation populaire. Pourquoi donc Monsieur Leprince ne nous présente pas le bulletin devant servir pour cette consultation?
Il aurait pu demander au juriste "golpiste" de voir le bulletin que Zelaya voulait utiliser pour sa consultation. De lire la question aurait été révélateur.
Monsieur Leprince reprend simplement la désinformation qui consiste à dire que Zelaya s'apprêtait à faire quelque chose d'illégal, c'est-à-dire de modifier la constitution.
Je ne comprends pas que Monsieur Leprince, un journaliste honnête, reprenne, sans sourciller, cette désinformation.
Le bulletin que Zelaya voulait utiliser pour la consultation du 28 juin dernier est le suivant:
http://img20.imageshack.us/img20/2605/encuestan.jpg
La question était:
« Êtes-vous d’accord qu’aux prochaines élections générales de 2009, une 4e urne soit installée pour permettre au peuple de se prononcer sur la convocation (création) d’une assemblée nationale constituante ? OUI ou NON »
Voilà «LE» point central du Coup d'État.
On constate que le Président Zelaya voulait demander à la population si lors de l'élection prévue le 29 novembre prochain, celle-ci voulait avoir l'opportunité de se prononcer sur la possible création d'une assemblée constituante. Le 28 juin, il leur demandait, tout simplement, s'il voulait une QUATRIÈME urne.
Quand donc vous a-t-on parlé de cette QUATRIÈME urne dans nos médias? Jamais, je crois.
Monsieur Jean-Pierre Legault dans un excellent article paru dans Le devoir du 12 septembre dernier y fait allusion [2]
Qu'est-ce donc que cette QUATRIÈME urne dont ne dit mot Monsieur Leprince et qui a servi de prétexte au Coup d'État?
Les prochaines élections prévues en novembre serviront à élire le nouveau Président (1ère urne) (Zelaya ne se pouvait pas se présenter), les députés (2e urne) (législative), et les représentants locaux (3e urne) (mairies, alcaldias).
Si la population disait OUI lors de la consultation prévue le 28 juin, il y aurait aussi eu une QUATRIÈME (4e) URNE afin de savoir si la population désirait la convocation d'une assemblée constituante.
Le référendum prévu le 28 juin n'avait absolument rien pouvant donner la possibilité à Manuel Zelaya de se représenter en novembre pour un second mandat.
Le résultat du référendum n'avait aucun effet de modification de la constitution. Ce sondage (ni plus ni moins) était pour connaître l'opinion de la population concernant une possible modification de la constitution.
Une possible modification de la constitution aurait pu être mis en branle si la population disait vouloir la création d'une assemblée constituante qui étudierait une réforme constitutionnelle et pourrait après une période d'étude, proposer à la population une nouvelle constitution qui aurait eu à être validée par référendum.
Pourquoi une nouvelle constitution?
Pour améliorer le pouvoir populaire et ainsi mettre à l'abri la population contre le pouvoir absolu des gouvernements (comme c'est le cas présentement).
On comprend alors facilement pourquoi l'oligarchie (les six familles dont parle Manuel Zelaya) a renversé le Président Zelaya qui s'apprêtait à ouvrir la porte au pouvoir populaire.
Le Coup d'État avait pour objectif d'interdire à la population de se prononcer sur la possible création d'une QUATRIÈME urne pouvant enclencher un processus démocratique de révision de la constitution. Bien sûr, cette révision aurait pu entraîner, ultimement («SI» l'assemblée constituante le proposait et «SI» la population l'acceptait), l'abolition du nombre limite de mandats consécutifs (comme nous avons au Canada, en France, en Angleterre et dans bien des pays démocratiques).
Mais, le but principal de la révision n'était pas l'abolition du nombre de mandats présidentiels consécutifs, mais visait plutôt à rendre plus de pouvoir aux citoyens en rendant la démocratie hondurienne plus participative.
Voilà pourquoi l'oligarchie est intervenue et a expulsé à la pointe des fusils le Président ÉLU, Manuel Zelaya. Le Président a été renversé par les armes parce qu'il enclenchait un processus donnant plus de poids aux citoyens (et automatiquement réduisait d'autant le poids des dirigeants corrompus au service de la riche oligarchie).
Tout cet important aspect du Coup d'État n'est pas effleuré par Monsieur Leprince. Je ne comprends pas et je le déplore.
On parle plutôt de "négociation" pour le retour du Président ÉLU. Depuis quand négocie-t-on avec des terroristes?
Comment peut-on parler calmement de négociation alors que la communauté internationale (192 pays) a unanimement condamné ce nouveau régime dictatorial?
Comment est-ce possible que Monsieur Leprince puisse accorder, de facto, une quelconque crédibilité à ces putschistes?
Lorsqu'on se souvient des hauts cris lancés par nos médias lors du résultat dit frauduleux en Iran, comment comprendre cette réserve face à la situation hondurienne?
Une situation où l'on foule au pied de façon flagrante des règles les plus élémentaires de la démocratie.
Doit-on féliciter Monsieur Leprince pour sa réserve et sa neutralité?
Sûrement que oui, un journaliste doit demeurer réservé et neutre. Cependant, de ne pas poser les questions qui dérangent et de reprendre cette désinformation flagrante concernant ladite "légitimité" (sic) du Coup d'État est déplorable.
Comment peut-on parler sérieusement des élections farfelues de novembre prochain ?
Comment peut-on interroger ces golpistes sans les mettre un peu plus dans l'embarras?
On s'attendrait à mieux d'un journaliste d'expérience comme Jean-Michel Leprince.
Serge Charbonneau
Québec
[1] http://www.radio-canada.ca/nouvelles/international/carte-interactive/reportages/2009/09/15/003-4008.shtml
[2] Honduras - La quatrième urne
http://www.ledevoir.com/2009/09/12/266668.html
En complément:
Honduras : désinformation et silence complice
http://www.legrandsoir.info/Honduras-desinformation-et-silence-complice.html


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    16 septembre 2009

    Complément d'informations pour comprendre la "game":
    http://www.voltairenet.org/article162079.html
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    16 septembre 2009

    Quelle surprise!! Radio-Canada traite en criminel un élu qui voudrait amender une constitution par le biais d'une consultation populaire.
    Simple question de cohérence. Radio-Pravda doit envoyer un message fort aux québécois. "Voyez ce qui vous attend si vous persistez dans vos lubies indépendantistes?"
    Nos médias d'occupation font très bien leur travail...

  • Archives de Vigile Répondre

    16 septembre 2009

    En effet, c'est comme ça à tous les jours ici-même. Nos médias préfèrent entretenir notre population dans la peur et l'ignorance. Peur de la maladie, peur des bandits, peur de tout et de rien; ignorance des faits et gestes des réseaux mafieux d'influence et des copains.

    La désinformation est à la mode du jour, même en France, le pays des libertés, nous disait-on.
    Le grand capital sévit et M. Leprince n'est qu'un pauvre homme à son service. Il ne fait que répéter ce qui est convenu à travers la planète.
    Voilà un autre brave!
    Marie Mance Vallée

  • Archives de Vigile Répondre

    16 septembre 2009

    M. Charbonneau,
    La lecture de votre texte, fouillé, documenté, a évoqué en moi un relent de mauvais souvenirs, remontant je crois à 1995. Ça vous dit quelque chose ? Notre sang latin, sans doute un peu beaucoup moins ardent que les Honduriens, n’a pas commandé l’exil de nos politiciens par les armes mais la manière « douce » du gouvernement fédéral, manipulée en cela par le grand capital, a eu, en fait, les mêmes résultats : les citoyens Québécois n’ont pu se prononcer librement. En apparence seulemnent.
    Au Honduras, il y a peut-être six grandes familles possédantes mais on oublie ou on ignore ici que les grandes multinationales fruitières américaines comme Dole par exemple, ont fait main basse depuis des lunes sur ce pays. On déloge les petits paysans qui s’auto-suffisaient, on fait de la monoculture destructrice de leur environnement, on détourne les rivières pour abreuver ces monocultures assoiffant encore une fois ces petits paysans qu’on méprise et qu’on utilise comme main d’œuvre en quasi esclavage. Il est évident alors qu’ils ne pouvaient pas laisser M. Zelaya, même démocratiquement élu, donner plus de pouvoir à ces gens qu’on avait si honteusement spoliés.
    C’est toujours la même chose : c’est la main mise du grand capital, qui décide des guerres, réduisent les politiciens au rôle de marionnettes et contrôlent les médias. Jean-Michel Leprince est une autre sous-marionnette au service de Radio-Canada qui ne peut, bien évidemment, dire la vérité au sujet du Honduras, ce serait aller contre ce grand capital et ça pourrait inspirer les méchants petits Québécois qui rêvent de se gouverner démocratiquement.
    M. Charbonneau votre texte apporte une lumière supplémentaire sur la situation mondiale catastrophique que nous sommes en train de vivre. Merci.
    Ivan Parent

  • Archives de Vigile Répondre

    16 septembre 2009

    Monsieur Jean-Michel Leprince a le profil parfait du journaliste que recherche Radio-Canada pour couvrir l'actualité dans le monde. Il se gardera bien de soulever les faux probèmes comme ceux des sept bases militaires en Colombie mises au service du Pentagone tout comme cette volonté des pays de l'Amérique du Sud, réunis dans UNASUR, de faire de ce territoire, un territoire de paix. Il est du genre à ne pas s'attarder sur les efforts du Président Uribe pour modifier la constitution colombienne de manière à lui permettre de se présenter pour un troisième mandat. Ce qui avait été un excès de pouvoir au Venezuela devient pour la Colombie une affaire normale et courante. Nous sommes loin du Honduras où on met à la porte un Président sous le prétexte qu'il se propose de consulter la population si elle veut s'exprimer sur la pertinence d'une nouvelle constituante. Avec Jean-Michel Leprince, Radio-Canada et le gouvernement canadien sont rassurés, il n'y aura pas de débordement. Les canadiens ne seront pas distraits par les rêves et encore moins par les réalisations du socialisme du XXI ième siècle et ceux de la "démocratie participative". S'il fallait qu'ils découvrent ces nouvelles manières de s'organiser et de participer au fonctionnement de l'État, ça pourrait apporter bien des problèmes non nécessaires à la bonne gérence des intérêts du peuple. Vive l'information faite sur mesure et à la carte.