Pour un changement de perspective dans la politique québécoise

Rectifier le tir

Chronique de Patrice-Hans Perrier

Les présentes élections québécoises ne sont pas engagées sur une pente ascendante de mon point de vue. Les couteaux volent bas, les politiciens font de la politique politicienne et le peuple est passablement désillusionné. Je ne serais pas surpris que le niveau d’abstention atteigne les 30 % au lendemain du scrutin. Et pour cause. Le Parti québécois et ses stratèges se sont empêtrés dans le débat autour de la charte des valeurs, alors que la crise économique frappe les régions et que rien n’a été mis en place pour réclamer des éclaircissements à propos des tractations entourant l'accord économique et commercial global (AECG) conclu avec l'UE.

Un parallèle avec la situation française

Le débat entourant l’adoption d’une charte des valeurs s’est déroulé dans un contexte où la nation québécoise a été exposée à une campagne médiatique qui aura monopolisé l’attention de la population autour de ce dossier. Cette charte, clairement d’inspiration française, n’aura contribué qu’à diviser les québécois, alors que c’est la question de l’adoption d’une constitution québécoise qui aurait dû être mise en exergue. La charte française a été moussé par les mêmes obédiences qui ont mis en scène l’antiracisme il y a une trentaine d’années.

Loin d’être un instrument fédérateur, dans un contexte où la République a été déchirée par la montée des communautarismes instrumentalisés, la charte de la laïcité française de 2004 n’aura servi qu’à pointer du doigt les communautés musulmanes comme nouveaux boucs émissaires obligés. Conséquemment, les frictions communautaires n’ont pas été apaisées, elles ont plutôt connu un regain de tension. Si la France échappe au gouffre de l’affrontement civil, s’est bel et bien grâce à une nouvelle prise de conscience des classes populaires à l’effet que toute ces arguties masquent la situation de plus en plus désespérante sur le front de l’emploi et de la souveraineté économique de la France.

Le talon d’Achille de la Charte des Valeurs s’est véritablement cette façon de pointer du doigt les pratiques religieuses et confessionnelles comme si elles constituaient le principal obstacle à la consolidation de la neutralité républicaine de l’état. Les opposants de la charte se sont engouffrés dans la faille, poussant des cris d'orfraie en pointant du doigt le caractère prétendument xénophobe des indépendantistes et, du même coup, d’une majorité de québécois dits «de souche». Il eut été plus heureux de mettre le cap sur les préparatifs de l’adoption d’une AUTHENTIQUE CONSITUTION québécoise, avec un volet portant sur la neutralité et l’impartialité de l’état au niveau des services rendus à la population. Il va de soi que la notion d’«accommodement raisonnable» aurait été battu en brèche par l’impératif d’offrir des prestations étatiques égales pour tous.

Une vision du développement durable chaotique

Le développement du Plan nord connaît des ratés et l’exploitation de nos gisements pétroliers n’a pas fait l’objet d’un consensus réel qui aurait été validé par tous les éléments de la société civile.

Déjà, une cohorte de multinationales piaffe d’impatience à nos portes face à de juteuses perspectives de prises de contrôle de nos richesses naturelles, de nos entreprises des grands travaux publics et de voirie, pour ne pas parler d’une part croissante de nos meilleures terres arables. Le gouvernement minoritaire du Parti québécois s’est servi de certaines têtes d’affiche, à l’instar d’un Daniel Breton, pour nous intoxiquer avec un programme factice de reprise en main de nos richesses naturelles et de notre environnement.

La mise en application de l’AECG, dès l’année prochaine, fera en sorte qu’un gouvernement du Québec ne sera plus en mesure de restreindre l’ouverture de ses marchés ou de commander à la mise en œuvre de politiques de développement régionale qui tienne compte de la souveraineté effective de notre territoire.

L’indépendance pour quoi faire ?

Au tout début de la campagne électorale, Madame Marois s’est empêtré dans une description ubuesque d’un Québec indépendant «sans frontières vis-à-vis du Canada, favorisant la libre circulation des entreprises et des personnes, utilisant la monnaie canadienne et s’inspirant d’un espace européen dit de Schengen face auquel plusieurs pays tentent de se rebiffer. On se demande, face à une telle fumisterie, à quoi bon voter OUI à un éventuel référendum qui ne serait qu’un feu de paille en définitive. Par ailleurs, la principale intéressée parle invariablement de la tenue d’un 3e référendum du bout des lèves, comme si cette question l’importunait royalement !

Daniel Breton parlait d’un «Maîtres chez nous» acte 2 et pourtant. Voilà qu’une authentique approche de nationalisation de nos richesses naturelles et de nos énergies est balayée sous le tapis à l’orée de l’adoption d’un AECG qui laissera le soin à l’Union européenne de déterminer de quelle façon nous devons envisager le développement de nos régions et … au bénéfice de qui. Daniel Breton semble avoir été la caution environnementaliste d’un gouvernement qui met le cap vers la dissolution de ce qui nous restait de politique nationale de préservation et de mise en valeur de notre patrimoine territorial. Il y a péril en la demeure, c’est manifeste.

La caution financière

La venue de PKP sur la scène politique nous apparaît comme étant une bonne chose, le principal intéressé n’ayant jamais ménagé le chou et la chèvre pour faire progresser ses entreprises ou faire passer ses messages. Mais, on sent bien que PKP représente une autre carte, à l’instar de l’infortuné Breton, qui permettra aux caciques du PQ de composer une main de poker gagnante. Tout cela s’apparente à de la figuration de haute voltige, sans grande stratégie derrière les coulisses. Que des intervenants aussi doués ou brillants que les Breton, PKP ou Lisée soient appelés pour renforcer les positions de l’infanterie péquiste est une chose bonne en soi. Mais, quand ils deviennent les faires-valoirs d’une caste politique aux ordres des oligarchies financières, on repassera …

Les ténors du PQ nous préviennent qu’ils ne laisseront plus la CDP effectuer des placements mirobolants qui généreront des pertes abyssales et qu’ils feront tout pour que des institutions telles que le Mouvement Desjardins soient à nouveau appelées à jouer un rôle moteur pour le développement économique du Québec. Mais, QUID de la transformation en banque à charte du Mouvement Desjardins ou de la fascination morbide de nos fonds de pension vis-à-vis des marchés financiers internationaux ?

Je n’ai rien entendu d’une véritable politique de refondation de nos leviers financiers qui tiendrait compte de la nécessité de resserrer les rangs autour d’une souveraineté économique qui passe, d’abord et avant tout, par une revitalisation de nos marchés domestiques. C’est comme si le PQ parlait d’économie locale pour faire plaisir à ses électeurs, mais tenait un autre discours lorsque ses ténors prennent la parole à … Davos ! Il y a, là aussi, manifestement anguille sous roche.

La démocratie parlementaire battue en brèche

Je ne suis pas tendre à l’endroit de Québec solidaire, depuis leurs coups fourrés des dernières élections fédérales, alors que son bureau politique déroulait un tapis rouge aux forces coalisées autour du NPD de feu Layton. Je trouvais qu’ils remisaient leurs convictions indépendantistes afin de se doter d’un levier politique pancanadien. La suite des choses m’aura donné raison à plusieurs niveaux. Québec solidaire mettant de plus en plus de bémols à l’option indépendantiste, en arguant la défense d’une justice sociale et d’une protection de l’environnement comme autant de matière à caution face à un référendum reporté aux Calendes grecques.

Toutefois, j’ai particulièrement apprécié la prestation de Madame David, lors de la première partie du débat des chefs. Cette dernière s’est montrée digne, déterminée et mesurée en toutes choses. Québec solidaire demeure la seule formation qui parle de justice sociale et de développement durable de nos régions en tirant parti des nouvelles énergies et d’une approche plus inclusive du développement économique. Par ailleurs, cette formation semble déterminée à tenir un rôle déterminant dans une coalition indépendantiste qui ne serait pas qu’un vœu pieux. Québec solidaire mousse, aussi, l’instauration d’un système d’élection à la proportionnelle, qui permettrait de tenir compte de la réalité et aurait le mérite d’intéresser nombre des abstentionnistes dans un contexte où la démocratie parlementaire n’est plus qu’une façade.

Rectifier le tir

Notre pronostic : le PQ sera réélu minoritaire. La CAQ se dissoudra et Québec solidaire pourrait se rapprocher de la barre des 10 % du vote. Le parti du bon docteur Couillard se cantonnera dans son confortable et inexorable 30 %. Le temps sera venu de faire un bilan salutaire et raisonné de la politique québécoise.

Un nouveau gouvernement du PQ devrait tendre la perche aux forces indépendantistes qui stagnent au sein des autres formations – plus particulièrement Québec solidaire – et envisager de mettre sur pied une coalition, un peu à l’instar de ce que Marine Le Pen aura tenté de faire pour les élections municipales qui se déroulent en ce moment en France. Le PQ n’est pas le Front national, il nous fait plutôt penser au Parti socialiste à la sauce hollandaise … toutefois, la possibilité de coaliser les forces vives du mouvement indépendantiste n’a jamais été aussi forte.

Le PQ n’a rien à cirer de Montréal – hormis le fait que la métropole concentre toujours une masse importante d’entreprises sur son sol –, puisque son capital électoral se situe dans le 450. Il faudra que les stratèges péquistes revoient leur plan de match et qu’ils considèrent l’option de faire marche arrière en ce qui concerne cette infortunée charte qui n’est absolument pas un élément fédérateur au moment d’écrire ce texte. Abandonner le projet de charte en pleine élection serait suicidaire, c’est entendu. Mais, au lendemain d’une éventuelle victoire, il serait opportun de proposer un grand débat national sur l’adoption d’une constitution qui aurait le mérite d’intégrer les éléments positifs du projet de charte des valeurs.

Qui plus est, le PQ – il est trop tard maintenant – devra s’engager à faire du projet d’une véritable constitution du Québec le préalable obligé à la reprise en main de notre avenir socioéconomique, culturel, environnemental, territorial et collectif. Un éventuel référendum – une fois un gouvernement de coalition élu majoritairement – pourrait porter sur l’adoption d’une constitution qui devra être reconnue par toutes les nations qui veulent se soustraire à cette marche forcée vers un nouvel ordre économique destiné à renforcer le pouvoir des oligarchies financières et des multinationales.

Finalement, une fois que le bouillant PKP aura fait ses classes comme député dans le cadre d’un premier mandat, pourquoi pas lui créer un super-ministère du développement économique à l’internationale, par exemple. Dans le même ordre d’idées, un Jean-François Lisée pourrait se voir confier les destinées d’un ministère des relations pancanadiennes, un Daniel Breton être, enfin, en charge d’un super-ministère dévolu au développement durable et … Françoise David se verrait confier le portefeuille d’un ministère des affaires sociales et du développement des nouvelles économies de proximité. Quelques pistes de réflexion …

J’ai marché aux côtés de Richard Le Hir et de quelques autres pour la défense de la charte des valeurs, mais je me suis ravisé en début d’année 2014, réalisant que cet outil était un couteau à double tranchant. Je tire mon chapeau à Madame Marois, pour son courage et son opiniâtreté, et lui souhaite d’être à nouveau élue à la tête d’un gouvernement … minoritaire. Pour la suite des choses, j’espère qu’elle saura tirer les conclusions qui s’imposeront d’elles-mêmes et laisser la place à quelqu’un d’autre. Qui prendra la tête d’une éventuelle coalition indépendantiste réelle autour de 2016 ? La question est posée et il sera heureux que le PQ se recompose au sein d’une telle formation avant le 50e anniversaire de sa création.

Puisque 2017 pourrait s’avérer être une année commémorative particulièrement funeste. Il nous faudra, tous, nous ressaisir rapidement d’ici là.

Squared

Patrice-Hans Perrier181 articles

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Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





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5 commentaires

  • Stéphane Sauvé Répondre

    25 mars 2014

    ...Mme Martineau, vous n'êtes pas loin de la vérité...
    ...tellement rare cette prise de conscience.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 mars 2014

    Avec ce texte de M. Perrier, de M. Verrier et les recherches de Mme Martineau, je trouve que certains éléments constructifs/stratégiques sont en train d'émerger.
    L’indépendance à l’époque des grands blocs intégrateurs

  • Archives de Vigile Répondre

    23 mars 2014

    Mme Louise Martineau, j'ai lu votre long article que vous avez mis en lien, avec intérêt.
    C'est incroyable tout ce qui se trame dans notre dos, par nos propres élites, c'est de la trahison pur. Après, ceux-ci se demandent; Comment se fait-il que les citoyens deviennent léthargiques et cyniques envers la classe politique?
    Ces politiciens ne voient pas plus loin que le BOUT de leurs NEZS.
    C'est bien d'avoir différentes cultures a travers les pays du monde, mais
    mélanger les cultures a l'intérieur d'une nation est le meilleure moyen de créer des conflits perpétuels.
    Pourquoi pensent-ils que l'on sépare les loups des poules?
    Est-ce que nos décideurs se posent des questions sur comment vivront les peuples de cultures hétéroclites a l'intérieur d'une même frontière?
    C'est mélanger les poules, les loups, les ours et les chevreuils dans un même enclos, il y a qui vont disparaître.
    Ces mêmes élites qui sont prêt a ouvrir notre porte de notre nation a des Palestiniens, des Algériens, des Syriens ou peut importe quels pays, se posent ils des questions comment feront ils eux même ou leurs descendants pour aller vivre en Palestine, en Syrie ou en Algérie?
    Ouvrir notre porte de l'immigration a TOUS, est comme si nous laissions nos portes de maison ouvertes et que tous sans discrimination peuvent y avoir accès sans se protéger. Notre NATION c'est notre MAISON. Qui nous protègeras, si nous ne nous protégeons pas nous mêmes.
    Si il doit y avoir mondialisation comme ils le prétendent ces décideurs, TOUS les pays doivent y participer et pas seulement les pays occidentaux de souche européenne.
    J'avais lu un article du dissident soviétique disant qu'il était inquiet du totalitarisme de UE.
    http://www.brusselsjournal.com/node/865
    A propos de la gouvernance mondiale l'ONU en fait parti.
    M. Daniel Johnson et l'environnement a l'ONU, le réchauffement ou changement climatique est une arnaque des manipulateurs mondiaux, pour vider les poches des occidentaux et détruire leurs économies, car il y a seulement les pays occidentaux qui sont visés.
    http://www.climatedepot.com/2011/12/09/exclusive-un-climate-draft-text-demands-new-international-climate-court-to-compel-reparations-for-climate-debt-also-seeks-rights-of-mother-earth-2cdeg-drop-in-global-temps/
    M. Couillard dit a La Presse au cour de la semaine passée, qu'il tient a la taxe sur le carbone, c'est un autre moyen de venir vider nos poches avec une taxe déguisée.
    Les Barons du réchauffement climatique; Suivez l'argent.
    http://www.objectifliberte.fr/2009/10/les-lobbys-du-rechauffement-climatique.html

  • Louise Martineau Répondre

    23 mars 2014

    Patrice, je constate que vous avez une bonne vue d’ensemble. Peut-être serez-vous intéressé à un article qui a nécessité des années de recherche et des mois d’écriture. Bien documenté, il contient 203 notes de bas de page. Il présente un côté moins apparent des plans et des alliances de notre élite québécoise mondialisée. À la lecture de ceci, vous comprendrez mieux pourquoi nos gouvernements successifs acceptent ces traités comme l’AÉCG Canada UE. Vous en apprendrez sur Lisée, son adjointe, leur réseau et activités nord-américains. Qui est Stephen Blank du CFR nommé Chevalier de l’Ordre du Québec par Landry? Qui est Robert Pastor? Les réunions secrètes de PM Johnson avec la crème militaire US. Comment la Charte de laïcité, en transformant la Charte des droits, pourra servir à invalider la Loi 101. etc. L’article: Québec: pays ou région administrative du gouvernement mondial? Le lien: http://louisedequebec.com/quebec-pays-ou-region-administrative-du-gouvernement-mondial/
    Merci

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    23 mars 2014

    Québec solidaire de Couillard.
    Dans la vraie vie, la mission première de Québec solidaire est de favoriser le retour des libéraux au pouvoir. Si cela devait arriver, oubliez le reste.
    La vrai nature de QS :
    Ce parti n'a qu'un objectif : abattre le Parti québécois.
    DossierQS.com
    JCPomerleau