Retour aux projets québécois et wallons des années 60

Chronique de José Fontaine

Cela ne m’a pas gêné, la semaine passée, de m’en prendre à l’article de Benoît Bréville (dans Le Monde Diplomatique), sur ce qu’il appelait « l’effacement » de la « révolution tranquille ». Le mouvement québécois d’émancipation y est lié, chose très caractéristique de l’esprit des années 60 en Europe, dans le monde développé et, plus généralement, dans le monde. Le philosophe wallon Edouard Delruelle soulignait, la semaine passée, dans mon école, de manière impressionnante, que la période 1945-1975 avait été marquée partout par des progrès sociaux considérables, suivie de régressions graves ensuite. Cette régression se marque aussi dans les imaginaires ou les représentations de l’avenir. Les parents de l’après-guerre espéraient à peu près tous un avenir meilleur pour leurs enfants. Je me suis marié en 1976 avec le même espoir. L’un des textes de Vatican II sur L’Eglise et le monde commence par les mots « Gaudium et spes », soit « les joies et les espoirs du monde présent que l’Eglise fait siens ».
Plus personne n’oserait aujourd’hui parler des espoirs et des joies du monde présent ! Depuis 1980, à peu près dans tous les pays du monde, on a assisté à une série continue de politiques d’austérité au bout desquelles des améliorations nous étaient promises, mais qui furent toutes de nouvelles politiques de restrictions ! Le seul avenir certain c’est leur poursuite indéfinie tellement ceux qui nous gouvernement nous les re-proposent avec ardeur et le même mensonge à la bouche chaque fois – cela ira mieux demain. Dans les statistiques des revenus de tous les pays du monde, la part des revenus liés au travail ne cesse de se dégrader au bénéfice des revenus liés à la propriété.
L'horreur économique
Tout ceci a un rapport direct avec le nationalisme wallon ou le nationalisme québécois. Le nationalisme wallon (qui préfère se dire « régionalisme »), a coïncidé avec la montée en puissance du syndicalisme dans les années qui ont suivi la Deuxième guerre mondiale. A la veille de contraindre le roi Léopold III à l’abdication André Renard écrivait dans La Wallonie le 29 juillet « Aujourd'hui, les travailleurs qui ont assez prouvé, de 1945 à 1950, qu'ils étaient les principaux artisans de la prospérité nationale n'ont que faire d'entretenir des richesses pour le compte des autres. Quand la démocratie, la liberté et la justice sont menacées, il ne s'agit pas d'accorder à un régime, essentiellement anti-ouvrier, la moindre concession. » (1) Cette idée que « les travailleurs sont les principaux artisans de la prospérité nationale » demeure tout aussi pertinente, mais elle a perdu son caractère opératoire. On a proposé à cela mille explications, mais elles ne convainquent finalement pas. D’autant que la richesse globale des sociétés dans le monde développé double tous les 40 ans. Ce qui n’empêche pas que, contre toute raison, on présente l’allongement du temps de travail comme la seule façon de résoudre le problème des retraites. Comme si l’avenir des retraites était lié aux seules cotisations sociales alors que l’on sait que les PNB actuels sont au moins deux à trois fois plus importants qu’en 1950.
La différence c’est que la part du PNB qui allait autrefois au monde du travail est de nouveau accaparé lentement, % par %, par les groupes sociaux dominants, que ces groupes dominants n’ont nulle intention de mettre fin à cet accaparement. Au contraire, les patrons, en Wallonie et en Belgique ont obtenu des réductions colossales de leurs cotisations à la sécurité sociale (27 milliards d’€ de 1999 à 2007 : dont 8 milliards en Wallonie). Ces soi-disant réductions sont en réalité des dépenses de l’Etat (les bonnes dépenses, celles qui vont aux riches). Or on nous dit qu’il va falloir économiser dans les années à venir une bonne vingtaine de milliards d’€. Ces réductions des dépenses de l’Etat n’iront certes pas supprimer ces réductions consenties au patronat, mais couperont dans les dépenses publiques utiles à tous. Le Royaume Uni annonce une diminution de 8% de celles-ci et des dizaines de milliers de gens à la rue.
Des militants wallons et québécois hypermodernes
Ce qui essouffle peut-être tant le régionalisme wallon que le nationalisme québécois c’est qu’ils ne soient plus porteurs de représentations d’un avenir meilleur liées à la nécessaire émancipation nationale. Cette émancipation demeure absolument nécessaire, mais si elle veut retrouver son souffle, elle doit mettre radicalement en question des sociétés développées en train de sacrifier de plus en plus aux banques la seule source réelle de richesse, c’est-à-dire les êtres humains, les travailleurs. Il ne s’agit même pas de dire que le nationalisme aujourd’hui devrait être de gauche par exemple. Il s’agit de voir que le Québec et la Wallonie sont perdus comme nations s’ils ne renouent pas avec l’esprit des années 60.

Ce n'est pas parce que la revendication québécoise et wallonne serait trop étroite ou pas assez moderne qu'elles s'essoufflent, c'est parce que dans le monde de plus en plus horrible où nous pénétrons, tout ce qui va au fond des choses, tout ce qui grandit vraiment l'être humain est bafoué et rabaissé. Comme l'a montré Christian Traisnel, les militants wallons et québécois, dans un monde qui renie la Modernité, sont, eux, hypermodernes
P. Theunissen, 1950: Le dénouement de la question royale, Complexe, Bruxelles, 1986, pp. 111-112.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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