Russie-Turquie : Erdogan a plus besoin de Poutine que l'inverse

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Une alliance fragile


Après le coup d'Etat manqué en Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan essaie de jouer sur plusieurs tableaux en se rapprochant de la Russie et d'Israël sans abandonner le dialogue avec l'UE et l'OTAN, estime l'analyste Cyrille Bret.

RT France : Les relations entre la Russie et la Turquie étaient plus que tendues après l’incident de l’avion russe, abattu en novembre 2015. Comment rencontre de deux présidents est-elle devenue possible ?

Cette rencontre est sans doute plus importante pour le président Erdogan que pour Vladimir Poutine dans la conjoncture actuelle

Cyrille Bret (C. B.) : La première des conditions à remplir tient en les excuses du président Erdogan aux autorités russes et à la famille du pilote abattu lors de cet incident au Moyen-Orient, c’est le prérequis absolu. La deuxième condition, je pense, c’est une évolution du statut de la Turquie après les excuses et surtout après le coup d’Etat manqué contre Recep Tayyip Erdogan. Le président a indiqué qu’il s’était senti livré à lui-même par l’Union européenne et par les Etats-Unis et l’OTAN. Donc cette rencontre, pour le président Erdogan, est une occasion de trouver un partenaire ayant un statut géopolitique mondial qui lui fait défaut actuellement. Cette rencontre est sans doute plus importante pour le président Erdogan que pour Vladimir Poutine dans la conjoncture actuelle. Pour résumer, la première condition, ce sont les excuses des autorités turques et la deuxième – l’isolement dans lequel Recep Erdogan se sent enfermé après la tentative de coup d’Etat et la répression qu’il a engagée contre les rebelles.

C’est une façon pour Recep Tayyip Erdogan de trouver dans la puissance globale russe une alliance de revers

RT France : La rencontre avec Poutine, témoigne-t-elle du fait que le président Erdogan a perdu tout espoir au niveau européen ? Un chercheur allemand a dit que cette rencontre montrait qu'il n’ avait plus confiance en l’Union européenne.

C. B. : Cette analyse-là me semble un peu radicale. En tant que président, Recep Tayyip Erdogan joue sur plusieurs tableaux à l’échelon international : il s’est rapproché d’Israël, il a  essayé à plusieurs reprises de se rapprocher de l’UE et de faire jouer la solidarité otanienne contre la Russie. Je pense que c’est une façon pour lui de trouver dans la puissance globale russe une alliance de revers. Mais il va continuer à nourrir un dialogue très fourni avec l’Allemagne et l’UE, ne serait-ce que pour obtenir ce à quoi il tient à l’égard de l’UE, notamment la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs voyageant dans l’UE. Je pense que, moins qu’une alternative la Russie ou les Occidentaux, la Turquie d’Erdogan est en train de jouer l’un et l’autre, la Russie et les Occidentaux.

La portée économique en matière agricole et touristique et à plus long terme en matière énergétique est importante pour cette rencontre

RT France : Pensez-vous que cette rencontre entre la Russie et la Turquie, ait plus d’importance au niveau politique ou économique ?

C. B. : Je pense que l'angle économique est plus important que la portée diplomatique, puisque je vois mal, d’un point de vue diplomatique ou militaire, un alignement complet entre les deux anciens rivaux qui se sont affrontés durant trois siècles de rivalité autour de la mer Noire. Je crois que c’est plutôt l'angle économique. En tout cas cette rencontre a plus d’importance pour la Turquie et l’économie turque que pour l’économie russe. Suite aux vives tensions des derniers mois, la Russie a évidemment pris des sanctions à l’égard de la Turquie. Cela a eu une influence sur le tourisme - le tourisme c’est 4% du PIB de la Turquie -, sur l’agriculture - les exportations agricoles vers la Russie représentent bien plus de 10% du PIB turc. Je pense que la reprise des flux touristiques de la Russie vers la Turquie et des flux agricoles de la Turquie vers la Russie aura une signification sur le long terme. Comme l’a dit le président Poutine, ça prendra du temps. Quand on en vient au dossier énergétique, notamment le gazoduc, on sait bien en Russie et en Europe que ce sont des projets qui demandent des partenariats de très long terme et ne produisent pas des effets immédiats. Donc, je pense que la portée économique en matière agricole et touristique et à plus long terme en matière énergétique est importante.

Si j’étais les autorités russes, je ne me fierais pas trop aux autorités turques

RT France : Сertains experts estiment que cette rencontre de Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan pourrait contribuer à faire avancer les choses сoncernant la situation en Syrie. Pensez-vous que cela pourrait être le cas ?

C. B. : Non, la Russie est, depuis presque un an maintenant, la puissance internationale qui prend l’initiative en Syrie et a un rôle de leader qu’on le veuille ou non, que l’on soit d’accord ou non. En même temps la Turquie est assez suiviste et défend un agenda et des objectifs beaucoup plus limités. Si j’étais les autorités russes, je ne me fierais pas trop aux autorités turques pour aligner mes objectifs avec elles. Car le but de Recep Tayyip Erdogan à l’égard du régime de Bashar el-Assad ou des minorités sunnites en Syrie peuvent difficilement être alignés avec les priorités russes énoncées le 29 septembre à l’ONU par le président Poutine. Je ne pense pas que cela puisse bousculer la donne, je crois que cela consacre une nouvelle fois le caractère de leadership de la Russie. C’est un signe de reconnaissance par la Turquie à la Russie.


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