Quand le premier ministre François Legault et le Dr Horacio Arruda ont commencé à donner un point de presse quotidien sur la crise de la COVID-19, on nous a présenté ce dernier comme étant l’autorité suprême de la Santé publique au Québec.
Plus le temps avance, plus on découvre qu’il n’en est rien. Même si on laisse croire que le Dr Arruda a un droit de veto sur toutes décisions relatives à la gestion de cette crise, on voit bien que les décisions sur le déconfinement sont prises par le gouvernement, ce qui est dans l’ordre des choses.
D’ailleurs, si vous avez déjà jeté un coup d’œil sur l’organigramme du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), vous avez dû remarquer que la Santé publique est un service comme un autre au sein de ce ministère et que le Dr Arruda y a un statut de sous-ministre adjoint, relevant du sous-ministre en titre, Yvan Gendron. Un parmi dix.
Or, voilà qu’un excellent dossier de La Presse (29 mai 2020) nous apprend que les directeurs régionaux de la santé publique ne relèvent pas du Dr Arruda. Fruit de la grande réforme de structure de l’ex-ministre Gaétan Barrette, on les a plutôt rattachés à un directeur général adjoint d’un Centre intégré universitaire de la santé et des services sociaux (CIUSSS). Ces structures ont remplacé les agences régionales de la santé et des services sociaux qui coordonnaient les services de santé au sein d’une région.
À Montréal, la directrice régionale de la santé publique, Dr Mylène Drouin, relève d’un directeur général adjoint du CIUSSS du Centre-sud-de-l’île-de-Montréal. Sur l’île de Montréal, il y a quatre autres CIUSSS et d’autres établissements (dont l’Institut Pinel, l’Institut de cardiologie, le CHU Ste-Justine, etc.), qui ont tous du personnel en santé publique, qui relève de leur entité respective sur le plan administratif.
Sur la Rive-Sud de Montréal, la directrice régionale de la santé publique, Dr Julie Loslier, est dans la même situation. Elle relève de la direction générale du CIUSS de la Montérégie-Centre, dont fait partie l’Hôpital Charles-Le Moyne, mais on y retrouve aussi deux autres centres intégrés de santé et de services sociaux, les CIUSSS de la Montérégie-Est (Hôpital Pierre-Boucher) et de la Montérégie-ouest (Hôpital de Châteauguay), qui ont aussi leur propre personnel en santé publique.
La santé publique vit des difficultés semblables dans les régions où il existe plus d’un grand centre de santé et de services sociaux (comme à Québec et à Sherbrooke), mais celles-ci sont moins grandes que sur l’île-de-Montréal, d’une part, à cause du grand nombre d’établissements de santé qu’on y trouve, et, d’autre part, parce que cette région est de très loin la plus infectée par le coronavirus.
Directive du sous-ministre
La coordination des nombreuses activités relevant de la santé publique était à ce point difficile que, selon La Presse, le sous-ministre du MSSS, Yvan Gendron, a dû émettre une directive pour demander aux CIUSSS et aux autres grands établissements de santé de rendre leur personnel disponible aux directions régionales den la santé publique.
Autre aberration, les personnels de la santé publique communiquent encore souvent par télécopie (fax), une antiquité, ce qui démontre le peu de poids que ces services occupent au sein des mégastructures des services de santé du Québec.
Ajoutons à cette situation inefficiente le fait que la coordination de la crise actuelle se fait de Québec, alors que celle-ci se vit à Montréal, à Laval, dans Lanaudière, en Montérégie et dans les Laurentides, cinq régions limitrophes, où l’on dénombre 87% des cas recensés au Québec. De toute évidence, c’est à Montréal qu’aurait dû être située cette cellule de gestion de crise.
Il est maintenant archi-prouvé que la Santé publique, dont le budget a été coupé de 30% sous l’administration d’un trio de médecins spécialistes (Philippe Couillard, Gaétan Barrette, Roberto Iglesias, alors secrétaire général du gouvernement), n’était aucunement préparée à affronter une pandémie.
La Santé publique est toujours un parent pauvre du système de santé, comme le sont les centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) et la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), qui fait actuellement l’objet d’une commission d’enquête publique, toute l’attention étant portée sur les grands hôpitaux et les médecins.
Ces enjeux n’ont rien de neuf, mais c’est lors d’une crise que l’on en voit les conséquences dramatiques.
À l’instar de la gouvernance des CHSLD et de la DPJ, celle de la Santé publique est également à revoir. Cela en fait beaucoup, mais a-t-on vraiment le choix quand l’ensemble de la société subit les effets désastreux de la gouvernance de broche à foin existant dans la gestion de nos soins de santé ?
* Jean-Paul Gagné est co-auteur, avec Daniel Lapointe, de l'ouvrage «Améliorez la gouvernance de votre OSBL: un guide pratique» (Les Éditions Transcontinental, 2019, 282 pages)