ANTICOSTI ET EXPLOITATION DES HYDROCARBURES

Soyez raisonnable, Monsieur le Premier Ministre

Votre sens de la «responsabilité» s’inspirera-t-il de l’Alberta et du Dakota du Nord ou de la Suède et du Danemark ?

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{{Priorité au bien commun}}

Monsieur le Premier Ministre Philippe Couillard,

Il y a 40 ans aujourd’hui, le 22 avril 1974, le gouvernement du Québec procédait à l’expropriation de l’île d’Anticosti, au nom de la défense de l’intégrité du territoire. Depuis ce jour, Québec se considère comme propriétaire de l’île et de l’ensemble de ses ressources, y compris les ressources « en huile », comme on disait à l’époque.

En 1974, Anticosti est la propriété de la forestière Consolidated Bathurst. La coupe de bois n’y étant plus une bonne affaire, la « Consol » a annoncé quelques mois plus tôt aux résidants de Port-Menier la « fermeture de l’île ». Puis elle a entrepris des négociations avec le gouvernement du Canada pour s’en départir à bon prix. Peu avant que le fédéral, dont le ministre responsable de Parcs Canada à l’époque est Jean Chrétien, n’en vienne à une entente avec la Consol, dont le principal actionnaire est Power Corporation, le gouvernement du Québec a vent de l’affaire. Robert Bourassa fait une offre d’achat à Paul Desmarais qui refuse de vendre à Québec. Alors, dans un geste de défense du bien commun difficile à imaginer aujourd’hui, Québec décide d’exproprier.

Pour la première fois depuis près d’un siècle, Anticosti devient une terre publique où les citoyens pourront aller librement chasser le chevreuil et pêcher, devenir les propriétaires de leur maison et un peu plus maîtres du territoire qu’ils occupent…

À l’heure du réchauffement climatique, la notion de protection de l’intégrité du territoire prend une nouvelle mesure. Et si nous sommes tous responsables du domaine commun, ce geste de défense des intérêts supérieurs du Québec vous interpelle directement.

Votre gouvernement reprendra-t-il les choses là où le gouvernement de Jean Charest les a laissées, en poursuivant l’oeuvre de dépossession du bien public, qui favorise le laisser-faire et le désengagement de l’État au profit d’intérêts privés prêts à sacrifier l’intérêt collectif sur l’autel du rendement à leurs actionnaires ?

Ou suivrez-vous la voie tracée par le gouvernement Marois qui, en annonçant la reprise en main par l’État, du moins en partie, de ses ressources collectives, a favorisé le financement d’une exploitation pétrolière qui pourrait non seulement être néfaste pour nos finances publiques, pour notre économie, mais aussi pour notre environnement, à l’heure où la communauté scientifique nous somme de prendre acte du bouleversement du climat où l’orgie de nos émissions de carbone nous entraîne ?

Ou encore, aurez-vous la sagesse de suivre la voie raisonnable où seront respectées les exigences démocratiques et écologiques que nous sommes en droit de formuler pour que se développe une économie qui soit véritablement viable, porteuse d’une prospérité réelle, pour les citoyens du Québec, et par les gens de Port-Menier.

Il y a 50 ans, dans un extraordinaire effort de volonté politique et à la suite d’un exercice exemplaire de démocratie — qui nous fait assurément défaut présentement, le Québec a fondé sa modernité énergétique selon deux valeurs fondamentales : le partage de la richesse et une énergie propre.

En vue d’obtenir la sanction du peuple, le ministre des Richesses naturelles René Lévesque ira démontrer aux quatre coins du Québec la nécessité de ce qu’il appelait « le règlement raisonnable d’une situation parfaitement absurde ».

Aujourd’hui, ce qui est raisonnable, c’est de se mettre à l’écoute de la raison scientifique, et économique, qui exhorte les gouvernements du monde entier à désinvestir dans les combustibles fossiles et à laisser sous terre la grande majorité des ressources connues en pétrole et en gaz pour éviter que le bouleversement climatique ne dégénère en catastrophes.

Aujourd’hui, ce qui est absurde, c’est de se lancer à la recherche des nouvelles réserves d’un pétrole parmi les plus sales et les plus polluants de la planète, au nom d’une prétendue indépendance énergétique, sans débat public ni étude environnementale, alors que le Québec ne dispose ni d’un plan crédible d’atteinte de ces objectifs de réduction de GES, ni d’une mise à jour de sa politique énergétique, ni d’une loi sur les hydrocarbures.

Aujourd’hui, la nécessaire et inévitable révolution énergétique à laquelle nous sommes conviés doit se faire dans le respect des limites des ressources de notre planète, à commencer par celles dont nous contrôlons le développement sur notre territoire. Nous en appelons à un plan et à une stratégie énergétique à la hauteur de notre potentiel et de nos exigences, comme citoyens du Québec et comme citoyens du monde. Et la preuve reste à faire que cette stratégie passera par l’exploitation du pétrole d’Anticosti.

Durant la campagne électorale, vous vous êtes dit « favorable à l’exploitation des hydrocarbures de façon responsable ». Votre sens de la responsabilité sera-t-il inspiré de l’Alberta et du Dakota du Nord, où la dévastation du territoire se déroule selon les plus hauts standards de respect de l’environnement ? Ou votre politique s’inspirera-t-elle plutôt de la Suède et du Danemark, deux pays parmi les plus verts et les plus équitables au monde, qui se sont dotés de plan crédible de sortie du pétrole et qui misent sur l’exigence écologique pour stimuler l’innovation et la création d’emplois axés sur un savoir-faire porteur d’avenir et d’une grande fierté ?

Depuis des mois, par l’effet d’un raccourci qui fait insulte à l’intelligence, la classe politique laisse croire à la population qu’en investissant 115 millions, on pourra récolter 45 milliards de bénéfices ! Alors que nous savons pertinemment qu’il faudrait des milliards et des années d’investissements avant de toucher aux très hypothétiques redevances provenant de cette exploitation, ces formules de la pensée magique ne sont pas à la hauteur des exigences que nous sommes en droit de poser.

Le Québec ne doit pas faire l’économie d’une approche rigoureuse, transparente et démocratique. Et il revient au peuple de décider de l’usage sage, viable et raisonnable qui doit être fait de nos ressources collectives dont nous demeurons les propriétaires et dont l’État n’est que le fiduciaire.

La décision d’exploiter le pétrole d’Anticosti ne saurait se prendre sans le consentement préalable, libre et éclairé des citoyens.

Quand, en 2007, le gouvernement auquel vous apparteniez a décidé de céder nos droits sur les ressources pétrolières d’Anticosti, cette dépossession du bien collectif eut lieu sans débat public. Depuis au moins deux ans, aucun membre du gouvernement n’a mis les pieds sur Anticosti. Aujourd’hui, en ce jour anniversaire, souhaitons que votre gouvernement soit digne du geste fait il y a 40 ans par un État capable de se porter véritablement à la défense du bien commun.


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