Les Québécois, c’est bien connu, ne s’intéressent guère au Canada, à sa vie culturelle aussi bien qu’à son imaginaire politique. C’est sans doute pour cela qu’ils ont aussi allègrement voté pour des pancartes orange. Et qu’ils continuent de vivre dans un univers pusillanime où la minimisation des pertes fournit les ressorts les plus puissants du consentement à la minorisation. Il y a deux nations dans le même État et l’une ignore l’autre pour n’avoir point à y reconnaître le visage de sa propre soumission pour l’une, pour travestir sa domination en hauteur morale pour l’autre. C’est un bien curieux attelage que cette patente canadian et pourtant, ça marche !
Et ça marche d’autant mieux que la censure fournit le lubrifiant qui atténue le bruit de tout ce qui pourrait grincher aux entournures. Mais l’ignorance n’a pas les mêmes effets dans les deux sociétés. Les Québécois ne sont ignorants, voire indifférents, à la culture canadian, que pour mieux plomber leur propre mémoire. C’est l’amnésie qui charpente le rapport politique tordu et l’oblitération culturelle qui soudent les Québécois dans l’impossibilité de se penser dans leur relation avec le Canada autrement que dans les termes de l’agitation politicienne.
La culture québécoise reste prisonnière d’une double contrainte qui l’enferme dans une impossibilité de se poser comme norme de sa propre nation tout en se revendiquant de sa différence. Le Qué-Can lui tient lieu d’horizon. Ce Qué-Can de la culture usurpée qui la fait rayonner dans le monde par les bons offices des ambassades canadian. Le Qué-Can de l’ambivalence et de l’ambiguïté dans sa propre maison où elle ne se pose que pour mieux nier ce qui l’oppose à l’anglosphère canadian et l’enferme dans la représentation dédoublée du bilinguisme de façade. Ce Qué-Can-là remplit une fonction bien précise : le refus de poser les rapports entre les deux nations dans l’ordre du conflit des légitimités.
Et pourtant, soit la culture est souveraine, soit elle est subordonnée. Soit un peuple est à lui-même sa référence, soit il se coule dans un incessant processus qui le déporte à la périphérie de lui-même. Hubert Aquin avait jadis bien situé les enjeux pour notre culture de la lutte contre ce Qué-Can et son amnésie constitutive. Il avait bien pointé les carences mémorielles dont il faut s’affranchir pour vivre libre et donner à notre culture la certitude ontologique sans laquelle aucune transmission n’est pleinement féconde. Il faut venir à bout du Trou de mémoire.
Guy Bouthillier et Édouard Cloutier viennent de faire paraître un livre (Trudeau et ses mesures de guerre) qui devrait inaugurer une ère nouvelle, celle de la fin de l’innocence. Qu’il est accablant ce livre ! On le verra dans l’entrevue que les auteurs accordent à notre collaborateur Michel Rioux, la relation Québec-Canada est malsaine à tous égards. L’esprit conquérant, les rationalisations d’occupants, la logique de la soumission traversent de part en part, les interprétations de la Crise d’octobre. La raison d’État canadian s’est imposée avec une force et une efficacité qui n’ont guère été saisies ni même pensées dans la représentation que les Québécois se sont faits de cette agression. Partout dans cette anthologie s’impose un terme et une référence : c’est une guerre que la Canada a livrée non pas aux felquistes mais bien à la nation québécoise. Une guerre civile, menée avec le concours d’une cinquième colonne de Québécois/Canadian inconditionnels, mais surtout une guerre menée par l’État canadian avec tous les moyens et les buts d’une guerre psychologique.
La guerre ! La guerre ! Bouthillier et Cloutier la débusquent ici comme un impensé dans la culture québécoise contemporaine. Et c’est là une contribution majeure. Les textes réunis dans leur ouvrage montrent a contrario jusqu’à quel point les représentations que les Québécois se sont faites et se font encore de leur situation nationale sont pusillanimes. Ils se pensent encore dans le registre de la négociation, du dialogue difficile et de la persuasion alors qu’ils ont affaire à une raison d’État qui poursuit une guerre de conquête.
C’est pour avoir refoulé le travail critique et de mémoire sur cet épisode sombre que les Québécois resteront incapables de se penser dans les autres défaites qui en ont découlé. Incapables de se penser dans le conflit, les Québécois se sont enfermés dans le déni et notre culture reste singulièrement muette sur l’interrogation des grandes défaites des dernières décennies.
Il faut lire ce livre en l’inscrivant dans le registre culturel d’abord. Cette façon de revenir sur les conceptions et les analyses produites par des Canadians nous conduit à une véritable mise en abîme non seulement de la pensée politique québécoise contemporaine mais encore et surtout de la représentation de soi. Sans la pensée de la guerre psychologique déclenchée contre notre peuple, il est impossible de réfléchir correctement au devenir de la culture puisque c’est elle qui est la cible principale. Il devient impossible de saisir l’action culturelle d’Ottawa quand on refuse de penser que l’enjeu est celui de la « conquête des esprits ». Il reste impossible de saisir la dynamique du canadian nation building et de ses effets les plus pernicieux.
Dès lors qu’il est question de ramener les choses à l’essentiel, la réalité s’impose pourtant de manière aussi crue que limpide. Le Canada a toujours réagi aux gestes d’affirmation du Québec en les situant dans le registre de l’agression. Loi 101, référendums, tout cela a pourtant été bien décrit par les fiers-à-bras du programme des commandites : le Canada était en guerre et cela justifiait les moyens. Même Jean Pelletier, le sinistre personnage, s’en est ouvert lâchement dans ses mémoires posthumes. Le Canada se conduit comme une force d’occupation et les Québécois, à commencer pour leurs élites politiques, font tout pour ne pas le reconnaître. Ce déni agit comme un lubrifiant et c’est lui qui pervertit notre rapport au monde.
Penser Octobre 70, c’est penser le travail de la domination sur la pensée de la libération. C’est un ouvrage important que ce livre, un ouvrage sans doute inaugural. Il devrait marquer la fin des illusions. Le Québec ne gagnera son droit de vivre que de haute lutte. Et cette lutte, elle se mènera d’abord sur le front culturel, sur celui de la pensée capable de ruser avec la raison d’État qui vise la conquête des esprits. Il faudra cesser de considérer comme obscène la pensée que notre existence est trop inoffensive pour nous valoir le déploiement de l’hostilité. Nous ne sommes pas condamnés à vivre en mode mineur.
Éditorial du numéro Automne 2011 des Cahiers de lecture
Trou de mémoire
Incapables de se penser dans le conflit, les Québécois se sont enfermés dans le déni et notre culture reste singulièrement muette sur l’interrogation des grandes défaites des dernières décennies.
Chronique de Robert Laplante
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]
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