ÉLECTIONS 2019

Trudeau demande 51 000$ à chaque député

Les objectifs de financement électoral ont pourtant été jugés dangereux devant la commission Charbonneau

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Le PLC ne change pas


Le premier ministre Justin Trudeau exige que chacun de ses députés québécois sortants amasse au moins 51 000 $ en financement s’il souhaite se représenter pour le Parti libéral du Canada à la prochaine élection, a appris notre Bureau d’enquête.


Les exigences de financement sont disparues au Québec depuis la commission Charbonneau et les fameux « ministres à 100 000 $ » du Parti libéral du Québec. Elles rendaient les élus vulnérables à la corruption. Ces exigences sont de retour, mais cette fois en politique fédérale.


Le parti de Justin Trudeau a présenté à ses députés un nouveau système de gestion des candidatures avec des objectifs très précis de financement.


De tels objectifs n’existaient pas au PLC lors de la dernière campagne électorale, en 2015.


Tous les candidats sortants doivent trouver 30 nouveaux donateurs qui s’engageront chacun à fournir au moins 10 $ par mois au « Fonds de la victoire » du PLC.


Ils doivent également obtenir des sommes correspondant à la moitié du plafond des dépenses permises dans chaque circonscription par Élections Canada.


Beaucoup d’argent


Dans le cas des 39 députés libéraux qui se présentent à nouveau en octobre, cela représente un minimum de 51 000 $ à récolter durant les trois premières années du mandat (voir tableau ci-contre).


Les nouveaux candidats n’ont pas un tel objectif.


Le PLC est le seul des trois partis fédéraux qui aspirent au pouvoir à exiger un seuil de financement à ses députés sortants.


« Pour moi, c’est une pratique rétrograde qui est à proscrire complètement. Associer la possibilité de se représenter en politique à un quota de financement est une idée dangereuse, s’étonne Luc Bégin, professeur d’éthique appliquée à l’Université Laval.


« Le simple fait que le parti accepte cette façon de procéder m’en dit long sur son peu de souci en matière d’intégrité », ajoute-t-il.


Le rapport de la Commission Charbonneau, en 2015, condamne sévèrement la pratique de quotas de financement.


« Des témoins [à la commission] ont souligné la pression que ressentaient certains ministres quant aux objectifs de financement qui leur étaient fixés. Ces pratiques ont rendu des élus vulnérables, de différentes façons, aux influences extérieures en matière de financement politique lié à l’octroi de contrats publics. Il est donc nécessaire de couper complètement ces liens », peut-on lire dans le rapport.








Qui sont les hommes et les femmes derrière nos politiciens? Emmanuelle présente... un balado animé par Emmanuelle Latraverse.





Les 100 000 $ de Charest


Ce passage faisait référence aux 100 000 $ qui étaient demandés chaque année aux ministres du PLQ à l’époque où il était dirigé par Jean Charest.


Au PLC, on balaye du revers de la main les inquiétudes en indiquant notamment qu’Élections Canada a des règles très strictes entourant les dons.


« Les critères de financement ne causent pas de problème. Le système au Canada est un des plus réglementés au monde. [...] Il faut transmettre des rapports trimestriels sur qui nous a donné l’argent », explique Azam Ishmael, directeur national du PLC.


« Nous avons aussi mis en place les règles les plus transparentes au Canada vis-à-vis nos événements de financement. Nous avons des listes publiques de qui est présent à nos levées de fond, combien ça coûtait, etc. Aucun autre parti ne fait la même chose », continue M. Ishmael.


Il souligne aussi que le parti préfère se concentrer sur les inscriptions au « Fonds de la Victoire », où chaque membre donne un plus petit montant, mais sur une base mensuelle.


Les sommes qu’ils doivent amasser


Comment fait-on le calcul ?


Le PLC prend le plafond des dépenses autorisées dans chaque circonscription, qui est calculé en fonction du nombre d’électeurs, et le divise par deux. Chaque député sortant qui veut se représenter devra amasser cette somme.


Des objectifs pour les autres comtés


Dans les circonscriptions où le député n’est pas libéral, le PLC exige que chaque association de comté amasse au minimum 15 % du plafond des dépenses électorales avant le déclenchement de la prochaine élection. De plus, le parti demande que l’association trouve 15 nouveaux donateurs mensuels qui adhèrent au Fonds de la victoire.


Appelons ça les « points Justin »


Le PLC note chacun de ses candidats en fonction des appels téléphoniques et du porte-à-porte effectués



Justin Trudeau et la candidate Rachel Bendayan ont fait du porte-à-porte le 28 janvier dernier dans le cadre de l’élection partielle dans Outremont. Frapper à une porte rapporte 1,5 point sur les 5000 points que doit accumuler chaque candidat.

Photo d'archives, The Canadian Press

Justin Trudeau et la candidate Rachel Bendayan ont fait du porte-à-porte le 28 janvier dernier dans le cadre de l’élection partielle dans Outremont. Frapper à une porte rapporte 1,5 point sur les 5000 points que doit accumuler chaque candidat.




Il n’y a pas que le financement des candidats qui est surveillé à la loupe au Parti libéral du Canada. Ils sont aussi rigoureusement suivis par un système de points.


En vertu du nouveau système des troupes de Justin Trudeau, tous les députés qui voudraient se présenter à nouveau en octobre doivent cumuler au moins 5000 « points » en contactant des électeurs dans leur circonscription au cours d’un mandat.


Chaque appel téléphonique et chaque opération de porte-à-porte compte.



L’application mobile utilisée par le PLC pour tenir les comptes.

Capture d’écran du site liberalist.liberal.ca

L’application mobile utilisée par le PLC pour tenir les comptes.




Toutes les actions qui rapportent des points doivent être enregistrées dans le logiciel de gestion électorale du parti, appelé Libéraliste, faute de quoi elles ne seront pas comptabilisées dans le total du député.


À cela s’ajoute la participation obligatoire à deux « Journées d’action » du parti, soit des événements formels organisés par la direction nationale durant lesquels les bénévoles et députés font des blitz de porte-à-porte, par exemple.


Travail sur le terrain


À l’aube des dernières élections, en 2015, le PLC était la deuxième opposition et avait donc moins de députés, d’argent et de structure. Une situation très différente de 2019, où le parti se battra cette fois pour continuer à former le gouvernement.


D’où le nouveau processus de suivi annoncé en 2018 aux députés libéraux après plusieurs mois de consultation.








« Nous voulons que les affaires en comté soient en ordre », explique Azam Ishmael, directeur national du PLC.


Selon lui, en 2015, plusieurs nouveaux députés se plaignaient d’un manque de fonds et de bénévoles.


« On s’est donc dit qu’avec ces [nouveaux] critères, il y aura dorénavant de l’argent dans le compte de banque, un peu d’action sur les portes et que la machine de comté sait comment travailler », continue-t-il.


Est-ce que le premier ministre a rempli ses conditions de nomination ?


De la grogne en région


« Oui, son équipe et lui ont tout accompli », assure en rigolant M. Ishmael.


Mais ce système ne fait pas le bonheur de tous. Plusieurs sources au sein du PLC ont confirmé sous le couvert de l’anonymat que plusieurs députés dans des circonscriptions rurales trouvent qu’ils sont désavantagés comparativement à leurs collègues en milieu urbain.


« C’est pas mal plus facile de faire ses points quand on peut entrer dans une tour à condos et cogner à 100 portes en une heure, tandis que d’autres doivent voyager trois kilomètres entre deux adresses », a illustré une source.


Même le directeur national du parti admet qu’il y a eu un peu de grogne chez certains à l’annonce des nouveaux critères de nomination en 2018.


« C’est pour ça qu’on a inclus la possibilité de faire des appels plutôt que juste pouvoir cogner à des portes. On sait que d’aller aux portes au Yukon n’est pas la même chose qu’à Toronto », dit Azam Ishmael.


Comment accumuler des points ?


Pour engranger des points dans le logiciel Libéraliste, les députés et leurs équipes ont deux options.



  • 1 point pour chaque appel fait à un électeur

  • 1,5 point pour chaque porte à laquelle cogne un bénévole ou le député lui-même


Les candidats doivent donc avoir fait au moins 5000 appels ou cogné à au moins 3500 portes, ou un mélange des deux équivalant à 5000 points.


Peu de critères pour les autres partis


Contrairement aux libéraux fédéraux, les conservateurs et le Nouveau Parti démocratique (NPD) imposent très peu, voire pas d’exigences à leurs députés sortants s’ils veulent se présenter à nouveau aux élections.


« Pour nos nominations, il n’y a que trois scénarios qui pourraient s’appliquer, et toutes les règles qui les régissent sont très simples. Aucune métrique n’est requise, comme celles que vous avez énumérées [par le Parti libéral] », dit le porte-parole du Parti conservateur du Canada, Cory Hann.


Selon les documents d’investiture du PCC, un député conservateur est automatiquement réinscrit comme candidat, à moins que sa candidature ne soit contestée par un autre membre de son association locale. Dans le cas d’un député élu dans une élection partielle, il est automatiquement le candidat par acclamation.


Nul besoin, donc, de s’engager à amasser un certain montant d’argent ou un certain nombre de nouveaux donateurs pour les troupes d’Andrew Scheer.


Avoir l’argent nécessaire


Même son de cloche chez le NPD, qui indique tout de même dans les documents envoyés aux candidats qu’un de leurs rôles est de « ramasser des fonds afin d’avoir les ressources nécessaires pour mener une campagne locale efficace ».


« On ne demande pas de minimum de financement ou de souscription de fonds, de portes cognées, d’appels aux électeurs, etc. », nuance toutefois l’attaché de presse du NPD, Guillaume Francœur.


Du côté du Bloc québécois, on confirme qu’on exige un quota de financement aux 78 associations de circonscription à travers le Québec. Cette pratique existe depuis la genèse du parti, en 1991.


« Les associations de circonscription ont des cibles annuelles à atteindre en fonction de différents critères, dont le nombre de membres, le profil de la circonscription et l’historique de financement. Pour ce qui est des circonscriptions à députés, elles sont assujetties aux mêmes critères pour le financement annuel », explique une attachée de presse du Bloc, Carolane Landry.


Impossible de savoir à combien se chiffre le montant exigé annuellement de chaque circonscription et député.


« Ces cibles de financement sont déterminées en Conseil général par les représentants des circonscriptions en huis clos », dit Mme Landry.