Le Docteur Gaétan Barrette, président de la Fédération des Médecins Spécialistes du Québec, vient de faire un appel à un débat public sur l'euthanasie. Malgré le ton mesuré de son propos, on sait que les médecins sont confrontés au problème depuis très longtemps. Plus ça va, plus l'interdiction touchant l'euthanasie complique les rapports du médecin avec le patient.
Prenons un cas réel où seuls les noms seront changés pour préserver tout le monde de recours judiciaire. Madame Tremblay a souffert du cancer du côlon. Après des traitements et un rémission passagère de quelques années, madame Tremblay apprend qu'elle a des métastases au cerveau. Le médecin pour suivre le protocole l'informe des traitements possibles pour ralentir la maladie quoique une perte de ses facultés cognitives soit probable. Avec traitement, cette perte aura lieu dans un délai d'un an et demi, sans traitement dans trois mois ou un an.
Madame Tremblay ne se sent pas l'énergie pour entreprendre une chimiothérapie et ne veut pas que ses dernières années de vie soient occupées par une lutte très souffrante. Cependant, suggère madame Tremblay, elle aimerait que le médecin l'aide à rencontrer sa mort quand elle jugera que (ici nous empruntons l'expression de l'écrivain thèque Kafka) elle est devenue "incapable de tout sinon de souffrir".
Que fait le médecin? Il constate le refus de traitement dans un dossier. Madame Tremblay devra se trouver une copie interdite de Suicide Mode d'action, le livre qui a tant fait jaser il y a des années. Elle y apprendra diverses recettes comme de se mettre un sac autour du cou et ingurgiter somnifères et antivomitifs (si elle réussit à s'en faire prescrire). Ou encore, reste la possibilité de se lancer devant le métro, stopper toute la ligne et provoquer un bon choc nerveux au conducteur. C'est que, même face à la mort, madame Tremblay pense aux autres.
Madame Tremblay souhaitait une autre lecture que Suicide Mode d'Action pour ses derniers jours. Sur les instances de madame Tremblay, la famille retourne voir le médecin. Le médecin leur dit qu'il ne peut rien faire et explique à la famille pourquoi, même dans un cas limite, son action se borne à suggérer de nouvelles luttes thérapeutiques à entreprendre pour chacun de ses patients. C'est parce que seul Dieu connaît l'heure de la mort des hommes et que seul, Lui, administre la mort.
- Vous êtes croyant, docteur? demande la famille.
- Non, mais essentiellement, les vérités révélées par diverses religions font en sorte que l'on ne peut aller de l'avant avec l'euthanasie en tant que médecin.
- Pourquoi?
- Cela risquerait de remplacer l'arbitraire de Dieu par l'arbitraire du médecin.
- Oui, mais répond la famille, notre mère ne croit pas de cette façon, la façon des croyances officielles. Elle ne croit pas que sa souffrance l'associe aux souffrances du Christ dans une grande tâche de rédemption. Elle ne croit pas non plus, comme le disent certains boudhistes que les souffrances actuelles rachètent des actions passées en vue d'autres vies. Elle ne croit pas que cela lui ménagera une meilleure place lors d'une prochaine réincarnation. En fait, docteur, vous refusez l'euthanasie sous prétexte que c'est l'unique façon de la soumettre à l'arbitraire de Dieu? Ni notre mère ni nous-mêmes ne croyons qu'il existe une vérité révélée qui nous dit comment Dieu se comporte. À la volonté de notre mère, vous préférez la vérité accumulée de sectes boudhistes, musulmanes ou la volonté d'églises, la volonté de jongleurs de l'au-delà qui nous disent tous qu'attendre la mort dans la souffrance nous prépare mieux à un autre monde. Ma mère croit juste que son monde et le monde en général doivent être le meilleur possible. L'exempter de la souffrance ici-bas, autant que possible, est l'unique moyen de bien rendre la vie plus viable selon notre mère.
***
Alors qu'a fait le médecin? Il a dit qu'une solution était que la maman meure à la maison. Comme la souffrance augmentait, on donnerait les doses de morphine à la mère qui pourrait les administrer elle-même. Elle devait bien savoir qu'une surdose occasionne la mort. Pour justifier ce dosage mensuel prescrit passablement à l'avance, on soulignerait les urgences imprévisibles, le surmenage des infirmières qui n'ont pas le temps de se rendre à la maison.
Commence donc le dernier droit du parcours de madame Tremblay. Elle souffre parfois de paralysie. Souvent ses mâchoires bloquent. Elle n'a pas la coordination réflexe pour se donner la dose mortelle. Elle doit demander à sa famille de le faire pour elle. Elle tente de le faire et, voulant parler, elle doit parfois demander à ses enfants de lui refermer ses mâchoires qui verrouillent.
Elle réussit quand même à communiquer son intention. Ce sont les enfants qui doivent tuer leur propre mère à la morphine. On leur a dit que les médecins n'ont pas le droit de contrecarrer le plan de Dieu. Ils s'entendent pour donner suite à la volonté de leur mère. Première dose... Leur mère tombe en apnée et ils forcent encore plus la dose.
Un appel est logé et on vient récupérer le corps le lendemain. Les enfants pleurent et se répètent à mi-voix qu'ils ont commis un geste héroïque voulu par leur mère. Le médecin, lui, apprend le décès par la rubrique nécrologique.
***
Tout va bien. La société peut repousser le débat sur l'euthanasie. Après tout, on est ainsi persuadé qu'on ne meurt pas arbitrairement et que le médecins ne sont valables que dans la mesure où ils n'usurpent pas le rôle de Dieu.
Plus confortable encore, on n'a qu'à prendre une bonne solution provinciale: se dire que c'est de juridiction fédérale, se demander ce que le Pays en pense, ce que la Peuple du Canada en pense, en se gardant bien de faire le débat. Puis laisser les souffrants et les médecins se débrouiller avec le Plan de Dieu.
André Savard
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