Le Mystère de l'Omission d'enquête

La ploutocratie transnationale a été trop loin et quand on passe devant le campement du carré Victoria, on a de moins en moins le goût de prêcher la mesure, la tempérance des sentiments et des idées. On a de moins en moins le goût de n’y voir qu’un enfantillage.

Chronique d'André Savard

On a beaucoup parlé de ce qui a été nommé plaisamment « Omission d’enquêtes » décrétée par le gouvernement Charest. Omission d’Enquête parce qu’elle n’obéissait pas à la loi des commissions d’enquêtes. De crainte d’annuler les résultats d’enquêtes policières, Jean Charest disait vouloir mettre sur pied un processus qui ne risque pas d’arriver aux mêmes résultats.
Le bâtonnier a blâmé cette commission qui ne fonctionne pas en vertu de la loi et on sait que les autres juges piaffaient devant ce qui constituait un détournement des institutions. En effet, on n’assigne pas un juge en lui disant qu’il va occuper un fauteuil de juge dénué de pouvoir ou de fonction juridique. Il faut savoir dans quoi un processus prend son origine et quels sont ses fondements.
Pour pallier à cette situation irrégulière, le premier ministre a annoncé en plein congrès du parti Libéral que serait octroyé au juge le pouvoir de demander au gouvernement les pouvoirs qui devraient pourtant lui échoir à titre de président de commission d’enquêtes. On ne sait pas pourquoi ces pouvoirs résident en amont et qu’ils doivent faire l’objet de réquisitions de la part du président.
On ne sait pas non plus si un président de commission d’enquête est plus qu’un simple demandeur face au gouvernement. Fait-il des propositions ou des réquisitions pour exercer les fonctions qu'il juge nécessaire? Rappelons-nous que le commissaire Bastarache s’est plaint dans son rapport en page trente de n’avoir pu mener des enquêtes faute d’avoir accès à l’ensemble des documents détenus par le gouvernement. Cette fois-ci, aurons-nous en guise de président de commission un juge qui, comme Bastarache, n’obtient qu’une fraction choisie des documents? Qui plus est, la présidente nommée devra-t-elle remplir des requêtes à la pièce pour exercer ses pouvoirs?
Et dans quelles conditions la présidente fera-t-elle la demande? Si des témoins franchissent certaines limites? Y aura-t-il un principe de condition suffisante à partir de laquelle la présidente pourra exprimer le souhait d'avoir un pouvoir juridique de circonstance? Et ce sera le gouvernement qui organisera l’initiative de la présidente, prenant chaque affaire en main afin d’appuyer le pouvoir de décision du juge? Le juge sera en quelque sorte l’initiateur de son pouvoir de décision, puisqu'il aura le loisir de le demander s'il s'estime en droit de justifier sa demande? C'est quoi ça? Le juge demande des mandats pour être juge à la commission qu'il préside?
***
Le carré Victoria s’est rempli de 200 tentes par temps froid, une température d’une mocheté incroyable qui aurait découragé n’importe qui si la manifestation n’était qu’école buissonnière et concours de tam-tam. On peut ergoter autant qu’on veut sur le profil psychosocial de ceux qui ont planté des tentes et sur leur marginalité. Il y a vingt ans, un tel campement n’aurait pas profité du consensus de la population.
Que s’est-il passé depuis vingt ans? La fameuse formule voulant que le système capitaliste nationalise les pertes et privatise les profits a trouvé des illustrations cinglantes dans la réalité. Auparavant, on se voilait davantage la face.
Tant que les gens avaient un fond de retraite, ils étaient tolérants. Certes, le système avait nationalisé les pertes. Cependant, pour ceux qui avaient un régime d’épargne-retraites, il y avait des retombées. Entre 1980 et 2000, bien des détenteurs de fonds de retraite rêvaient de liberté 55, et ceux qui surinvestissaient en techno espéraient liberté 45.
Avec l’éclatement des technos, la fameuse nationalisation des pertes a commencé à être assumé non seulement par les gouvernements, mais aussi par les détenteurs de fonds de retraite, professionnels, salariés et héritiers qui ont les moyens d’en mettre de côté. Les pauvres se sentaient victimes… comme toujours mais maintenant une grande partie de la population désespère de toucher des dividendes de la part de cette économie mondiale basée sur l’enrichissement spéculatif.
Comme il faut tellement d’argent pour vivre, et qu’il y a tant d’endettement au niveau personnel et gouvernemental, presque tout le monde se sent pauvre. La paix sociale se disloque peu à peu si trop de gens se rangent dans la catégorie des budgets très serrés. À cette étape de l’Histoire, les fonds de retraite, ce dispositif qui semblait investi de la mission de faire participer les gens dits ordinaires à l’enrichissement du grand capital mondial ne marchent plus. Les gens avaient appris à tolérer que leur Etat soit réduit à l’impuissance si eux, de leur côté, pouvaient espérer que les larges profits des multinationales leur assurent la sécurité de leurs vieux jours.
On dit que les insurgés n’ont pas de plan précis. En effet, le mouvement est né d’une condition partagée, de la crainte de ne plus pouvoir garder la tête hors de l’eau. Il est né d’un sentiment d’écoeurement que les gens ont mûri dans leur cœur souvent contre leur gré, car ils auraient préféré pouvoir juste avoir la possibilité de régler convenablement leur sort financier.
On se laissait bercer par le vent. On écoutait la musique des analystes officiels, cette fronde contre les Etats nationaux. On avait appris qu’il était de bon aloi de penser contre les gouvernements nationaux et de juger désuets la social-démocratie et l'autodétermination des peuples.
On a abouti de fil en aiguille à un système économique qui plane au-dessus de l’autorité morale des gouvernements et même de leur autorité tout court. À force de vanter les lois du marché, celles-ci sont parvenues à supplanter la respectabilité institutionnelle des Etats nationaux. La ploutocratie transnationale a été trop loin et quand on passe devant le campement du carré Victoria, on a de moins en moins le goût de prêcher la mesure, la tempérance des sentiments et des idées. On a de moins en moins le goût de n’y voir qu’un enfantillage.
André Savard


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    29 octobre 2011

    Monsieur Savard,
    La situation actuelle aurait dû être réglée dans la vague altermondialiste des années 1999-2000. À ce moment-là, les altermondialistes de Seattle et les autres qui ont suivi avaient raison de dire qu'il était urgent d'évaluer ensemble les effets de la mondialisation capitaliste sur le niveau de vie des populations. Un dialogue entre l'élite financière, les gouvernements et le peuple aurait dû s'établir immédiatement à propos de l'avenir collectif des nations du monde. C'est aussi à cette époque que le regretté syndicaliste Michel Chartrand faisait le tour du Québec pour proposer sa solution, le revenu de citoyenneté universel.
    Mais les événements du 11 septembre 2001 ont annulé les perspectives de dialogue entre les élites et le peuple. Dix ans plus tard, tout ce que l'on reprochait à la mondialisation capitaliste s'est avéré exact et l'appauvrissement des peuples est maintenant un fait accompli.
    On est très en retard pour régler les problèmes maintenant.

  • Archives de Vigile Répondre

    26 octobre 2011

    La situation économique désastreuse que nous subissons ne résulte pas uniquement de la cupidité des financiers et des banquiers bien qu’ils en soient les principaux artisans. Nous avons tous contribué, peut-être sans le savoir, à la création du monstre. Comme le mentionne Monsieur Savard, tous (où presque) espérions des rendements plus ou moins juteux sur nos placements ou sur ceux de notre caisse de retraite, étatique ou pas, pour assurer nos vieux jours ou simplement faire « un coup d’argent », sans se demander qui recevait le coup. Nous étions tous imprégnés de l’idée largement proclamée par les argentiers de ce monde qu’il fallait faire travailler notre argent pour faire de l’argent, ce qui veut dire, en clair, s’enrichir aux dépens du travail des autres. N’est pas là une manifestation patente de la cupidité? Mais les indignés sont-ils affranchis de ce désir effréné de posséder, de cette soif toujours inassouvie de richesses? J’en doute. Peut-être veulent-ils simplement que l’on reconnaisse que la cupidité, bien qu’omniprésente, est une cause importante de nos malheurs et qu’il serait plus que temps de tenter de la « contrôler ». Il nous faut dompter la bête!

  • Archives de Vigile Répondre

    24 octobre 2011

    À propos des campeurs sur la place on peut avoir l'impression que cette saine manifestation d'indignation est vaine, et que malheureusement quand la neige et le froid auront chassé ces campeurs du désespoir rien ne sera réglé.
    Tout cela parce que la solution à la cupidité qui est la cause fondamentale de ce bordel est inaccessible puisque nous avons perdu nos valeurs.
    Et maintenant nous savons que nous nous faisons voler de tous côtés: Dans les caisses publiques comme la caisse de dépôt et dans les fonds communs de placement où sont concentrés l'essentiel de nos REER.