Euthanasie: des risques majeurs

Euthanasie


Antoine Boivin - La commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité étudie la possibilité de légaliser le recours à l'euthanasie qu'elle définit comme l'acte de provoquer intentionnellement la mort d'autrui pour mettre fin à ses souffrances. Les Pays-Bas offrent les meilleures possibilités d'évaluer les conséquences d'une telle législation, puisque l'euthanasie et le suicide assisté y sont encadrés par la jurisprudence depuis les années 80.
Le Euthanasia Act adopté aux Pays-Bas en 2002 permet l'euthanasie et le suicide médicalement assisté lorsque la demande du patient est libre et considérée, que celui-ci vit une souffrance insupportable et sans espoir d'amélioration, et que le médecin traitant a consulté un autre collègue. Le médecin est également tenu de déclarer son geste afin qu'un comité indépendant évalue si les critères de bonne pratique ont été respectés, faute de quoi des poursuites criminelles peuvent être intentées contre lui. Dans le contexte des Pays-Bas, le médecin a donc le double devoir de respecter l'autonomie des personnes demandant une aide à mourir tout en protégeant les personnes qui souhaiteraient vivre.
L'euthanasie est la cause de 2% des décès aux Pays-Bas. La cessation de traitement (arrêt de respirateur ou cessation de chimiothérapie, par exemple), et l'utilisation de médicaments pour le soulagement de la douleur comme la morphine sont des pratiques légales et courantes au Québec, mais ne sont pas des actes d'euthanasie au sens du Euthanasia Act. Il est maintenant bien démontré que l'utilisation appropriée de morphine pour soulager la douleur n'entraîne pas la mort et ce médicament est d'ailleurs déconseillé dans les protocoles d'euthanasie aux Pays-Bas. Les médicaments les plus couramment utilisés à des fins d'euthanasie sont les bloqueurs neuromusculaires qui paralysent les muscles respiratoires et provoquent le décès à court terme.
Plusieurs partisans de la légalisation de l'euthanasie évoquent le droit des patients à l'autodétermination. Or, si l'euthanasie prend pour point de départ la demande du malade, la décision de prescrire et d'injecter le médicament est prise par le médecin. Aux Pays-Bas, 38% des demandes d'euthanasie ou de suicide assisté sont refusées par les médecins et ceux-ci sont plus enclins à accéder aux demandes du malade lorsqu'il y a souffrance physique et moins lorsqu'une telle demande repose sur la perte de dignité. Fait troublant, dans 19% des cas d'euthanasie, le médecin a administré un médicament provoquant la mort sans que le patient en fasse la demande, et parfois sans discussion préalable avec la famille ou un collègue.
On ne peut exclure la possibilité que l'euthanasie ait été pratiquée chez des personnes qui auraient souhaité vivre ou qui auraient changé d'idée à court terme. Aux Pays-Bas, des médecins ont pratiqué l'euthanasie sur des nouveaux-nés, des personnes avec des problèmes de santé mentale, et des personnes âgées atteintes de problèmes cognitifs. Dans une étude menée aux États-Unis auprès de 988 patients en phase terminale, 50% des personnes considérant l'euthanasie ont changé d'idée quelques semaines plus tard.
Selon certains, l'euthanasie existerait déjà au Québec et sa légalisation permettrait un meilleur encadrement des pratiques. Une telle affirmation est doublement critiquable. D'une part, les sondages effectués par les fédérations médicales à l'automne dernier ne permettent pas de conclure que l'euthanasie se pratique au Québec, compte tenu de la formulation des questions («l'euthanasie, sous diverses formes et de façon indirecte, est actuellement pratiquée au Québec») confondant cessation de traitement, soins palliatifs et euthanasie.
Malgré sa légalisation aux Pays-Bas, 20% des cas d'euthanasie ne sont pas déclarés par les médecins, ce qui empêche toute forme de vérification externe. Près de 10% des médecins qui n'ont pas déclaré leur geste jugeaient eux-mêmes que les conditions de bonne pratique n'étaient pas respectées. En 2005, aux Pays-Bas, les médecins ont provoqué intentionnellement la mort de plus de 1000 personnes sans leur demande explicite ou sans rapporter leur geste aux autorités.
Il est fondamental de respecter la dignité et l'autonomie des malades en évitant l'acharnement thérapeutique et en soulageant leurs souffrances adéquatement. Par contre, la légalisation de l'euthanasie comporte des risques importants, comme le démontre l'expérience des Pays-Bas où les balises légales en place ne sont pas respectées dans un cas d'euthanasie sur cinq.
***
Antoine Boivin
L'auteur est médecin et candidat au doctorat au Scientific Institute for Quality of Healthcare, aux Pays-Bas.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé