Lettre ouverte

Euthanasie, un soin de fin de vie

Le Collège perçoit vis-à-vis de l’euthanasie une tolérance sociale croissante au Québec et il est conscient qu’elle interpelle de plus en plus les médecins…

Euthanasie

(publiée en grande partie dans Le Devoir, Montréal, le 4 août 2009)


Voici une «petite ouverture» audacieuse, réaliste, prudente et sécuritaire : «L’euthanasie pourrait faire partie des soins appropriés dans certains cas particuliers.
C’est l’une des positions que le Groupe de travail en éthique clinique du Collège des médecins du Québec recommande au Conseil d’administration du Collège après avoir réfléchi à la question ces trois dernières années. C’est ce qu’a appris L’actualité médicale, ( Vol. 30 #11, 20 mai 2009). Le Groupe de travail a présenté ses recommandations le 17 octobre dernier et un projet d’énoncé de position a été déposé le 8 mai 2009. Le Collège doit maintenant décider s’il accepte cette petite ouverture vis-à-vis de l’euthanasie, s’il la rejette ou s’il désire poursuivre sa réflexion.»
Voilà le fruit de ce groupe de travail qui en a reçu le mandat suite au colloque «Aider à mourir – Une réflexion de société tenu par le Collège au printemps 2006… Des gens favorables et défavorables à l’euthanasie ont été rencontrés.
Le Collège perçoit vis-à-vis de l’euthanasie une tolérance sociale croissante au Québec et il est conscient qu’elle interpelle de plus en plus les médecins… L’euthanasie constituerait une solution ultime lorsque toutes les autres options de soins auront été épuisées. Nous sommes loin de la dérive appréhendée par les opposants.»
L’appui de la population à une aide médicale à mourir est quand même phénoménale.
À 80 %, depuis longtemps, la population québécoise est favorable à une aide médicale pour mourir, en autant qu’elle est pratiquée dans cadre bien défini, sécuritaire et périodiquement évalué. Deux personnes sur trois, recevant des soins palliatifs, désirent avoir cette possibilité d’aide, au cas où ça irait mal (Étude pan-canadienne, 2007). Le 15 avril 2009, à Beloeil, 200 étudiants/es du 3e âge de l’Université de Sherbrooke ont participé au Colloque Mourir dans la dignité peut-il être un choix ?; ce colloque fut organisé par le Comité AUTAM de Beloeil. 166 personnes ont complété la feuille d’évaluation, et 162 personnes se sont dites favorables à une aide médicale à mourir, à un changement dans la loi. Presqu’à l’unanimité ! Les pensées évoluent, les valeurs changent, les personnes aussi; de très nombreux travailleurs professionnels oeuvrant en soins de fin de vie y seraient fort probablement favorables, si libres de s’exprimer.
Cet automne, en leur nom, que notre Collège des médecins accepte cette «petite ouverture». Si acceptée, nous l’espérons grandement, les impacts seront nombreux et positifs.
Nous verrons le nombre des suicides diminuer drastiquement chez les aînés, chez les personnes avec des maladies évolutives et spécialement chez les finissants de la vie. Ce qui sera un énorme plus pour les familles et pour la société. De tels suicides ont tellement d’impacts négatifs connus et même insoupçonnés.
Nous ne verrons pas des personnes ou des groupes, d’ici ou d’ailleurs, venir donner des sessions de formation sur comment mettre fin à ses jours. Nous ne verrons plus des finissants de la vie aller en Suisse pour une aide au suicide.
Nous verrons diminuer le nombre de meurtres par compassion et des aides au suicide. Ce sera tellement mieux pour la santé des familles. De nombreux procès souvent dramatiques seront ainsi évités. Et les personnes qui se feront suppliées de donner une aide à mourir à un de leurs proches aimés, auront enfin une alternative de poids, soit celle d’une aide médicale pour aider ce finissant de la vie à terminer ses jours honorablement.
Nous verrons augmenter de façon significative la sérénité des soignants, ce qui est énorme dans les milieux de soins. Nous verrons cette exceptionnelle aide médicale à mourir être vécue dans la relation Personne en fin de vie-famille ET médecin-équipe soignante. Cette relation apportera sécurité et sera porteuse de confiance. Dans les pays où l’aide médicale à mourir est possible, si permise et appropriée, le degré de confiance au médecin a augmenté, contrairement à ce qu’avaient prédit certains fondamentalistes opposants.
Nous verrons, en soins palliatifs, diminuer les douleurs incontrôlables. Même si de grands progrès ont été accomplis dans le soulagement de la douleur et le contrôle de symptômes fréquents en fin de vie (nausées, vomissements, détresse respiratoire, angoisses, etc.), il restera toujours des situations hors contrôle, inacceptables pour les malades. Il restera toujours, surtout, chez plusieurs, une immense souffrance globale et un refus d'une existence qui n'est plus qu'une succession de situations humiliantes, dégradantes et indignes. Et quelqu'admirables que soient la présence et la compassion des plus dévoués en soins palliatifs, ceux-ci demeureront souvent incapables à redonner un sens suffisant à une agonie qui n'en finit plus. La sédation terminale sera un soin de plus; mais plusieurs refuseront cette anesthésie qui risque de durer des jours et des semaines. Faut rappeler que la douleur n’est plus la première raison de demander une aide médicale à mourir; tout au contraire.
Nous verrons aussi les finissants de la vie vivre plus longtemps et augmenter leur qualité de fin de vie, ayant une assurance, une garantie qu’un médecin les aidera à mourir, si voulu et si nécessaire, si approprié, voilà le mot pour un mourir digne et de compassion. Cette assurance-fin-de-vie, selon des médecins, donne de l’énergie aux grands malades pour recevoir et pour profiter davantage des traitements de fin de vie. Avec cette possibilité d’aide médicale à mourir, si voulue et si nécessaire, ils accepteront plus les traitements, en bénéficieront davantage et vivront plus longtemps. Ce qui est presque du monde du paradoxe : l’aide médicale à mourir possible, si appropriée, fera vivre mieux et plus longtemps !
Nous verrons enfin un grand désir des aînés, très majoritairement exprimé, devenir davantage à la portée du possible : mourir chez soi. Comme dans les pays où l’aide médicale à mourir fait partie des soins appropriés.
C’est une «petite ouverture» chez le Collège des médecins, mais c’est un immense pas sur la route de la paix sociale, de la dignité, de la sérénité, de la compassion et du libre-choix.
MERCI au Groupe de travail en éthique clinique du CMQ. FIERTÉ à vous tous !
Cet automne, mesdames et messieurs chers médecins du Bureau de direction, OSEZ accepter cette recommandation, au nom de la vie, de la qualité de la fin de la vie et de la personne en fin de vie.
***
Yvon Bureau

Travailleur social

Consultant bénévole pour un mourir digne et libre
Québec (Québec)

[www.yvonbureau.com->www.yvonbureau.com]


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3 commentaires

  • Yvon Bureau Répondre

    7 décembre 2010

    Pour une opinion mise à jour en ce 7-12-2010: consultez le blog du Collectif mourir digne et digne, ci-bas.
    Merci de vivre !
    www.yvonbureau.com
    www.collectifmourirdigneetlibre.org
    http://www.collectifmourirdigneetlibre.org/blog.php

  • Éric Folot Répondre

    7 décembre 2010

    Pour plus d’informations, je vous invite à lire mon mémoire de maîtrise en droit de la santé (Université de Sherbrooke et Université Montpellier 1) intitulé : « Étude comparative France-Québec sur les décisions de fin de vie : le droit sous le regard de l’éthique » (2010) que vous pouvez télécharger à l’adresse suivante : https://public.me.com/ericfolot/fr/
    Eric Folot

  • Éric Folot Répondre

    4 juillet 2010

    OUI à l'aide au suicide, mais NON à l'euthanasie !
    Au sujet de la différence entre l'euthanasie et l'aide au suicide, il faut distinguer entre les arguments juridiques, éthiques et religieux. On ne peut pas simplement affirmer sans nuance qu'il n'existe pas de différence entre les deux : dans un cas c'est le patient lui-même qui s'enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l'autre c'est le médecin qui la retire. Il faut d'abord préciser sur quel terrain (juridique, éthique ou religieux) on tire notre argumentation. Si l'on se situe sur le terrain de l'éthique, on peut raisonnablement soutenir qu'il n'existe pas de différence. Cependant, si l'on se situe sur le terrain juridique, il existe toute une différence entre l'euthanasie (qualifié de meurtre au premier degré dont la peine minimale est l'emprisonnement à perpétuité) et l'aide au suicide (qui ne constitue pas un meurtre, ni un homicide et dont la peine maximale est de 14 ans d'emprisonnement). Dans le cas de l'aide au suicide, la cause de la mort est le suicide du patient et l'aide au suicide constitue d'une certaine manière une forme de complicité. Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en 1972, cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu'une complicité que s'il existe une infraction principale. Or le suicide (ou tentative de suicide) n'est plus une infraction depuis 1972. Donc il ne peut logiquement y avoir de complicité au suicide. Cette infraction de l'aide au suicide est donc un non-sens.
    En revanche, l'euthanasie volontaire est présentement considérée comme un meurtre au premier degré. Le médecin tue son patient (à sa demande) par compassion afin de soulager ses douleurs et souffrances. Il y a ici une transgression à l'un des principes éthiques et juridiques des plus fondamentaux à savoir l'interdiction de tuer ou de porter atteinte à la vie d'autrui. Nos sociétés démocratiques reposent sur le principe que nul ne peut retirer la vie à autrui. Le contrat social « a pour fin la conservation des contractants » et la protection de la vie a toujours fondé le tissu social. On a d'ailleurs aboli la peine de mort en 1976 ! Si l'euthanasie volontaire (à la demande du patient souffrant) peut, dans certaines circonstances, se justifier éthiquement, on ne peut, par raccourcit de l'esprit, conclure que l'euthanasie doit être légalisée ou décriminalisée. La légalisation ou la décriminalisation d'un acte exige la prise en compte des conséquences sociales que cette légalisation ou cette décriminalisation peut engendrer. Les indéniables risques d'abus (surtout pour les personnes faibles et vulnérables qui ne sont pas en mesure d'exprimer leur volonté) et les risques d'érosion de l'ethos social par la reconnaissance de cette pratique sont des facteurs qui doivent être pris en compte. Les risques de pente glissante de l'euthanasie volontaire (à la demande du patient apte) à l'euthanasie non volontaire (sans le consentement du patient inapte) ou involontaire (sans égard ou à l'encontre du consentement du patient apte) sont bien réels comme le confirme la Commission de réforme du droit au Canada qui affirme :
    « Il existe, tout d'abord, un danger réel que la procédure mise au point pour permettre de tuer ceux qui se sentent un fardeau pour eux-mêmes, ne soit détournée progressivement de son but premier, et ne serve aussi éventuellement à éliminer ceux qui sont un fardeau pour les autres ou pour la société. C'est là l'argument dit du doigt dans l'engrenage qui, pour être connu, n'en est pas moins
    réel. Il existe aussi le danger que, dans bien des cas, le
    consentement à l'euthanasie ne soit pas vraiment un acte
    parfaitement libre et volontaire ».
    Eric Folot