En 2017, faut-il s'étonner du traitement exclusivement laïc du débat sur la laïcité? Une question assez centrale semble systématiquement éludée: Dieu. C'est un peu l'éléphant dans la pièce. Des foulards l'évoquent à peine... on dirait que c'est déjà trop.
Pourtant, bien que la question de Dieu appartienne aux religions, elle ne leur appartient pas exclusivement. C'est l'héritage de toute l'humanité d'y avoir réfléchi, dans plusieurs langues et déclinaisons culturelles distinctes, sous toutes ses facettes, positives et négatives, autant philosophiques qu'artistiques, et depuis des millénaires. Et c'est un héritage que le Québec tenait encore près du coeur il y a à peine quelques décennies. Les voix les plus tonitruantes des derniers siècles donnent l'impression qu'on aurait résolu cette question, mais n'est-ce pas là un bien malheureux raccourci intellectuel? Les arguments sont-ils à ce point convaincants?
La question de Dieu nous renvoie au sens de notre existence: le jour où nous disparaîtrons, les accomplissements de l'humanité tout entière, quand ils n'auront plus aucun témoin, quand ils ne seront plus emmagasinés dans aucune mémoire, deviendront absolument nuls. Ils auraient aussi bien pu ne jamais avoir existé - en somme, ils n'auront pas existé. "System reset", comme disait l'ordinateur de ma jeunesse. Il faut bien peser cette implication logique implacable, car elle n'est pas banale (même si à l'échelle cosmique l'événement matériel de notre disparition, lui, pourrait bien l'être). Au nom de quoi serions-nous tenus de penser de la sorte?
Quand bien même on accepterait le miracle de l'existence de la conscience dans l'univers (à commencer par la nôtre) comme un pur accomplissement mécanique (une idée qui en a rallié plusieurs même si elle est bien loin d'être démontrée), est-il nécessaire de penser que les forces qui ont donné lieu à cet accomplissement l'auraient fait sans aucune direction, ou pire encore, dans le but (ou en tout cas avec l'effet) de torturer leur fruit, cette conscience, en ne lui donnant d'autre choix que de se rendre à l'évidence de ses parfaites solitude et inutilité?
Il n'est pas moins valable en 2017 de se poser la question de Dieu, que ce ne l'était il y a 50, 100 ou 1000 ans. Dès lors, n'est-il pas regrettable qu'on ne soit plus capable de la poser aujourd'hui sur la place publique, aux fins d'une conversation sociale intelligente plutôt que bloquée sur des a-priori acquis en bien peu d'années au fond (et portés par des forces peut-être pas si progressistes qu'il n'y paraît), réduisant prématurément et inutilement le champ des possibles soumis à l'intelligence humaine? Que gagne-t-on à ne plus savoir penser l'idée de Dieu, faute d'y être jamais exposé?
Pour en revenir à la laïcité, cette idée ne m'apparaîtrait bien droite que si elle posait courageusement et ouvertement la possibilité de l'existence de Dieu comme un des fondements de son intention de neutralité, aux côtés de sa réciproque, l'hypothèse de l'inexistence de Dieu. Il ne s'agit pas seulement d'une question de droits acquis ou de droits universels, de culture, d'identité ou de politesse... il s'agit également d'une question de logique et de justesse... de vérité. Car si au contraire, cette possibilité de Dieu était considérée a priori comme irrecevable, alors pourquoi se dirait-on neutre face à elle, plutôt que carrément hostile? Une telle forme de "neutralité" ne pourrait échapper à la critique qu'elle mérite, celle d'être hypocrite.
Pendant qu'on débat de laïcité il y a là un éléphant qui se demande peut-être pourquoi on parle tant de lui, sans jamais le nommer ni lui prêter attention. La dignité qui lui revient, n'est-ce pas à nous (de même qu'à des millénaires de conscience humaine) qu'elle revient?
Un éléphant dans la pièce
Laïcité
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3 commentaires
Alain Rioux Répondre
10 mars 2017@ M.Windisch
La question de Dieu ne saurait, en démocratie occidentale, constituer un quelconque "a priori", puisque le moteur démocratique est l'IN-DÉTERMIN-ATION délibérative: la liberté, exprimée par le suffrage universel. De sorte que, la laïcité ne consiste pas à prendre parti pour ou contre Dieu mais à protéger, par le devoir de réserve idéologique de l'État, la délibération citoyenne.
Certes, le paradigme de départ est la radicalité profane du monde, d'origine chrétienne, en vertu du dogme de l'Ascension. Car, en cette perspective, le sacré, en l'occurrence le Christ, se situe en une autre dimension: le ciel. C'est pourquoi, l'espace temporel est désacralisé. Ce qui autorise la démocratie, conçue comme participation élective universelle, sans égard aux opinions personnelles.
Ceci dit, une fois assumé le caractère profane du monde, nul n'est besoin d'une quelconque religion pour étayer le processus démocratique, puisque le Christianisme n'a été que l'occasion historique de la démocratie occidentale, pas sa raison formelle, laquelle gît dans l'INDÉTERMINATION délibérative, préalable du suffrage électif.
C'est pourquoi, si la cause de la démocratie, c'est l'indétermination délibérative, ou liberté de choix, alors sa contrepartie, c'est l'indétermination étatique, ou neutralité idéologique. Sinon, le choix citoyen serait forcé, ce qui le pulvériserait, comme choix. Aussi, une laïcité restreinte à la seule neutralité religieuse orienterait le choix vers des options profanes, autre façon de dénier la liberté. Car, la laïcité, comme la liberté, est totale, ou elle n'est pas. Ainsi, la neutralité étatique, ou laïcité, n'est pas indifférence mais sollicitude à l'égard de la préservation de la liberté citoyenne, conçue comme indétermination délibérative, s'exprimant dans le suffrage électif, d'où le DEVOIR de réserve.
En cette perspective, il n'est pas nécessaire de s'en référer à l'histoire. Car, de même que les lois mathématiques sont UNIVERSELLEMENT vraies, peu importe ses énonciateurs, Nicomaque, Euclide ou Leibniz, de même l'indétermination délibérative de la liberté démocratique n'a d'autre raison d'être ni d'autre vérité que son choix, parce qu'inscrite dans le caractère UNIVERSEL du suffrage citoyen, quoi qu'il en soit de sa condition historique d'émergence, l'Ascension de Jésus-Christ, selon la religion chrétienne. Autrement dit, la démocratie laïque est souveraine et autonome, sans aucune autre cause que sa liberté pleinement assumée.
Windisch Max Répondre
8 mars 2017M. Rioux,
J'aimerais comprendre un peu mieux votre manière de définir la laïcité (votre étymologie est fort intéressante, mais jusqu'à quel point cèle-t-elle vraiment la question?).
Mon texte visait justement à proposer des précisions qui auraient pour but de réduire ces ambiguïtés, que nous semblons tous deux considérer néfastes. Pourquoi faudrait-il s'en tenir à une définition qui facilite la contrebande que vous évoquiez?
Il n'est pas directement question de foi dans mon texte, ni de l'une ou l'autre religion. J'ai limité mon exposé à des implications rationnelles d'un monde avec ou sans Dieu, réduit ici à sa fonction de témoin et mémoire du monde. C'était pour offrir un contre-poids, en termes aussi neutres que possible, à cette méthode discursive bien répandue qui tente d'isoler la question de la croyance de ses racines rationnelles (en faisant fi de cette évidence que dès lors qu'on saurait, il n'y aurait plus lieu de croire).
On lit parfois que la neutralité laïque devrait se manifester comme une indifférence, mais ne s'agit-il pas d'une autre simplification malheureuse? S'il devait s'agir d'une indifférence, il faudrait encore que ce soit une indifférence bien spéciale (ni cosmétique, comme le serait l'indifférence aux pommes de terres, ni détachée de ses responsabilités, comme le serait l'indifférence au mensonge, au crime etc. - en somme, une indifférence qui aurait l'obligation d'être bien consciente et reconnaissante de la gravité du sujet face auquel elle tente de s'ériger).
Alain Rioux Répondre
3 mars 2017La question de la laïcité n'implique pas nécessairement la problématique de la foi, puisqu'au départ, ce terme signifie tout simplement: "le peuple", comme masse anonyme. Or, bien que le "laos", le peuple, puisse être opposé au "kléros", au pur, le clergé, on peut aussi le distinguer du "démos", le peuple organisé. En cette perspective, la laïcité se décline, en démocratie, comme condition de possibilité de l'organisation politique de la cité, l'exercice de la délibération, ou liberté, exprimé par le suffrage universel. Alors, quelle autre définition pourrait-on attribuer à la laïcité que celle de la neutralité idéologique et religieuse de l'État, du possesseur légitime de la violence, au service de la chose publique, afin de permettre la sérénité de cette délibération, voire la réalité de cette auto-détermination collective? C'est pourquoi, il faut éviter d'engager la discussion de laïcité dans l'impasse d'une dialectique anticléricale, qui est trop souvent le mobile de mouvement prétendûment laïcs, lesquels opèrent une véritable escroquerie d'étiquette, pour tenter de passer en contrebande, par pure fraude intellectuelle, la dictature de l'athéisme d'État.