Stephen Harper était à Sault Ste. Marie hier, s'adressant notamment aux étudiants du College of Applied Arts and Technology.
PHOTO: ADRIAN WYLD, PC
Les auteurs sont des constitutionnalistes.* Il y a des situations exceptionnelles où les constitutionnalistes sont à notre sens justifiés d'intervenir dans le débat politique, au premier rang desquelles figure la défense des «règles du jeu» politique, de nos institutions démocratiques, bref, de la Constitution.
Le mépris des institutions démocratiques dont ont fait montre le parti et le gouvernement sortant de Stephen Harper n'a pas été constaté que par nous, mais aussi par plusieurs instances au terme desquelles ceux-ci ont été reconnus coupables de malversations démocratiques. Sous la gouverne de M. Harper, le PCC a été reconnu coupable de fraude électorale. Quant au gouvernement, il l'a été d'outrage au Parlement, ce qui est sans précédent dans l'histoire de notre parlementarisme et se situe en grande partie à l'origine de la présente période électorale.
La réaction de M. Harper s'est résumée à attaquer l'institution démocratique elle-même en mettant en cause la neutralité de la procédure parlementaire pour se dire plutôt victime d'une «résolution partisane». Tout récemment, la vérificatrice générale du Canada aurait également reproché au gouvernement Harper d'avoir trompé le Parlement.
Rappelons par ailleurs les «prorogations» imposées par M. Harper et par lesquelles ce dernier a mis fin de manière abrupte, prématurée et, en tout état de cause, injustifiée aux travaux d'un Parlement dont il voulait échapper au contrôle. La crise à l'origine de la première prorogation était la volonté de M. Harper de mettre un terme au financement public des partis politiques. L'ex-directeur d'Élections Canada a tout récemment rappelé qu'une telle abolition serait contraire aux standards internationaux du droit électoral. Sans un tel financement public, les partis qui représentent les intérêts des seuls mieux nantis sont généralement dangereusement favorisés.
M. Harper ne s'est pas contenté d'attaquer notre régime parlementaire et électoral, dont il tient pourtant tous ses pouvoirs. Ses attaques les plus virulentes ont été réservées aux juges, qu'il a plus d'une fois décrits comme des «activistes» qui se mêlent de politique, alors que, ce faisant, c'est plutôt M. Harper qui se trouvait à politiser l'administration de la justice. Il s'agit là d'une pente dangereuse au bout de laquelle ce ne sont pas les juges qui ont le plus à perdre... Lorsque nos juges craindront la critique des dirigeants politiques, voire de possibles représailles, les droits du simple citoyen ne feront guère plus le poids devant ceux de l'État. Jamais nos précédents dirigeants n'avaient osé s'aventurer dans cette direction.
Il devrait normalement être inutile de rappeler combien le mépris de l'État de droit est pernicieux. À court terme, nombreux sont ceux qui disent craindre un gouvernement Harper majoritaire. Pour notre part, c'est à plus long terme que la relative popularité de ce politicien nous effraie, et ce, dans la mesure où elle pourrait être symptomatique d'un niveau très avancé de cynisme et de désaffection des Canadiens à l'égard de ce que, en commun, ils ont peut-être de plus précieux: un État de droit moderne, c'est-à-dire fondé sur une constitution qui protège avec vigueur des institutions démocratiques fédératives ainsi qu'un ensemble de droits fondamentaux, et dont le respect est, au besoin, assuré par des tribunaux indépendants et respectés.
En un sens, nous convions nos concitoyens à choisir «la loi et l'ordre», mais entendus comme la promesse, non pas d'une plus grande répression, mais d'une société libre et démocratique.
* Les cosignataires sont les professeur(e)s Bakan (UBC), Beaulac (Montréal), Chevrette (Montréal), Crépeau (McGill), Cyr (UQAM), Hughes (UNB), Lawrence (Osgoode Hall, York), Lessard (Victoria), Mendes, (Ottawa), Moon (Windsor), Panaccio (Ottawa), Robitaille (Ottawa), Russell (Toronto), Ryder (Osgoode Hall, York), St-Hilaire (Sherbrooke), Tanguay-Renaud (Osgoode Hall, York), Thibault (Ottawa), Valois (Montréal), Weinrib (Toronto).
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