Notre système - appelé Westminster -, permet l'élection d'un candidat qui n'obtiendrait qu'une pluralité des voix, sans obtenir nécessairement la majorité absolue. Prévu pour deux partis, ce système s'effondre quand il y en a plusieurs.
: ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE
Si les électeurs d'un pays décident de virer à droite et d'élire un gouvernement majoritaire conservateur, il n'y a rien de mal à cela. Le peuple est souverain et fait ce qu'il veut. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé le 2 mai.
Au contraire, 60% des électeurs ont rejeté les conservateurs et ont choisi quatre formations bien à gauche, mais en divisant leurs votes, ils ont permis aux conservateurs minoritaires de gagner. Comme le taux de participation à cette élection n'était que de 61,4%, Stephen Harper a réussi à former un gouvernement majoritaire avec seulement 24,56% d'appuis des électeurs éligibles (40% de 61,4%). Peut-on appeler ça une démocratie performante?
Qui est responsable? Il ne s'agit pas de blâmer des particuliers ou des partis politiques, mais plutôt un système électoral désuet. En effet, notre système qu'on appelle Westminster calqué sur celui du Royaume-Uni, permet l'élection d'un candidat qui n'obtiendrait qu'une pluralité des voix, sans obtenir nécessairement la majorité absolue. Prévu pour deux partis, ce système s'effondre quand il y en a plusieurs. Avec cinq partis qui auraient au départ, chacun 20% des voix, le passage de l'un deux à 21% lui donnerait l'élection. Avec 10 partis, 11% suffirait pour gagner, etc.
Que s'est-il vraiment passe le 2 mai? Chaque électeur a fait son premier choix sans appel, éparpillant son vote sur cinq partis avec un premier résultat contre-productif: un gouvernement «majoritaire» rejeté par une majorité de 60% d'opposants.
Aux États-Unis, 60% serait considéré comme un landslide: un refus écrasant. Un résultat semblable dans un référendum serait considéré une défaite humiliante pour ceux qui n'auraient obtenu que 40%. Mais, malgré cette évidence du gros bon sens, nous finissons, avec notre système Westminster, avec un gouvernement majoritaire rondement rejeté par la majorité.
Le NPD moins influent
Le second résultat absurde est le fait que la gauche, telle que représentée par le NPD, est aujourd'hui moins influente qu'il y a deux mois malgré les 102 députés NPD à la Chambre des communes et le fait que son, chef Jack Layton, a maintenant une nouvelle résidence officielle, Stornoway. Dans un gouvernement majoritaire, l'opposition ne compte pas. Elle peut faire des discours flamboyants, mais sans aucun effet avant les prochaines élections, dans quatre ans, une éternité en politique.
En situation minoritaire, M. Layton avait beaucoup plus d'atouts pour influencer le débat il y a quelques semaines où il pouvait faire tomber le gouvernement. Aujourd'hui, il ne peut que protester.
Enfin, le troisième résultat contre-productif est que le Québec s'est fait effectivement harakiri politique en refusant d'appuyer l'une ou l'autre formation qui avait une chance de former un gouvernement. La représentation du Québec à Ottawa est aujourd'hui considérée la plus faible depuis la Confédération, en termes d'influence concrète. Six députés sur 75 sont conservateurs et les autres appartiennent à des partis sans accès au pouvoir.
Tiraillé entre sa base sociale-démocrate au Canada anglais et sa nouvelle base nationaliste au Québec, le NPD aura du mal à livrer la marchandise pour toutes les deux. On peut donc prévoir que la nouvelle marginalisation du Québec pourrait finir par nourrir le mouvement souverainiste plutôt que d'étouffer, mouvement qui jouit aujourd'hui de 40% d'appuis. Les souverainistes militeront pour l'indépendance à Québec plutôt qu'à Ottawa, c'est tout.
Quoi faire pour éviter à l'avenir ces résultats absurdes? La majorité conservatrice a été décidée dans 18 circonscriptions du Grand Toronto où la fragmentation du vote centre gauche a permis aux candidats conservateurs d'être élus. Sans ces 18 victoires, on aurait un nouveau gouvernement minoritaire probablement de centre gauche. Dans la plupart de ces 18 circonscriptions, le NPD et les libéraux, ensemble, auraient écrasé les conservateurs.
Existe-t-il un système alternatif de votation pour éviter cette fragmentation? Il y a au moins deux. Le premier, connu sous le nom de proportionnel, alloue les sièges au parlement sur la base de la distribution du vote populaire. L'inconvénient de ce système est qu'il encourage la multiplication des partis et rend les majorités parlementaires plus difficiles. C'est le cas en Israël et en Italie où les gouvernements entrent et sortent à la faveur de coalitions ad hoc. Le prix de la proportionnelle est l'instabilité.
Mais un second système maintient les avantages de la stabilité avec la légitimité d'une véritable majorité et est utilisé dans de nombreux pays. Il s'agit d'une élection à deux tours. Dans le premier tour, les électeurs s'expriment librement votant pour qui bon leur semble: vert, jaune, rhinocéros, dadaïste. Mais dans un second tour, ils doivent opter pour un des deux finalistes du premier tour. Certes, il s'agit d'un second choix, mais pourquoi pas? La vie est rarement faite de premiers choix. Avec le système à deux tours, on saura au moins que ceux qui ont été finalement élus jouissent vraiment de l'appui de la majorité et ne se sont pas faufilés à l'aide de failles dans le système.
Les deux grandes formations canadiennes ont joui de gouvernements majoritaires sans majorité. Les libéraux en 1993 ont été majoritaires avec 37% des sondages. Cette même année, les conservateurs de Kim Campbell sont passés de 169 députés à deux (sur 304) tout en conservant 16,4% des suffrages, un résultat injuste. Il ne s'agit donc pas de jeter la pierre à qui que ce soit, mais de reconnaître les faiblesses de notre système actuel.
L'élection à deux tours va-t-elle a l'encontre des valeurs de base du pays? Pas du tout. Tous les partis politiques canadiens élisent leurs chefs par une élection à plusieurs tours, jamais par simple pluralité. En général, quand ça compte, on ne se permet pas l'imprudence d'élire des chefs par un système aussi superficiel que le nôtre. À croire qu'une élection législative n'a aucune importance, que n'importe qui peut être élu, sans qualification, sans faire campagne et sans interrompre ses vacances, comme ce fut le cas d'une élue NPD.
Le système de Westminster, héritée de notre mère l'Angleterre, n'est pas adapté à la diversité canadienne et son maintien continuera à nous donner des résultats contre-productifs où la majorité s'autodétruit en faveur d'une minorité. Il est évident qu'un gouvernement qui est au pouvoir à la faveur du système Westminster, ne sera pas motivé pour le changer. Mais un référendum sur la question serait tout à fait plausible, en expliquant aux électeurs les enjeux et les avantages et inconvénients des systèmes proposés.
Si après mûre réflexion, ils souhaitent maintenir le statu quo, eh bien, tant pis, l'affaire sera close. Mais s'ils reconnaissent la sagesse d'un système qui garantit qu'un gouvernement élu représentera une véritable majorité, les effets absurdes de l'élection du 2 mai se feront plus rares.
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Kimon Valaskakis
L'auteur est un ancien ambassadeur du Canada à l'OCDE, président de la Nouvelle École d'Athènes et professeur honoraire à l'Université de Montréal.
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