Un plan de match

Pour retrouver ferveur et fierté, les Québécois ont besoin d'un plan d'ensemble, voire d'une vision

« Notre avenir, un dialogue public »


Nous vous présentons ici un extrait de l'allocution prononcée hier par l'ancien premier ministre du Québec au colloque intitulé " Notre avenir: un dialogue public " organisé par l'Université McGill.
Force est de se rendre à l'évidence que, sur le plan des strictes données factuelles, le Québec est véritablement confronté à la problématique décrite par le Manifeste des lucides. L'état de situation est dressé, la photographie est prise. Parce qu'elle est en panne de rêve, notre collectivité se réfugie dans le déni et l'immobilisme. Les attitudes timorées qui ont eu raison de projets stimulants comme le complexe universitaire de la Santé à Outremont ou le Centre de divertissement du bassin Peel sont pour moi des manifestations d'un inquiétant désarroi. Éviter le moindre risque, ne rien entreprendre sans avoir convaincu le dernier opposant, se soumettre inconditionnellement à la dictature du principe de précaution et, bien sûr, garder sur tout cela un silence pudique, voilà à quoi nous convie la bienséance à la mode.
Pourtant, il y a de l'inconscience à demander plus et travailler moins. Il y a de l'irresponsabilité à s'octroyer des avantages que notre relève ne pourra pas se donner et qu'elle devra par surcroît payer à notre place. N'oublions pas d'ailleurs, que la relève, ce sont ceux qui restent. Dans ces conditions, espérons de toutes nos forces que ceux des jeunes qui auront le loisir de partir résisteront à la tentation d'échapper à un État aux abois et à une société qui fait du surplace.
N'attendons donc pas l'électrochoc de la crise pour nous réveiller.
La question qui se pose de façon lancinante est de savoir comment nous allons en sortir. Le temps presse de passer à l'action. Il est urgent de soulever les interrogations qui dérangent et tenter d'y répondre. Comment faire prendre conscience aux Québécois de la gravité de la situation et de la nécessité de réagir? Comment leur faire réaliser que le danger est d'autant plus pernicieux qu'il est latent? Comment résister à l'envie de s'endormir dans un confort trompeur? Comment nous convaincre tous de l'urgence d'une politique d'espoir fondée sur la rigueur et l'effort?
J'ai la certitude que nos concitoyens accepteront de se dessiller les yeux et de regarder ce qu'ils refusent de voir si, à côté d'une inexorable banalisation collective, on leur présente une exaltante vision d'avenir.
Pour retrouver la ferveur et la fierté qui ont inspiré la réalisation des Manic 5, Baie James, Expo 67, etc. et pour rouvrir le chantier du Québec, nos concitoyens ont besoin de situer dans un plan d'ensemble les mesures et les projets qui leur seront présentés. Mais alors, ce plan, ce dessein, ce rêve, ou- c'est l'expression que je préfère- cette vision, qui doit la concevoir, qui doit la soumettre à la population et qui doit la réaliser?
Ce ne peut être le fait d'un petit groupe. Il y a là du travail pour beaucoup de monde.
Les intellectuels et le milieu de l'éducation en général sont les premiers interpellés. Ils ont joué un rôle-clé dans la germination et le déroulement de la Révolution tranquille. Ce sont eux qui ont donné son impulsion au Québec moderne et qui devraient façonner l'idée porteuse de celui de demain. Au-delà de leurs responsabilités premières de recherche et de diffusion du savoir, ne devraient-ils pas être davantage présents dans la cité d'aujourd'hui, en l'animant par un vigoureux brassage d'idées?
Il faut également convier les gens d'affaires à rompre leur silence. En l'absence de leurs points de vue et des perspectives qu'ils peuvent dégager de leur vécu, les débats publics ne peuvent que s'appauvrir. Trop peu de leaders économiques et financiers acceptent de monter eux-mêmes à la tribune et de s'exprimer sur nos enjeux de société. Il est vrai que, ce faisant, ils s'exposent à des répliques, parfois acerbes, de la part d'interlocuteurs engagés et rompus à ces forums. Ils n'ont certainement pas été encouragés à la loquacité publique, en prenant connaissance du traitement qu'ont dû subir les auteurs du Manifeste. Mais avec l'usage, leurs interventions prendraient une allure plus habituelle, donc moins dramatique, et apporteraient un équilibre souhaitable dans les prises de paroles.
La participation des milieux syndicaux à l'élaboration d'un plan de match pour le Québec est, à tous points de vue, primordiale. Sans eux, on ne pourrait ni le concevoir de façon équilibrée ni le réaliser.
Les syndicats et leurs leaders sont, eux aussi, à une croisée des chemins. Agents de changements par vocation, ils se trouvent eux-mêmes en situation de devoir prendre acte de mutations géoéconomiques et de s'y adapter. J'imagine qu'ils ont amorcé leur réflexion sur la viabilité de certaines entreprises et des emplois qui en dépendent, notamment dans le secteur manufacturier. Ils ne peuvent ignorer qu'un nombre grandissant d'entre elles sont coincées entre une féroce concurrence asiatique et des coûts d'opération intenables résultant, entre autres, des rigidités normatives d'une succession de conventions collectives. Ils sont directement interpellés par la nécessité de faciliter l'aménagement d'un cadre économique et réglementaire propice à l'innovation et à l'investissement.
(...)
Bref, c'est toute la société civile qui soit s'activer, incluant mouvements communautaires, associations professionnelles et autres acteurs socio-économiques.
J'ai gardé pour la fin l'acteur le plus important. Bien entendu, le politique est le moteur principal d'une telle entreprise. Sans avoir la prétention de faire la leçon à quiconque, puis-je rappeler que la responsabilité des décisions ultimes sur l'avenir du Québec s'inscrit au coeur même du mandat politique? Les inquiétudes aussi bien que les espoirs suscités par notre état de situation interpellent tous les partis. (...)
Ayant quitté pour de bon la politique active, et me remémorant les déficiences et les timidités de certaines de mes décisions, je sais devoir m'astreindre à la modestie en m'exprimant comme je le fais aujourd'hui, surtout devant l'énormité de la tâche à accomplir.
Mais le contexte se conjugue à la nécessité pour justifier le lancement d'une démarche de mobilisation, de persuasion et de décision. C'est ici que seront mises à contribution les qualités de crédibilité, d'audace et de leadership attendues du personnel politique.


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