Oussama ben Laden

Un terroriste qui faisait l'affaire de plusieurs pays

Ben Laden est mort, et avec lui, ses secrets...



Image vidéo d’Oussama ben Laden dans son repaire d’Abbottabad, au Pakistan, saisie par le commando américain qui l’a exécuté, la semaine dernière.

Photo : Agence Reuters


Bien avant que les Américains n'aient tué Oussama ben Laden, des peuples du Maghreb avaient, en renversant leurs dictateurs, balayé du même coup le projet rétrograde d'al-Qaïda d'imposer un islam théocratique. Le «printemps arabe» est né, en effet, de leur aspiration à plus de pain, mais aussi aux droits et libertés démocratiques. Mais, ailleurs, les gens qui avaient applaudi à «l'attaque contre l'Amérique» vont-ils maintenant se réconcilier avec elle? Et Ben Laden est-il devenu moins dangereux mort que vivant?
C'est en visant ces musulmans, surtout les jeunes et les idéalistes, qui seraient tentés de rejoindre les rangs d'al-Qaïda, que la Maison-Blanche s'est employée à détruire le symbole d'Oussama, présentant le chef charismatique tantôt comme un faux libérateur caché dans une villa de luxe, tantôt comme un vieillard sénile réduit à regarder son passé à la télévision. Or, si telle était situation de Ben Laden, quelle raison impérieuse pouvait justifier qu'on le traque et qu'on le tue? Surtout au coeur du Pakistan.
Certes, depuis presque dix ans, l'homme avait humilié la CIA et le Pentagone, bureaucraties souvent taxées d'incompétence, sinon de connivence, avec cet ancien allié de la guérilla anticommuniste d'Afghanistan. Pourtant, les circonstances font croire qu'une autre urgence aura plus probablement précipité l'opération d'Abbottabad. À la veille du 10e anniversaire de Ground Zero, le président Barack Obama, assiégé par les républicains, avait désespérément besoin d'une grande «victoire».
La Maison-Blanche pavoise, et les adversaires du président le félicitent. Mais une photo montre Obama, replié, sombre et songeur, comme s'il redoutait les suites de sa décision. Pendant qu'on fête à New York, le monde découvre que le célèbre terroriste habitait un bunker en pays allié! Washington élude la question. Mais The Nation, un quotidien d'Islamabad, n'est pas dupe. «La présence du terroriste le plus recherché de la planète dans une ville si stratégiquement sensible dépasse l'imagination d'un homme sensé.»
De drôles d'alliés
La réponse pourtant n'est guère cachée. L'Afghanistan fut le premier champ de bataille de Ben Laden, et le pays d'accueil de ses camps par la suite. Mais le principal sanctuaire de l'extrémisme armé fut et demeure le Pakistan. Les fidèles de Ben Laden firent des milliers de morts en Occident, mais bien plus en pays musulman. Et maintenant au Pakistan. Instrument de ses ambitions, notamment contre l'Inde, ce pays est désormais menacé par ces fanatiques.
Les gens d'Obama déclarent qu'ils ont tenu leur opération secrète pour éviter que les protecteurs de Ben Laden le préviennent. Et les services pakistanais sont furieux de passer pour complices ou incompétents. Mais certains de leurs dirigeants savaient où le chef d'al-Qaïda se cachait. Et d'autres ont été prévenus que les États-Unis allaient frapper à Abbottabad. Car, même la nuit, on ne débarque pas au coeur du Pakistan sans risquer un accrochage avec les forces militaires du pays.
À Islamabad, civils et militaires s'entendent pour faire les innocents et jouer la carte du patriotisme en invitant Washington à réduire sa présence dans le pays. Mais l'abcès est ouvert. Des milliers de Pakistanais savent que des gens de leur famille ont été tués par des terroristes qui fraternisaient avec leur gouvernement. Aux États-Unis, le réveil est plus lent. Mais on se demande comment Washington a pu donner des milliards à pareils «alliés».
Faut-il un doctorat pour comprendre l'économie de la «guerre au terrorisme»? Toute une industrie de la sécurité s'est enrichie depuis le 11 septembre 2001. En Irak et en Afghanistan, où des millions de réfugiés ne savent où aller, des entreprises privées font fortune en aidant les forces «locales» à assurer le respect de la loi. Pourquoi les militaires du Pakistan auraient-ils laissé passer une si belle aubaine?
On peut deviner chez eux au moins trois tendances, notamment au sein de l'ISI, la fameuse Inter-Services Intelligence. L'une utilisait les talibans et al-Qaïda pour prendre le contrôle de l'Afghanistan et aussi pour conquérir le Cachemire indien. Une autre exploitait l'instabilité de la région pour consolider le pouvoir militaire sur le pays. Et la troisième, réaliste, bénissait «la guerre au terrorisme» et ses milliards en «aide extérieure», comme à la belle époque du pouvoir communiste à Kaboul.
Cette prospérité tire à sa fin. Des sources américaines anonymes font du complexe d'Abbottabad le quartier général d'où Ben Laden commandait ses terroristes. Menteurs, ces Pakistanais? Des sources pakistanaises font dire à l'une des veuves d'Oussama qu'il habitait plutôt dans un proche village depuis quelques années. Menteurs, ces Américains? Bref, si la pagaille risque d'éclater bientôt dans al-Qaïda, elle sévit déjà entre les capitales politiques qui ont créé un réseau religieux devenu «terroriste».
Moralité d'une exécution
Entre-temps, d'aucuns s'interrogent sur la moralité de l'exécution sans procès d'Oussama ben Laden. Il ne fallait pas lui offrir une tribune d'où lancer ses appels à la guerre sainte, disent les uns. Mort plutôt qu'en prison, rétorquent d'autres, son symbole aura encore plus d'influence auprès des populations victimes de pays occidentaux, voire d'autres puissances telles que la Russie ou la Chine, qui ont à traiter avec d'importantes minorités musulmanes.
À la fin de la Seconde Guerre, des Russes, dit-on, voulaient exécuter sans procès les dirigeants nazis. Les Américains jugèrent plutôt qu'il fallait établir d'abord la culpabilité de chacun. Quelques-uns furent pendus; d'autres se sont suicidés; d'autres allèrent en prison. Il fallait après ces années de barbarie donner l'exemple de la primauté du droit. À quelle époque est-on rendu aujourd'hui qui voit des gouvernements protéger des terroristes ou exécuter sans procès les chefs de mouvements ennemis?
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redaction@ledevoir.com
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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