Une bébelle inutile

Ministère de la Souveraineté

Le seul «ministre de la Souveraineté» qu'on ait connu n'a pas laissé un très bon souvenir. Qui sait ce qui serait arrivé en 1995 si le «scandale» des études Le Hir n'avait pas complètement saboté le début de la campagne du OUI? Dommage que le messager n'ait pas été à la hauteur, parce que plusieurs de ces études étaient d'excellente qualité.
Au départ, Bernard Landry avait suggéré que chaque ministre sectoriel fasse la présentation de l'étude qui concernait le domaine dont il était responsable, mais Jacques Parizeau s'était entiché -- Dieu sait pourquoi! -- de l'ancien président de l'Association des manufacturiers du Québec. À sa décharge, Richard Le Hir avait lui-même averti M. Parizeau qu'il ne croyait pas avoir l'expérience politique requise. Quoi qu'il en soit, le résultat avait été désastreux.
En guise de contribution à la «saison des idées», en avril 2004, Pauline Marois avait déjà proposé la nomination d'un «ministre d'accession à la souveraineté» qui aurait le mandat de «mettre en place les mesures appropriées pour faciliter la transition et veiller à ce que chacun des ministères se dote d'un plan d'action qui réponde à tous les besoins du Québec sans se restreindre au cadre fédéral actuel».
Dans la perspective d'un référendum tenu le plus rapidement possible au cours d'un premier mandat, comme l'avaient résolu les délégués au congrès péquiste de juin 2005, il pouvait sembler logique que quelqu'un au gouvernement soit chargé de préparer la transition, mais la situation a radicalement changé depuis.
Les collègues français n'allaient évidemment pas rater une occasion de dire que Ségolène Royal avait encore gaffé, mais elle n'a rien inventé en déclarant que la tenue d'un référendum sur la souveraineté ne fait pas partie des projets de Mme Marois.
Pour éviter de provoquer une révolte au sein de son parti, la chef du PQ n'est pas allée jusqu'à promettre formellement qu'il n'y en aurait pas au cours d'un premier mandat, mais c'est bien ce qu'elle veut que la population comprenne.
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Pendant la course au leadership de 2005, Mme Marois se disait favorable à l'utilisation des fonds publics pour faire la promotion de la souveraineté. Après tout, le gouvernement fédéral ne s'était jamais privé d'en faire grand usage pour défendre l'unité du pays.
Quand elle est sortie de sa retraite, au printemps dernier, elle s'était cependant ravisée. La responsabilité financière de la promotion de la souveraineté incombait uniquement «au PQ, au Bloc québécois et à l'ensemble du mouvement [souverainiste]», expliquait-elle fin juin. Or, à moins de le priver de secrétaire ou même d'un bureau, il est évident que la nomination d'un «ministre de la Souveraineté» implique l'utilisation de fonds publics.
Il est vrai que le contexte actuel se prête mal à la tenue d'un congrès d'orientation. Mme Marois est cependant bien aise de pouvoir invoquer l'imminence de nouvelles élections générales pour reporter une échéance toujours douloureuse, parfois même fatale aux chefs du PQ. Rédiger une nouvelle plateforme électorale a toujours été un exercice beaucoup plus facile que de modifier le programme. Il sera toujours temps de s'y résoudre après les élections.
Quand les militants péquistes se réuniront en «conseil général élargi», fin février ou début mars 2008, le Québec risque de se retrouver en pleine effervescence préélectorale. Ce ne sera plus le temps de se chicaner mais de se serrer les coudes. En février dernier, même André Boisclair n'avait eu aucune difficulté à faire adopter sa «feuille de route».
Pour régler le cas de l'article 1, Mme Marois n'aurait qu'à reprendre intégralement le libellé de la plateforme que Bernard Landry avait fait adopter sans coup férir en mars 2003. Celle-ci ne prévoyait la tenue d'un référendum «qu'en accord avec la volonté populaire et lorsque la victoire apparaîtra clairement à l'horizon». À côté de cela, Lucien Bouchard avait presque l'air d'un aventurier avec ses «conditions gagnantes».
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Mme Marois, qui connaît son parti comme personne, sait bien que la pilule sera plus facile à avaler si elle la dore un peu. La promesse de nommer un «ministre de la Souveraineté» devient en quelque sorte la garantie que la promotion de la souveraineté ne demeurera pas un voeu pieux. Même s'ils semblent plus conscients de l'abîme qu'ils ont frôlé, les militants péquistes ont entendu trop de baratin au fil des ans pour ne pas se méfier.
Le risque est d'affaiblir considérablement le message que Mme Marois a voulu envoyer à la population en repoussant le référendum aux calendes grecques. Pendant la prochaine campagne électorale, ses adversaires auront beau jeu de dénoncer l'«agenda caché» du PQ, et il deviendra beaucoup plus difficile de plaider le «bon gouvernement».
D'ailleurs, en quoi la nomination d'un «ministre de la Souveraineté» accélérerait-elle sa réalisation? Si le PQ prend le pouvoir, rien n'empêchera les différents ministres de faire valoir les avantages de la souveraineté dans leurs secteurs respectifs. Comme le démontre l'expérience de 1995, ils risquent d'être plus crédibles qu'un peddler de la souveraineté. Au besoin, quelqu'un au bureau du premier ministre pourra très bien être chargé de coordonner leurs interventions. De toute manière, il va y mettre son nez.
Si Mme Marois tient absolument à préparer un plan de transition vers la souveraineté, elle pourra très bien faire appel à un homme comme Louis Bernard. Il en a déjà l'expérience, et le risque d'indiscrétion serait bien moindre. En 1995, ce n'était pas Richard Le Hir qui avait été chargé de la rédaction du plan O et de l'élaboration des positions de négociation du Québec. Le jour du référendum, tout était prêt, et il n'y avait eu aucune fuite.
Mme Marois ne veut plus de la «maudite mécanique» référendaire. Pourquoi s'encombrer d'une bébelle inutile?
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mdavid@ledevoir.com


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