Au moment où le premier ministre Justin Trudeau vient d'investir 4,5 milliards dans le pipeline Kinder Morgan, une étude montre qu'une baisse de la demande mondiale de pétrole pourrait déclencher l'éclatement d'une « bulle pétrolière » qui laisserait derrière des milliers de milliards de dollars en actifs abandonnés.
Selon l'analyse, le Canada ferait partie des pays les plus rapidement et les plus durement touchés par un tel phénomène, son industrie pétrolière risquant de « presque disparaître ». Une baisse de la demande de pétrole pourrait survenir entre 2030 et 2050 par simple évolution technologique, même sans efforts des gouvernements pour lutter contre les changements climatiques. Si les investisseurs ne ralentissent pas la cadence à temps, l'éclatement brutal de la bulle pourrait provoquer une crise financière mondiale comme celle qui a frappé le globe en 2008.
« Aujourd'hui, des investisseurs mettent leur argent dans des entreprises et des projets et ils ont fait des hypothèses sur ce que seront les prix et le marché. S'ils ont suivi une projection de demande qui est assez élevée et que, dans les faits, elle est plus faible, on se retrouve avec une bulle », explique Jean-François Mercure*, l'auteur principal de l'étude publiée dans la revue réputée Nature Climate Change. Ce Québécois établi à Londres est professeur adjoint à l'Université Radbout, aux Pays-Bas, et chercheur au Centre for Climate Change Mitigation Research à l'Université de Cambridge.
L'équipe a utilisé des modèles de simulation macroéconomiques pour faire ses projections. « Contrairement aux autres études, nous sommes partis de la base en tenant compte des besoins des individus et des entreprises », explique le professeur Mercure.
Les chercheurs estiment que les projets pétroliers abandonnés sur la planète entraîneront des pertes atteignant entre un et quatre billions (milliers de milliards) de dollars US sur la planète.
Pour l'instant, la croissance démographique et économique soutient encore une hausse de la demande de pétrole. Mais les auteurs calculent que les technologies permettant une meilleure efficacité énergétique finiront par prendre le dessus et enrayer la croissance.
« On a simplement moins besoin d'énergie parce qu'on a de meilleures technologies. Et ce n'est pas pures conjectures : on a seulement considéré des technologies existantes qui sont sur le marché actuellement », explique Jean-François Mercure. Le remplacement du pétrole par des énergies alternatives comme le solaire ou l'éolien, dont les prix continueront à baisser, contribuent aussi au phénomène. La chute sera évidemment encore plus rapide si les gouvernements redoublent d'efforts pour lutter contre les changements climatiques.
LES SABLES BITUMINEUX LES PLUS RISQUÉS
Les chercheurs ont aussi étudié quels pays seraient les plus touchés par une réduction de la demande de pétrole. Le Canada trône en haut de la liste, avec les États-Unis et la Russie.
« S'il y a une baisse de la demande de pétrole, il y a un ordre dans lequel les industries seront poussées hors du marché. Ça va commencer par les extractions les plus chères, soit les sables bitumineux, puis ça va aller vers les shales [pétroles de schiste] aux États-Unis, les plateformes offshore éloignées, pour finir par les pays où les coûts de production sont bas, comme ceux du Moyen-Orient », dit M. Mercure.
La Russie pourrait connaître une « baisse abrupte de production », tandis que le Canada et les États-Unis pourraient « perdre la presque totalité de leur industrie pétrolière et gazière », peut-on lire dans l'article publié dans Nature Climate Change.
L'INVESTISSEMENT DE JUSTIN TRUDEAU DANS KINDER MORGAN
« Notre intention n'était pas de faire changer les politiques au Canada. Ça fait au moins trois ans qu'on travaille sur ce projet et on n'avait aucune idée qu'il y aurait tout ce débat politique sur un pipeline », affirme M. Mercure.
« Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a maintenant beaucoup de risque dans le marché du pétrole, et, en conséquence, énormément de risque pour un pipeline dans les sables bitumineux. »
- Jean-François Mercure, auteur principal de l'étude publiée dans la revue Nature Climate Change
Selon les scientifiques, il reste à voir si la « bulle pétrolière » éclatera de façon brutale ou si les investisseurs retireront leurs billes de façon « ordonnée ».