« Canada is back » : en lançant ce message sans équivoque à Paris en novembre 2015, Justin Trudeau avait placé haute la barre des attentes en matière diplomatique. Trois années et des poussières plus tard, les crises s’accumulent… et Ottawa ne semble pas avoir les bons outils pour les apaiser, dit-on.
« Le bilan diplomatique du gouvernement Trudeau, c’est que nous sommes en froid avec les quatre grandes puissances de la planète — États-Unis, Chine, Inde et Russie. Sans compter les autres contentieux. »
Jocelyn Coulon a été conseiller de Justin Trudeau sur les affaires internationales avant son élection comme premier ministre, puis conseiller politique de Stéphane Dion quand ce dernier était ministre des Affaires étrangères. Et pour le chercheur, le constat est cinglant : « Le gouvernement ne semble pas avoir compris que les règles du jeu sur la scène internationale sont en train de changer de façon exceptionnelle. » D’où les nombreux problèmes présents.
Ancien ambassadeur du Canada en Chine (2012-2016), Guy Saint-Jacques n’est pas beaucoup plus tendre envers le gouvernement Trudeau. « Il y a loin de la coupe aux lèvres », dit-il en rappelant le « Canada is back » de M. Trudeau. « Pour pouvoir dire que le Canada est de retour, il aurait fallu des investissements supplémentaires en diplomatie, en aide au développement, en maintien de la paix… Il y en a eu, mais trop peu. »
À l’inverse, les faux pas n’ont pas manqué, relève M. Saint-Jacques. Il mentionne notamment le voyage du premier ministre en Inde et le « tweet malhabile » de la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, après l’arrestation de la soeur de Raïf Badawi en Arabie saoudite, l’été dernier.
« Le problème, c’est l’approche, croit Jocelyn Coulon. Le gouvernement et la bureaucratie semblent incapables de juger de ce qui se passe dans le monde, et de s’adapter à ça. L’époque de la diplomatie de la canonnière, où on disait “on ne touche pas à l’homme blanc”, c’est fini. Quand M. Trudeau dit que le système judiciaire chinois est arbitraire, surtout pour un Canadien, ça revient un peu à ça. »
Autrement dit : ce n’est pas en critiquant un système selon les standards canadiens que le gouvernement parviendra à ses objectifs. D’autant, ajoute Guy Saint-Jacques à propos du cas chinois, que tout bombage de torse sera à l’avantage de la Chine. « On est face à une superpuissance qui n’est pas habituée de l’être, qui ne sait pas comment se comporter sur la scène internationale, et qui arrive avec un comportement de fier-à-bras, estime l’ex-diplomate. C’est une nouvelle Chine. »
« Je vois mal les Chinois reculer dans ce processus d’action-réaction où chacun accuse l’autre et se répond », ajoute M. Coulon. Plus de 35 ans après sa première mission en Chine (il y a eu quatre affectations), Guy Saint-Jacques ne se rappelle pas « qu’il y ait jamais eu de relations plus tendues entre les deux pays ».
« Je pense que beaucoup de pays commencent à comprendre qu’ils n’ont pas la puissance pour faire face à la Chine et que ça renforce le besoin d’un système multilatéral qui fonctionne. L’idée d’aller chercher des appuis, un peu comme Ottawa le fait présentement par rapport à la Chine, est intéressante dans le nouveau contexte. »
Coup de poignard
L’arrestation de la directrice financière de Huawei par le Canada en décembre — à la demande des États-Unis — a été perçue par Pékin comme un « coup de poignard dans le dos » par un ami, selon les mots de l’ambassadeur de la Chine au Canada. Les relations étaient déjà couci-couça, mais cette affaire Huawei les a sérieusement envenimées.
Vendredi, Justin Trudeau a martelé qu’il estime que les arrestations de deux Canadiens — visiblement en représailles —, de même que la condamnation à mort d’un Canadien arrêté pour trafic de drogue, relèvent de décisions « arbitraires » inacceptables aux yeux du Canada.
« Mais pourquoi donc avoir accepté le mandat américain [d’arrêter la dirigeante de Huawei] ? demande M. Coulon. Ce qu’on s’est retrouvé à faire, c’est d’être coincé entre deux éléphants [Pékin et Washington] qui se battent. On ne va pas en sortir grandi, on va nécessairement léser une des deux capitales. Il aurait fallu y penser avant. »
Dans le cas de l’Arabie saoudite, les points de tensions sont nombreux : emprisonnement du blogueur Raïf Badawi (qui est le « visage des relations entre les deux pays », a souligné Justin Trudeau vendredi) ; contrat de vente de blindés canadiens ; rappel ou renvoi des ambassadeurs respectifs suivant un tweet de Mme Freeland dénonçant l’arrestation de militants saoudiens des droits de la personne ; accueil très médiatisé d’une réfugiée saoudienne cette semaine (et menaces de représailles par Riyad)…
Les deux experts ne disent pas que le Canada doit s’abstenir de défendre les droits de la personne. Mais en diplomatie, la manière de faire est primordiale pour obtenir des résultats. « Ce n’est pas un spectacle », mentionne Guy Saint-Jacques.
L’effet américain
La dégradation des relations du Canada avec différents pays n’est pas attribuable au Canada seul, reconnaissent MM. Saint-Jacques et Coulon. « La scène internationale n’est jamais statique, on est toujours à la merci de développements imprévus qui compliquent la tâche », mentionne le premier.
Les deux estiment qu’Ottawa paie un peu le prix des agissements de Donald Trump au sud de la frontière. Notamment parce que le dossier de la renégociation de l’accord de libre-échange a complètement accaparé la ministre Freeland. « Ça a détourné l’attention de tout le monde », note l’ex-ambassadeur.
Un impact de ça ? Le Canada a négligé sa campagne pour obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, dit Jocelyn Coulon. Le vote aura lieu en juin 2020 : 193 pays sont impliqués. « Le Canada va devoir ramer fort pour l’emporter, estime M. Coulon. On a probablement perdu tout le vote arabo-musulman [avec l’Arabie saoudite], on n’a pas d’influence en Afrique, et les puissances avec lesquelles nous sommes en froid ont une grande capacité d’influence à l’ONU. Ça n’augure rien de bon. »