Cette semaine s’ouvrent les auditions du BAPE (Bureau d’audience publique sur l’environnement) qui se penchera sur la possibilité de lever le moratoire permanent sur l’exploitation d’uranium en sol québécois. Cette démarche découle de l’intérêt montré pour les gisements que contiennent les monts Otish au centre du Québec. L’uranium a plusieurs usages, mais sa très grande proportion est destinée à la production d’électricité par fission nucléaire.
Outre les recommandations que rendra le rapport du BAPE, nous devrions nous pencher sur l’éventuelle contribution du Québec à l’industrie nucléaire. D’emblée, reconnaissons que la production d’électricité par fission est une des formes de production les plus sûres et les plus propres, du moins à court terme. Elle ne contribue en rien, par exemple, aux émissions générées par d’autres formes d’énergie qui préoccupent avec davantage d’urgence. Elle est donc une option intéressante. Cela dit, nous appartenons à une société, voire à une espèce, qui appréhende le futur à très court terme. L’exemple que je présente ici est éloquent à cet effet.
Le Waste Isolation Pilot Plant (WIPP)
Une soixantaine d’années de production nucléaire aux États-Unis a produit une énorme quantité de sous-produits irradiés que l’on doit isoler de la biomasse, notamment humaine, le plus efficacement possible. Ces déchets comportent autant du combustible irradié que des objets divers, dont des barils et des vêtements utilisés dans les centrales. Le département de l’Énergie, au sein d’un projet de plusieurs milliards de dollars, s’engagea dès 1973 à enfouir certains déchets dans d’énormes cavernes creusées dans des dépôts de sel près de Carlsbad au Nouveau-Mexique. À une profondeur de 600 mètres, elles abritent une cavité géologiquement stable de la taille approximative de 100 terrains de football.
Des projets d’enfouissement semblables existent ailleurs, dont en Allemagne, et un tel programme — appelé Gestion adaptive progressive — est à l’étude au Canada pour enfouir les déchets produits, notamment, par Gentilly (présentement stockés dans les bâtiments de la centrale fermée).
Le WIPP est différent, car le département de l’Énergie s’engage aussi à restreindre l’accès au site pendant la période durant laquelle les radiations sont létales pour l’être humain, soit 10 000 ans. Divers comités furent formés afin d’étudier une question probablement inédite dans l’histoire de notre espèce : comment communique-t-on avec l’avenir profond ?
Dans un programme qui rappelle certains scénarios de science-fiction, des linguistes, historiens, artistes, militaires se sont exprimés (pas d’archéologues, qui sont pourtant les seuls à régulièrement réfléchir l’humain à très long terme). Leur rapport final n’est pas prévu avant 2028, mais des rapports et études préliminaires existent. Le verdict, en gros, est qu’il n’existe pas de façon efficace de communiquer avec une humanité future, mystérieuse, aussi temporellement éloignée de nous que nous le sommes des premiers villages sédentaires de Mésopotamie. Ces futurs humains ne partageront avec nous ni langue, ni religion, ni organisation technologique ou sociale. C’est tout ce que l’on en sait. Diverses mesures sont mises en place dans l’espoir que l’une ou l’autre, plutôt que de provoquer curiosité et attrait au site, saura véhiculer le message efficacement : « Cet endroit provoque la mort. » Une des recommandations de l’un des rapports est de laisser dans le futur s’empoisonner une certaine proportion d’individus afin qu’ils déduisent par eux-mêmes, au fil des générations, les dangers de l’endroit. La mort, en effet, est un message qui sera compris dans le futur. Ils ont ceci en commun avec nous.
Dix mille ans, c’est 167 fois les 60 années au cours desquelles les déchets radioactifs entreposés au WIPP ont été produits, et ceux-ci représentent une infime portion des déchets produits mondialement sur la même période. De toute évidence, l’enfouissement n’est pas une solution soutenable. En février 2014, 15 ans après son ouverture en 1999, divers incidents ont causé des fuites de radiation et ont engendré de sérieuses inquiétudes quant à l’efficacité et à l’étanchéité du complexe.
La question qui émerge de tout ceci relève de la pérennité de nos décisions collectives. Le cerveau humain conçoit souvent le temps comme une trajectoire linéaire, avec une origine et une destination. Nous avons une idée assez claire de ce qui est derrière nous, mais nous avons une difficulté notoire à apprécier le temps devant nous au-delà d’au mieux une poignée de générations. Cette ignorance touche bien sûr l’avenir dans ses détails que d’aucuns prétendraient sérieusement envisager, mais comporte un degré d’insouciance quant à l’existence même d’un avenir humain.
J’en appelle donc à une réflexion sur le futur profond et sa considération dans nos pratiques et politiques énergétiques. Appelons ceci une archéologie à rebours, celle qui regarde vers l’avant plutôt que vers l’arrière.
FILIÈRE URANIFÈRE
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