Après une année de tourmente et alors que le Québec s'apprête à enterrer «ses premiers soldats», les débats sur l'intervention en Afghanistan semblent tout aussi polarisés et l'opinion publique tout aussi prisonnière de ces positions radicales, rendant tout échange constructif impossible.
Si le gouvernement canadien semble incapable d'enrichir le discours sur la participation canadienne aux opérations de contre-insurrection et de reconstruction en Afghanistan, les partisans d'un retrait immédiat des troupes canadiennes n'ont pas non plus apporté beaucoup d'arguments pertinents. La seule position alternative à l'approbation aveugle et naïve des politiques canadiennes semble donc être l'opposition intraitable et dogmatique.
L'espace public est monopolisé par un débat émotif et idéologique, et non par des échanges raisonnés: le discours officiel tente de séduire l'opinion publique par une vision simplificatrice et culturo-centrique de l'intervention en Afghanistan en mettant l'accent sur les «valeurs canadiennes», alors que les principaux opposants tablent sur un anti-américanisme primaire et sur une théorie du complot plutôt boiteuse. Les argumentaires des deux camps sont fondés, non pas sur l'examen objectif des faits et sur une analyse pragmatique des enjeux, mais sur leur idéologie respective.
Cet état de fait tient en partie à l'attitude de la Défense nationale qui, lorsque confrontée à des dilemmes fondamentaux, semble préférer la dissimulation à la transparence, par exemple dans le cas controversé des prisonniers transférés aux autorités afghanes par les troupes canadiennes et vraisemblablement torturés par la suite.
Pourtant, il ne s'agit pas là d'un problème exceptionnel, mais d'un dilemme représentatif de toute la complexité de ce type d'opérations: d'une part, l'occupant souhaite que les autorités nationales développent des institutions autonomes et des capacités de gouvernance propres - en particulier policières et militaires - afin qu'elles soient en mesure de gérer elles-mêmes les problèmes de sécurité et, d'autre part, celui-ci souhaite garder un droit de regard sur ses pratiques et ses choix politiques. Dans un cas comme celui-ci, les solutions adoptées par les occupants seront nécessairement imparfaites et, par définition, difficiles à vendre à la population, ce qui explique sans doute le mutisme des autorités canadiennes.
Pour une politique canadienne éthique
Pour faire évoluer le débat, il faut identifier des conditions minimales à la légitimité de la participation canadienne à l'opération de l'OTAN; en d'autres mots, il faut poser les termes d'une intervention «juste» au-delà desquels l'opération pourra être jugée abusive et nuisible pour la population afghane comme pour la population canadienne.
Pour y parvenir, il est stérile de revenir sempiternellement sur le contexte de l'intervention: bien que l'invasion soit survenue pour des raisons défensives, en réponse à une agression, et non initialement pour des raisons positives, soit délivrer la population de ses bourreaux talibans, il serait exagéré de prétendre que l'entreprise est perdue d'avance pour la simple raison que les motifs d'intervention n'étaient pas complètement désintéressés (qu'en pense la population afghane? Voilà ce qui compte vraiment).
Une telle position relève manifestement du dogmatisme, car, comme l'écrivait Michael Walzer (théoricien de la guerre juste), «une motivation unique dans l'absolu, une bonne volonté à l'état pur, est une illusion dans l'ordre de la politique». Cela ne justifie pas pour autant que, par réalisme et pour des raisons d'ordre stratégique, l'occupant puisse utiliser tous les moyens à sa disposition pour mater les insurgés et sécuriser l'Afghanistan. Pour que l'intervention soit juste, il faut qu'elle ait un minimum de chance de réussite, non pas en termes absolus, mais en termes relatifs. C'est-à-dire qu'elle doit être en mesure d'améliorer la situation de la population et la stabilité du pays.
Dans le cas de l'Afghanistan, il serait prétentieux de la part des occupants de prétendre qu'ils sont en mesure de transformer le pays en havre de paix prospère; toutefois, il serait tout aussi présomptueux de recourir à l'argument du «déterminisme historique», car rien ne permet d'affirmer qu'il est absolument impossible de stabiliser l'Afghanistan.
Ce qui concerne directement le citoyen canadien, c'est la façon dont les forces de l'OTAN conduisent cette guerre et comment la communauté internationale prépare la transition politique et économique du pays. Une intervention éthique doit, d'une part, utiliser à bon escient les ressources humaines (et matérielles) mises à sa disposition et prendre fin si la perspective de réussite disparaît complètement, c'est-à-dire si la présence des troupes occidentales empire la situation plutôt qu'elle ne l'améliore. Une intervention éthique épargne la population civile autant que faire se peut, recherche son consentement et respecte les droits des citoyens (c'est-à-dire, les considère comme égaux en droits).
L'intervention en Afghanistan sera juste dans la mesure où elle cherchera à procurer une plus grande sécurité physique et humaine à la population afghane; elle sera donc injuste si elle sert uniquement à remplir des objectifs extérieurs, soit à satisfaire exclusivement le besoin de sécurité de l'Occident. C'est en ces termes qu'il faut juger la participation canadienne à la Force internationale d'assistance à la sécurité.
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Kathia Légaré
L'auteure est doctorante en science politique à l'Université Laval.
Une mission juste?
Pour que l'intervention soit juste, il faut qu'elle ait un minimum de chance de réussite, non pas en termes absolus, mais en termes relatifs
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