Le vent tourne. Après avoir maintenu la ligne dure depuis son arrivée au pouvoir, le premier ministre Stephen Harper a adouci deux fois plutôt qu'une sa position sur la mission en Afghanistan. Il est maintenant de plus en plus clair que le Canada mettra fin en 2009 à sa mission de combat dans ce pays instable. Et le départ vers Kandahar des soldats de Valcartier n'est pas étranger au changement de direction.
Ottawa - La nouvelle est passée complètement inaperçue, puisque Stephen Harper a réservé ses commentaires à une radio locale de Calgary, dans son fief albertain. Interrogé le 10 juillet dernier sur son désir de poursuivre la mission de combat actuelle au-delà de février 2009, Stephen Harper a répondu un «non» sans équivoque. «Je pense que si on reste en Afghanistan après 2009, les Canadiens s'attendent à ce que l'on ait une nouvelle mission, a-t-il dit. Les Canadiens sont assez clairs: si on reste après 2009, il faudra avoir une certaine évolution [dans la mission].»
Le premier ministre a répété qu'il faudrait un «certain consensus» à la Chambre des communes pour poursuivre la mission et qu'un vote sera éventuellement tenu. Stephen Harper a également soutenu que l'OTAN pouvait encore faire mieux en Afghanistan. «La vérité, c'est que l'OTAN ne met toujours pas suffisamment de soldats sur le terrain pour apporter une stabilité permanente à l'Afghanistan. Les Canadiens sont assez clairs, ils veulent un partage du fardeau plus équitable», a-t-il dit sur les ondes de la radio de Calgary. Le bureau du premier ministre a refusé la demande d'entrevue du Devoir sur le sujet.
Ces propos du premier ministre représentent un sérieux changement de cap. Encore ce printemps, lors de sa visite à des soldats canadiens à Kandahar, Stephen Harper avait soutenu qu'il ne fallait pas fixer une date arbitraire de retrait des troupes. Il n'était pas non plus question d'une réorientation de la mission. «Vous savez que votre travail n'est pas achevé, avait-t-il dit aux militaires sous un soleil de plomb typique du sud afghan. Vous savez que nous ne pouvons pas simplement rendre les armes et espérer que la paix viendra par elle-même. Vous savez que nous ne pouvons pas fixer des délais rendre les armes et espérer que la paix viendra par elle-même. Vous savez que nous ne pouvons pas fixer des délais arbitraires et espérer qu'ils seront respectés.»
Or, la porte de sortie pourrait bien venir en partie de l'armée nationale afghane. En entrevue avec Le Devoir le 27 juin dernier, le chef d'état-major de la Défense, Rick Hillier, a soutenu que le Canada allait se concentrer de plus en plus sur ce rôle d'entraînement. Dans les prochains mois, le Canada triplera le nombre de soldats affectés à la formation de l'armée afghane à Kandahar, là où les troupes de l'OTAN et les militaires afghans traquent ensemble les talibans. Actuellement de 65, le nombre de soldats-instructeurs passera à plus de 200, a annoncé Rick Hillier.
«Nous allons prendre tous les moyens possibles pour que les talibans ne reprennent pas le dessus, et un de ces moyens, c'est de s'assurer que l'armée nationale afghane soit efficace, a dit le chef d'état-major. Depuis 2002, on se concentre beaucoup sur la formation de base de l'armée afghane, mais là, on passe tranquillement aux opérations concrètes sur le terrain. C'est un gros changement et il faut les aider. Ultimement, c'est l'armée afghane qui va empêcher les talibans de revenir.» Dans la province de Kandahar, Rick Hillier espère que de 3500 à 5000 soldats afghans seront pleinement opérationnels le printemps prochain. «Je pense que le gros des combats contre les talibans l'été prochain sera mené par l'armée afghane», a-t-il dit. Des propos qu'il a répétés au Toronto Star le 12 juillet dernier.
L'influence du Québec
Selon Michael Byers, professeur de géopolitique internationale à l'Université de la Colombie-Britannique, le gouvernement Harper commence à changer de discours au bon moment, puisque le départ de 2000 soldats québécois de Valcartier vers Kandahar n'augure rien de bon au point de vue politique. «L'impopularité de la mission au Québec est un gros problème pour Harper, qui veut faire des gains électoraux dans cette province. Si les morts se multiplient, ça va devenir dangereux, car sans le Québec il n'aura jamais une majorité aux Communes», dit-il.
Selon Michael Byers, il ne serait pas étonnant de voir moins de combats intenses dans les six à neuf prochains mois. «Si j'étais Harper, je demanderais aux militaires de mettre la pédale douce pendant que les gars du Québec sont là, question de ne pas subir trop de pertes qui vont nuire au gouvernement», dit-il.
Les derniers coups de sonde sont unanimes: entre 60 et 70 % des Québécois s'opposent au déploiement des troupes en Afghanistan, une proportion largement supérieure à celle dans le reste du pays, qui est plutôt divisé sur la mission.
Pourtant, l'incidence du déploiement de Valcartier ne s'est toujours pas fait sentir, estime Jean-Marc Léger, président de Léger Marketing. Les soldats québécois qui quittent le pays ces jours-ci (et jusqu'à la fin août) seront déployés durant six à neuf mois en terrain hostile. «Quand les noms francophones comme Tremblay, Gagnon ou Potvin vont revenir dans des cercueils, ça va faire mal», dit Jean-Marc Léger. La cote de popularité du gouvernement Harper au Québec, qui s'élevait à 56 % dans le sondage Léger Marketing-Le Devoir du 29 mai dernier, devrait chuter, selon lui.
La faible popularité de la mission au Québec pourrait également avoir des conséquences tragiques, estime l'historien militaire Jack Granatstein, qui est membre de l'Institut canadien des affaires étrangères et de la défense. «Je pense que les talibans vont délibérément cibler les gars de Valcartier, sachant que la mission au Québec est impopulaire et que l'engagement du Canada pourrait vaciller plus facilement», dit-il.
En effet, depuis deux ans, les services de renseignement en Afghanistan et les soldats canadiens à Kandahar ont eu la preuve à plusieurs reprises - notamment en trouvant des documents dans les repaires talibans et en faisant de l'écoute électronique - que les insurgés et leurs alliés d'al-Qaïda sont très au fait des débats politiques dans les différents pays de l'OTAN. Internet, en particulier, est scruté à la loupe par les talibans.
Le Québec à part
Les militaires et fonctionnaires affectés à la section de la recherche d'opinion publique au ministère de la Défense, à Ottawa, sont bien au parfum de la tendance lourde au Québec. Chaque année, la firme CROP étudie en profondeur la perception des Canadiens et des Québécois envers les Forces armées. L'enquête d'opinion de cette année a été remise en mars 2007 au ministère de la Défense. Plus de 2700 personnes ont été interrogées dans le cadre de cette recherche (la marge d'erreur est de 2 %).
Le verdict est clair, selon le président de CROP, Alain Giguère, qui pilote ce type d'étude depuis 15 ans pour les Forces armées. «Sur le plan qualitatif, la perception de l'armée est bonne d'un océan à l'autre, avec 53 % d'opinions favorables ou très favorables. Mais c'est sûr qu'au Québec le nombre de gens qui perçoivent favorablement les Forces canadiennes est plus faible qu'ailleurs. Historiquement, cela a toujours été le cas. Les Québécois savent que, dans l'armée, on te met un gun dans les mains et qu'on peut avoir à l'utiliser. Au Québec, on n'est pas prêt à ça. Risquer sa vie pour le pays, ce n'est pas notre genre», explique au Devoir Alain Giguère.
Le président de CROP estime que l'appui plus faible de la mission au Québec aura un effet politique certain dans les mois à venir. «Même chez ceux qui appuient la mission au Québec, la conviction est plus fragile qu'ailleurs au pays, soutient Alain Giguère. Je n'ai aucun doute que le soutien à la mission au Québec va dégringoler plus vite qu'ailleurs si les morts s'accumulent.»
L'enquête de CROP permet également de constater que le Québec perçoit différemment le rôle des Forces canadiennes. Dans la conclusion de sa vaste enquête, la firme de recherche écrit: «Quant au rôle qu'on favorise pour les forces, les points de vue sont fondamentalement partagés. D'une part, environ 40 % sont d'avis que la défense et la sécurité devraient constituer le rôle majeur des Forces canadiennes. Tandis qu'un autre 40 % estiment que la raison d'être des Forces devrait s'articuler autour de l'aide humanitaire en cas d'urgence ou encore au maintien de la paix.»
Ce choc entre une vocation «plus traditionnelle» et une vocation «plus humaniste» et «postmoderne» des Forces n'est pas aussi fort au Québec, affirme Alain Giguère. «Les deux blocs sont de plus en plus campés sur leurs positions, mais au Québec la majorité des gens optent pour la vocation plus humaniste. Ce n'est pas aussi divisé que dans le reste du pays», dit-il.
Cette perception des Forces canadiennes au Québec, alors que le Canada ne fournit plus de Casques bleus depuis dix ans, pourrait expliquer une partie de l'opposition à la mission afghane, où le rôle canadien de pays combattant pour pacifier la région de Kandahar est bien visible et heurte la vision québécoise de l'armée, soutient le sondeur.
Combattre en Afghanistan après 2009? C'est non, affirme Harper
Le Canada devra recevoir une mission différente, dit-il
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