Périmètre de sécurité

Une option ou un impératif?

Actualité du Québec-dans-le-Canada - Le Québec entravé




La déclaration «Par-delà la frontière: une vision commune de la sécurité du périmètre et de la compétitivité économique», rendue publique le 7 décembre dernier par le président Barack Obama et le premier ministre Stephen Harper, vise à faciliter la circulation des biens et personnes à la frontière canado-américaine en réaffirmant que les enjeux de sécurité demeurent le préalable au commerce, une règle immuable prescrite par les États-Unis depuis le 11 septembre 2001.
Tant pour Ottawa que pour les provinces, cet ordre des choses qui subordonne le commerce à la sécurité n'est pas nouveau ni irrégulier, même si d'aucuns estiment qu'il dépasse parfois la mesure quand il est utilisé comme subterfuge à d'autres fins. Pour le Canada, sécurité oblige doublement en raison du contexte international et de la prépondérance des multiples facettes de son voisinage, surtout le commerce. L'énoncé textuel des quatre axes de coopération ayant fait l'objet d'un accord entre les chefs de gouvernement témoigne justement de l'interdépendance des objectifs poursuivis par cette initiative, à savoir: 1. agir tôt pour éliminer les menaces; 2. facilitation du commerce, croissance économique et emplois; 3. application transfrontalière de la loi; et 4. infrastructures essentielles et cybersécurité.
Négociations bilatérales
Cet accord dont le Canada s'est fait le principal promoteur propose en quelque sorte d'établir de nouvelles bases au partenariat canado-américain déjà existant. Il s'agirait nommément «d'ouvrir» davantage la frontière et de la redéfinir, au moins pour éliminer la duplication des étapes d'inspection, harmoniser les critères de certification à l'égard de certains produits et simplifier les formalités administratives, autant d'entraves à la fluidité qui se traduisent en coûts considérables estimés annuellement à 16 milliards de dollars au Canada seulement, surtout pour les entreprises de petite et moyenne taille, depuis la mise en oeuvre du «Plan d'action sur la frontière intelligente» et ses mesures.
L'issue des négociations bilatérales demeure toutefois incertaine. D'emblée, on compte parmi les embûches: les coûts élevés de la mise en oeuvre; des soulèvements probables s'il y a remise en question de pratiques ou valeurs identitaires considérées comme axes de souveraineté; le durcissement des tendances protectionnistes, en particulier au Congrès, dans un contexte budgétaire et économique précaire; l'inertie partisane qu'engendre la tenue des élections présidentielles à l'égard d'un dossier de ce type; l'intérêt limité ou l'indifférence générale de l'opinion publique, de groupes d'influence, voire d'un bon nombre de leaders aux États-Unis, quant aux enjeux commerciaux par rapport à l'incontestable primauté de ceux associés à la sécurité à la frontière.
Rapports commerciaux diversifiés
En dépit de ces obstacles, faut-il souligner que les options ne sont pas légion, surtout pour le Canada? A priori, le fait que chaque pays constitue pour l'autre le principal partenaire commercial et que les États-Unis forment l'économie la plus grande et la plus diversifiée du monde suffit à mettre en relief le bien-fondé d'une telle initiative. Certes, il est laborieux de faire valoir aux États-Unis la portée et les avantages résultant de ses échanges et ceux de 35 États qui ont le Canada comme principal partenaire commercial. Toutefois, le Canada et les provinces reconnaissent sans équivoque que leur commerce est très largement concentré aux États-Unis et que pas moins de 30,9 % du PIB canadien, 29 % de celui du Québec, 75 % des exportations canadiennes et 67,9 % de celles du Québec sont tributaires du marché américain.
Sans négliger pour autant l'objectif de diversification des rapports commerciaux, le gouvernement fédéral et les provinces devraient plutôt considérer cette initiative comme un impératif. Si la promotion des liens commerciaux avec les États-Unis va de soi à cause de leur ampleur stratégique, s'ils sont sources de prospérité et créateurs d'emplois (un sur sept au Canada), la mise en oeuvre du plan d'action serait susceptible de leur insuffler une nouvelle dynamique et de freiner le déclin presque constant des exportations, surtout depuis 2008.
L'occasion se prêterait bien pour fouiller plus à fond les motifs favorables à l'appartenance à cette région économique. Le discours politique canadien fait souvent référence à son existence en relevant l'interconnexion poussée de la chaîne d'approvisionnement et des cycles de production entre les deux pays, mais force est d'admettre qu'il ne résonne pas fort au sud de la frontière. Voilà pourquoi les interventions suivies, tant de la part du gouvernement fédéral que des provinces, nommément le Québec par l'entremise de ses partenariats et son accès auprès de gouverneurs et de gens d'affaires au sein de forums d'États fédérés, demeurent décisives.
Le mérite d'une stratégie
Enfin, il conviendrait également d'envisager la mise en oeuvre de cette déclaration comme un processus susceptible de mettre à l'épreuve certaines tendances, de ce côté-ci de la frontière, à se conforter quant aux performances en matière de productivité, d'innovation et de compétitivité, alors que les États-Unis figurent, à plusieurs chapitres, en haut de la liste des pays de l'OCDE. Plusieurs experts, dont le gouverneur de la Banque du Canada et des analystes du Conference Board, multiplient les mises en garde, car la croissance économique, ici mieux soutenue pendant la présente crise économique, serait en péril à cause de faibles gains en matière de productivité et de résultats insuffisants sur le plan des facteurs qui conditionnent la compétitivité.
Quand on sait que ces facteurs — résultats de dépenses en recherche et développement (R&D) dans les secteurs de pointe et d'innovation, du nombre de doctorats dans des domaines-clés comme le génie et les sciences, etc. — comptent parmi ceux qui déterminent le positionnement d'un pays dans l'économie mondiale, on doit reconnaître que le processus de mise en oeuvre de la déclaration pourrait s'avérer, à cet égard, un catalyseur de la compétitivité du Canada en la frottant de plus près à celle, redoutable, des États-Unis.
En somme, toute stratégie propice à faciliter la circulation des biens et des personnes, à créer des emplois, à accroître la richesse collective et à fouetter la compétitivité mérite considération pour autant que le Canada et les provinces entreprennent les négociations, et ce, sans compromettre, à l'instar des États-Unis, l'intérêt national et les valeurs fondamentales.
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Ginette Chenard - Ex-déléguée du Québec à Atlanta et chercheuse senior en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM

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