Je vois déjà la suite. Certains militants indépendantistes réagiront fort à cette visite de la royauté britannique en sol québécois. Les journaux canadiens anglais, peut-être même britanniques, en feront leurs choux gras pendant quelques semaines. Le jour venu, un regroupement de résistants jouera du coude avec les forces de l'ordre alors que les médias réussiront quelques clichés sensationnalistes. On rappellera peut-être le Samedi de la matraque, sans plus de détails. Bref, il n'en restera qu'un certain malaise, lancinant, chez les Québécois. Celui de voir, au sein d'une nation moderne, une rhétorique digne du 19e siècle.
C'est d'ailleurs ce que l'on reprochera aux militants qui jurent de faire reculer le prince Charles. On leur dira que ce type de lutte est chose du passé, que les Patriotes ont depuis longtemps rangé leurs ceintures fléchées et leurs fusils de chasse. On les marginalisera, même chez certains souverainistes, en expliquant que l'indépendance du Québec ne passe plus par la lutte à la Couronne britannique, mais par notre identification forte à un Québec qui est capable de se gouverner sans ambages. Cette situation anachronique nous affligera d'une maladie pire que la peste: celle du vaincu.
Pourtant, c'est plutôt l'inverse. Le problème qui court n'est pas tant le syndrome du vaincu comme celui du conquérant. Soyons clairs: la visite du premier ministre anglais ne ferait pas la moindre vague, pas plus que la visite du président français, russe ou italien. C'est plutôt un vieux symbole, dont les mains sont tachées au Québec et ailleurs, qui fait une visite officielle sur «ses terres». Le responsable des communications publiques de la famille royale n'est pas un sot, il sait très bien que l'appartenance à son employeur est plutôt négative au sein de notre nation. On tient, par contre, à venir pour démontrer un je-ne-sais-quoi. Si l'on écarte l'incompréhension de la situation politique au Québec, qui est sans doute bien comprise depuis l'émeute de 1964 lors de la visite de la Reine, il ne reste que l'arrogance pour expliquer cette venue. À partir de là, bien mal pris sera celui qui voudra reprocher à quelques militants de vouloir rappeler au prince Charles que le Québec n'est pas en extase devant ce qu'il représente.
Reculer pour mieux sauter
Cette visite du prince Charles tombe bien mal, car en ce moment, l'institution du lieutenant gouverneur est en chute libre dans l'opinion publique. En fait, les Québécois sont passés d'une indifférence générale à une colère certaine en voyant que cette dame inoffensive, véritable relique institutionnelle, coûtait un peu trop cher pour de bien mauvaises raisons. Ajoutons à cela que le voyage du prince Charles se fera cette fois à nos frais, les Anglais devenant exaspérés de payer pour ces visites, sans jeu de mots, princières. Le total de ces données nous donne une institution qui est inutile, coûteuse, chicanière et qui, surtout, mine la crédibilité de la chose politique dans l'esprit de la population.
L'abolition de la monarchie au Québec n'est sans doute pas ce qui propulsera les Québécois vers la liberté, la cohésion sociale et la richesse collective. Mais pour mieux passer à une autre étape, il faut certaines fois faire le ménage afin d'éviter, en cours de route, d'être hanté par les fantômes du passé. Nous sommes pacifistes et en paix avec notre passé, mais nous voulons aujourd'hui, comme toujours, améliorer notre sort. L'abolition de ces tracasseries d'une autre époque apparaît donc comme un préalable afin que les Québécois reprennent le collier pour se doter d'une société démocratique, riche et libre.
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Alexandre Thériault-Marois, pésident du Comité national des jeunes du Parti québécois
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