Une photographie a récemment provoqué la polémique en France. Une photo publiée sur la page Facebook du ministère de l’Éducation nationale. Pourtant, celle-ci ne montrait que de jeunes enfants de maternelle. Des enfants tout ce qu’il y avait de plus charmants et innocents.
Jamais cette photo n’aurait fait débat si, chaque fois que l’Éducation nationale en publie une, il ne fallait s’assurer que celle-ci correspond aux codes de la rectitude politique du moment. Comme dans l’URSS de Staline, les photos de l’Éducation nationale doivent dorénavant passer l’épreuve de la censure. Comme au Québec, elles sont en effet soigneusement choisies afin de représenter, dit-on, la diversité ethnoculturelle. Cette diversité qui semble être devenue le Graal de notre époque. Or, comme les Polonais, les Irlandais (et même souvent les Amérindiens chez nous) ne sont pas suffisamment « visibles », il faut donc saupoudrer ces photos de minorités qui le sont. Avec le résultat qu’on a parfois l’impression que la France est composée à parts égales de Noirs, d’Asiatique et de « Blancs ».
Dans le cas qui nous occupe, les auteurs de la photo avaient poussé le bouchon encore plus loin. Sur huit bambins, il n’y avait que deux « Blancs », et encore l’un d’eux était-il à moitié caché. Remarquez que, en ce qui me concerne, il y aurait très bien pu y avoir huit Noirs, huit Asiatiques, huit Serbo-Croates ou cinquante petits bonshommes verts, violets ou roses. Mais puisque nos pédagogues ont érigé en règle cette censure abêtissante, on ne s’étonnera pas que, bien au fait de la rectitude ambiante, certains en aient conclu que le ministère voulait faire croire que l’école française était majoritairement composée de Noirs. Ciel quelle horreur ! Comme de raison, le site du ministère a été inondé de propos souvent racistes. Comment s’étonner qu’une politique fondée sur la race — comme choisir la photo d’un enfant en fonction de sa couleur — suscite justement des réactions racistes ?
De belles photos, on en trouve à profusion dans le très beau numéro hors série sur le Québec que vient de publier le magazine français Télérama. Une publication d’ailleurs subventionnée par le gouvernement québécois. Cette revue léchée qui tapisse les kiosques parisiens depuis quelques jours pourrait presque laisser penser que le Québec va bien. Bref, qu’il est une sorte de petit paradis terrestre sans corruption, sans pont Champlain, sans Lac-Mégantic et loin des affreux débats identitaires qui agitent le monde.
Le magazine s’ouvre d’ailleurs sur une longue entrevue du philosophe Charles Taylor. Plus jovialiste, tu meurs ! Le Québec y est décrit comme ce lieu harmonieux où cohabitent sans heurts toutes les nationalités et toutes les religions. Et pour cause puisque, nous dit le philosophe : « les trois quarts de la population [québécoise] sont des immigrants ». Les trois quarts ! Rien de moins ! Le jeune Français qui lira cet article risque donc de s’imaginer le Québec comme un gros quartier chinois ou un petit Kuala Lumpur.
On se demande bien comment un être aussi sensé que le coprésident de la commission Bouchard-Taylor peut bien arriver à un chiffre aussi abracadabrantesque. N’importe quel adulte un peu renseigné sait que les 80 % de Francophones qui peuplent le Québec sont pour l’essentiel des descendants de colons qui n’ont jamais « émigré » nulle part puisqu’ils quittaient la France pour s’établir… en France. En 1663, avec le Conseil souverain, la Nouvelle-France devenait d’ailleurs une région française comme les autres. Il en va de même pour la minorité de souche anglaise venue du Royaume-Uni. Troquer une partie de l’Empire contre une autre, à l’époque, ce n’était pas « émigrer ». Quant aux loyalistes venus des États-Unis, s’ils ont gagné le Canada, c’était justement pour demeurer dans l’Empire et ne pas « émigrer » en terre républicaine.
En affirmant que nous sommes tous des immigrants, Charles Taylor prend ses désirs pour la réalité. Il contribue ainsi à répandre ce mythe d’un Québec « liquide », malléable à souhait capable de s’adapter aux moindres désirs du marché. Un Québec qui correspond aussi pour lui à un certain rêve universaliste chrétien où les hommes ne se définissent plus que par leur ouverture à l’autre. Bref, un Québec venu de nulle part, sans héritage, sans histoire, sans conscience historique et sans identité.
Cette façon de faire mentir les chiffres m’a étrangement fait penser à ces extrémistes français qui prétendent, eux, que les cinq millions de musulmans que compterait la France sont sur le point de remplacer les 55 millions de Français de souche. On retrouve dans ces deux affirmations gratuites le même enfermement dans l’idéologie, la même hystérie des chiffres et le même déni de la réalité : celle d’un peuple inscrit dans l’histoire et dans un territoire. Il n’y a rien qui ressemble plus à l’idéalisation de l’immigrant que sa démonisation. Au fond, ces deux extrémismes s’alimentent l’un l’autre comme des frères siamois. Exactement comme quand quelques apprentis sorciers s’amusent à trafiquer des photos.
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