La Conquête, un tabou à Ottawa

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Depuis deux ans, Ottawa a tout fait pour empêcher la venue à Québec de l’original du traité de Paris, qui sera finalement exposé du 22 septembre au 2 octobre au Musée de la civilisation de Québec.

Depuis deux ans, Ottawa a tout fait pour empêcher la venue à Québec de l’original du traité de Paris, qui sera finalement exposé du 22 septembre au 2 octobre au Musée de la civilisation de Québec. Document fondateur de l’histoire du Canada, le traité de Paris est celui qui a mis fin, en 1763, à la guerre de Sept Ans et scellé la cession du Canada à l’Angleterre après la défaite des plaines d’Abraham.

Il aura fallu deux ans de combat diplomatique pour faire venir ce précieux document, qui aurait normalement dû être exposé l’an dernier, année de son 250e anniversaire. De sources française et canadienne, Le Devoir a appris que c’est la décision favorable du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, au printemps dernier après la visite de la ministre québécoise des Relations extérieures, Christine Saint-Pierre, qui a finalement tranché le débat contre l’avis de la direction du Quai d’Orsay et de l’ambassadeur de France à Ottawa, Philippe Zeller, qui craignaient de mettre à mal les relations de Paris avec Ottawa.

« Ottawa nous a mis tous les bâtons dans les roues », a confirmé l’historien Denis Vaugeois jeudi soir dernier lors d’une table ronde tenue à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. L’ambassadeur de France à Ottawa a « informé Paris que la venue du traité ne serait pas bienvenue au Canada », a-t-il déclaré. Selon cet ancien ministre des Affaires culturelles du Parti québécois qui a multiplié les voyages à Paris pour faire venir le document au Musée de la civilisation de Québec, cette exposition entrait en contradiction avec la politique de commémoration du gouvernement fédéral qui ne souhaitait pas rappeler cet épisode douloureux de l’histoire du Québec. Ottawa avait plutôt choisi de célébrer le 200e anniversaire de la guerre anglo-américaine de 1812-1813.

À Ottawa, malgré les pressions du consul général de France à Québec, Nicolas Chibaeff, l’ambassadeur français Philippe Zeller aurait fait « tout son possible » pour s’opposer à la venue du traité, nous a-t-on confirmé à Paris. Il aura d’ailleurs fallu attendre des mois pour obtenir la décision définitive des archives du Quai d’Orsay, seul dépositaire du traité. « Il y a certainement eu des pressions d’Ottawa », nous dit-on à Paris, car Ottawa craignait que cette exposition, alors que le PQ était toujours au pouvoir, ne ravive les sentiments nationalistes.

À l’ambassade de France à Ottawa, on se contente d’évoquer un conflit d’agenda. L’ambassadeur souhaitait, dit-on, que la venue du traité (qui a aussi permis à la France de conserver Saint-Pierre et Miquelon) ne coïncide pas avec la visite du président François Hollande à la fin octobre. De son côté, le porte-parole du ministère canadien des Affaires étrangères affirme qu’il « n’a pas été impliqué dans des discussions avec les autorités françaises à ce sujet ».

La copie anglaise refusée

Pourtant, dès septembre 2012, le Musée canadien des civilisations à Ottawa (rebaptisé Musée canadien de l’histoire) a rejeté les propositions qui lui ont été faites d’exposer ce document fondateur du Canada. À l’époque, l’historien américain Donald C. Carleton Jr préparait la venue de la copie britannique du traité de Paris à l’Old State House de Boston. Son objectif était de rappeler que l’élimination de la menace française au Canada avait fortement contribué à accélérer l’indépendance des États-Unis, ceux-ci n’ayant plus besoin des Britanniques pour se défendre. Carleton s’est naturellement tourné vers les institutions fédérales canadiennes pour faire venir le document au Canada. Après quelques contacts, il s’est buté à une fin de non-recevoir. Le 6 septembre 2012, la directrice du « développement créatif et apprentissage » du musée, Lisa Leblanc, informa l’historien que le musée n’envisageait aucune « exposition d’envergure » sur le traité.

Le lendemain, Donald C. Carleton confiait à l’historien québécois Jocelyn Létourneau avoir été « naïf ». Il se disait totalement « déconcerté par la façon dont l’anniversaire de 1763 est, ou plutôt n’est pas, pris en considération par les institutions canadiennes ».

Contactée par Le Devoir, Patricia Lynch, du Musée canadien de l’histoire, soutient que si la proposition de Donald C. Carleton a été rejetée, c’est parce que « les dates ne correspondaient pas pour nous ». L’attachée de presse affirme aussi que le musée a « fait des démarches auprès du ministère [français] de la Défense, ainsi que les Affaires étrangères de la France, pour l’emprunter [le traité] ». Or, la direction des archives diplomatiques du ministère français des Affaires étrangères n’a jamais reçu de demande officielle.

Après deux ans de querelles diplomatiques larvées, le traité sera finalement exposé au Musée de la civilisation de Québec où, compte tenu des conditions de conservation exigeantes, il ne devait être vu que par petits groupes et sur réservation. Mais la demande populaire a obligé le musée à ouvrir la visite plus largement. « Dans l’inconscient collectif, la Conquête demeure quelque chose d’extrêmement important », affirme le directeur général, Michel Côté.

Pour Denis Vaugeois, l’attitude du gouvernement fédéral demeure inacceptable. « Harper ne voulait rien savoir de 1763 ni raviver ces souvenirs qui évoquent la cession du Canada, dit-il. C’est incroyable ! Le Canada est pourtant né de ce document qui marque le début de la colonisation britannique. Pourquoi a-t-on si peur de le rappeler ? »


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