L'absence de contours définissant la laïcité au Québec n'est pas sans conséquences: plutôt que d'ajuster leur fonctionnement aux règles édictées par l'État, les organismes et institutions publiques manoeuvrent dans le brouillard, contraints de réagir aux cas particuliers. Cette confusion les mène tout droit aux divagations.
Il y a beaucoup à lire en filigrane dans l'avis publié hier par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec. [Dans un concis rappel à l'ordre->26330], la Commission établit que la Régie de l'assurance maladie du Québec a été trop accommodante.
Elle n'avait pas à convenir de cette «mesure transitoire» appliquée depuis octobre 2009 permettant aux femmes vêtues du voile intégral (niqab ou burqa) d'être servies par un agent de sexe féminin au moment de la vérification de leur identité et de la prise de photo — un appel à la levée du voile. Un moment si fugace, note la Commission, qu'on ne peut conclure qu'il portera une atteinte «significative» à la liberté religieuse. Plutôt que d'en faire une directive générale, on suggérera plutôt aux clientes incommodées de refaire la file jusqu'à une femme soit disponible pour les servir. Une question de gros bon sens.
Faute de règles claires, que de tâtonnements et d'incertitude pour en arriver là! L'affaire du niqab au cégep de Saint-Laurent a éclaté après six mois de pourparlers, où tout fut tenté, au-delà du raisonnable, avant d'en arriver à l'expulsion de l'étudiante. Curieusement, il aura fallu cette histoire pour sortir le Québec d'une étrange torpeur, lui qui pourtant ausculte ses facettes identitaires depuis des mois. Cette affaire a — enfin! — sorti le gouvernement Charest d'une inquiétante léthargie: il est rassurant d'entendre maintenant la ministre Yolande James affirmer avec assurance le caractère déraisonnable de certains accommodements religieux, particulièrement lorsqu'ils ébranlent le socle de l'égalité entre les femmes et les hommes. Il y a quelques mois, la même ministre, sur le même sujet, n'avait aucun commentaire à formuler.
Ce gouvernement, ainsi que le réclame sans relâche l'opposition officielle, doit toutefois franchir un pas additionnel en définissant encore davantage ce qu'est la laïcité au Québec, jusqu'à lui ajouter une enveloppe législative. La gouverne au cas par cas ne peut mener qu'aux excès et aux dérives. La RAMQ a voulu bricoler ses propres règles? Pour éviter de brimer la liberté religieuse d'une poignée de clientes, elle risquait d'écorcher le droit à l'égalité de ses propres employés.
Dans les pages du Devoir hier, un groupe d'«intellectuels pour la laïcité» a signé une Déclaration qui appelle à une expression claire de la neutralité de l'État, en interdisant notamment le port des signes religieux aux agents de l'État, quels qu'ils soient. De riches discussions restent à être menées, notamment autour de ce que constitue un signe religieux ostentatoire: la Commission, dans son avis, rappelle que «le port du hidjab ne comporte pas nécessairement un sens religieux». On s'en étonne.
Sur nombre de sujets, dont ce laborieux travail de définition, les discussions risquent d'être délicates, voire pénibles. Mais le gouvernement Charest aurait tort de refuser d'ouvrir ce champ en invoquant, comme il le fait, une éventuelle fragmentation sociale. Cette division risque bien davantage de survenir en l'absence de règles nécessaires. Celles-ci permettront, sans les éliminer toutes, d'éviter de nuisibles divagations.
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