André Boisclair - «Il nous reste encore beaucoup à faire»

La nation québécoise vue par les souverainistes québécois

Je voudrais commencer par remercier tous les membres de cette assemblée qui nous permettent de parler d'une seule voix et de reconnaître, aujourd'hui, que cette institution puisse saluer le progrès qui a été fait à la Chambre des communes du Canada. [...]
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Nous reproduisons aujourd'hui la majeure partie des allocutions prononcées hier par le premier ministre du Québec, Jean Charest, et par le chef de l'opposition, André Boisclair, à l'occasion de l'adoption par l'Assemblée nationale d'une motion unanime prenant acte de la reconnaissance de la nation québécoise par la Chambre des communes du Canada.
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Je me réjouis de voir qu'aujourd'hui un peuple, le peuple canadien, et que son institution suprême, la Chambre des communes, soient enfin capables de sortir du déni dans lequel le Canada s'était plongé il y a plusieurs années. Parce que, s'il est vrai qu'en 1774, nos ancêtres signaient les mots célèbres que nous célébrons aujourd'hui, encore faut-il voir que cette conscience historique s'est bien étiolée avec le temps. Je ne rappellerai pas au souvenir des membres de cette assemblée des déclarations ou des images malheureuses qui nous ont parfois été présentées dans notre histoire contemporaine, mais la réalité, c'est que le Canada était en train de sombrer dans le déni.
Et je veux reconnaître aujourd'hui que la Chambre des communes pose un geste qui a une valeur symbolique. Il faut rappeler que, malgré tous nos bons espoirs et l'espoir bien réel que cultivent les Québécois à l'endroit de leur capacité de tisser, avec les Canadiens puis avec les autres peuples du monde, des rapports harmonieux, encore faut-il être capable de dépasser ce que sont les symboles. Je pense qu'il était correct... Et c'était là traiter nos amis de façon respectueuse que de reconnaître la qualité du geste qu'ils ont posé. Mais je m'en voudrais de ne pas -- et je ne veux pas ici engager un débat partisan --, mais je m'en voudrais de ne pas rappeler qu'une fois ce geste posé, il nous reste encore beaucoup à faire.
Je veux simplement ici citer le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, qui s'exprimait en ces termes: «À ceux qui, dans le reste du Canada, craignent la reprise du débat constitutionnel portant sur la spécificité du Québec, je tiens à dire que celui-ci est inévitable.» Ces paroles ont été prononcées il y a quelques semaines. Et il poursuivait en ces termes: «La reconnaissance de la spécificité du Québec n'est pas un caprice. Elle est même nécessaire, car la Constitution d'un pays est un miroir. Il est impérieux que, dans ce miroir, dans la Constitution, les Québécois se reconnaissent pleinement.» Voilà comment s'exprimait un membre important du gouvernement du Québec.
Ma responsabilité, aujourd'hui, n'est pas de donner des conseils aux fédéralistes qui sont aux prises avec leur débat. Le premier ministre, ces derniers jours, m'interpellait en disant que nous ne serions jamais satisfaits. Non. Les souverainistes sont capables de marquer les progrès et de les reconnaître, ce qui ne nous distrait pas, ceci étant, de notre objectif. Et quand j'entends des déclarations comme celle du ministre, quand j'entends aussi ce que disent plusieurs fédéralistes dans les salons, ceux qui ne sont véritablement jamais satisfaits, ce ne seront pas les souverainistes, ce seront les fédéralistes qui sont, encore aujourd'hui, confrontés à leur vrai problème: l'impasse constitutionnelle de 1982. Parce que, quoi qu'on dise, il demeure un vice de fond dans les institutions. Cette Assemblée nationale, un jour, a rappelé, à l'unanimité, que nous nous sommes fait imposer une loi fondamentale, la loi du pays, «the law of the land», par un autre Parlement.
Ce que nous demandons aux Canadiens, dans notre quête d'une recherche d'une plus grande responsabilité, inspirée de la même générosité de toutes celles et ceux qui se battaient pour le gouvernement responsable... Parce que nous n'étions pas à l'époque que des Québécois de souche, et j'apprécie que le premier ministre rappelle que, pendant cette quête, nous étions nombreux, de toutes origines, à nous battre pour le gouvernement responsable. Mais ce que nous cherchons, inspirés de leurs espoirs, inspirés de leurs talents, ce que nous cherchons aussi, c'est une nation pleinement responsable. C'est pour cette raison que nous continuons, nous, ici, de croire à la souveraineté du Québec. Nous pensons que c'est là le véritable destin pour notre peuple.
Lorsque je rentre dans cette Assemblée nationale du Québec, il y a plus de 15 ans, il y avait -- et j'étais assis sur les banquettes ici, derrière --, il y avait un premier ministre qui défendait la souveraineté culturelle du Québec. Il y avait eu, avant lui, un premier ministre souverainiste qui avait déposé ici, dans cette Assemblée nationale, une motion pour engager des discussions constitutionnelles avec le gouvernement fédéral. Il s'appelait René Lévesque. Des revendications traditionnelles du Québec aux conditions de Meech, à Charlottetown, nous voilà aujourd'hui rendus à souligner le fait que le gouvernement canadien sort du déni. Tout cela en 15 ans. Que s'est-il passé...
Que s'est-il passé? Que s'est-il passé? Est-ce que des gens qui, aujourd'hui, rappellent l'histoire et le font de façon très digne n'ont-ils pas la responsabilité de s'inscrire dans l'histoire et de nommer la réalité comme elle est? Notre quête n'est pas une quête partisane. C'est la quête de tout un peuple, ouvert, généreux, accueillant, qui sait s'enrichir des apports de gens qui viennent de partout à travers le monde. Et cette quête, elle est moderne aussi parce qu'elle prend sa source non seulement dans notre histoire mais aussi dans la volonté que nous avons de bâtir un avenir commun qui nous permettrait de mieux nous développer et de nous développer plus rapidement.
Parce que nous pensons qu'une des façons de contribuer à la paix dans le monde, c'est peut-être de faire en sorte que les nations soient capables de mieux dialoguer entre elles. Parce que nous pensons aussi que les Québécois gagnent à être encore plus en contact avec les gens d'ailleurs, parce que nous avons encore beaucoup à apprendre, nous avons beaucoup à gagner, nous, comme Québécois. Nous avons donné beaucoup. Nous avons envoyé nos ancêtres, nos grands-parents, missionnaires partout à travers le monde. Nous avons donné beaucoup au monde. Nous offrons aujourd'hui des entrepreneurs de talent. Nous offrons des artistes qui se font entendre partout à travers le monde. Nous contribuons puissamment au dialogue. Mais nous avons aussi beaucoup à apprendre, et c'est parce que nous avons ce désir d'apprendre que nous voulons bâtir chez nous nos propres codes d'accès au reste du monde, que nous voulons donner la chance aux Québécois de se positionner non pas par rapport au Canada, ce qui est déjà, peut-être, une chose... Mais dans le fond, le défi pour nous, c'est de nous positionner dans le monde et de faire en sorte que non seulement nous puissions avoir une vie nationale enthousiasmante mais qu'on puisse aussi permettre aux jeunes, qui voient bien de quoi sera faite leur vie, aux jeunes qui sortent de ces universités, qui voient le monde dans lequel ils auront à réfléchir, à travailler, puis à bâtir, puis à créer... Ils comprennent bien que c'est là que ça va se passer. On veut leur donner un accès au monde et, cet accès au monde, on veut le leur donner à travers le seul vrai projet politique qui tienne pour le Québec, qui est celui de la souveraineté du Québec.
En somme, soyons corrects, soyons respectueux, votons en faveur de cette motion, mais comprenons bien qu'au moment où le Canada sort du déni, nous avons ici, dans cette assemblée, encore plus de responsabilités. Je souhaite que nous puissions aller au fond des choses et aller encore plus loin, inspirés du même courage de ceux qui ont fait des compromis dans le passé, inspirés du même courage de ceux qui ont signé l'Acte de Québec et qu'on se dise en 2006: comment notre peuple peut-il progresser vers plus de libertés et progresser vers plus de responsabilités? Ce défi, les Québécois sont bien prêts à l'accepter, et je suis sûr que, le jour où ils se diront oui, ils le feront de façon digne et qu'ils seront encore plus confortables dans leur identité de Québécois.
Saluons ce geste, faisons-le dans le respect, faisons-le dans la sobriété et retournons, une fois cette motion adoptée, chacun à nos devoirs. Je pense que nous pourrons, dans cette assemblée, sortir grandis de cet exercice. Continuons, au-delà des trivialités du quotidien puis au-delà des distractions du quotidien, à réfléchir sur l'essentiel: la responsabilité, la liberté, le sens du devoir et le courage. Si nous en avons tous, du courage, les Québécois se salueront... se féliciteront, devrais-je dire, de la qualité de notre contribution et seront sans doute encore plus nombreux à participer à la vie démocratique québécoise.


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