François Hollande a rencontré à Londres l’homme qui pourrait rétrécir l’Europe - la faire passer de 27 à 26 membres. David Cameron ne souhaite sûrement pas que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne (UE). Il n’est ni europhile ni europhobe, au mieux europragmatique, au pire eurocynique, bref sans religion. Mais le premier ministre de Sa Majesté pourrait être contraint à ce Brixit - British exit. Une infernale machinerie, politique et légale, est en marche, qui tire en ce sens. Elle a deux moteurs : l’évolution du Parti conservateur, dont M. Cameron est le chef, et celle de l’UE, sous le choc de la crise de l’euro. Explications recueillies au bord de la Tamise. Le chef du gouvernement opère sous la contrainte d’une loi votée l’an passé. En Grande-Bretagne, toute nouvelle délégation de pouvoir au profit de Bruxelles devra dorénavant être soumise à référendum. La formule est un peu jargonnante. Elle veut dire une chose toute simple : le Royaume-Uni n’entend plus que l’Europe empiète sur une parcelle de sa souveraineté sans que les Britanniques soient consultés au préalable. Autrement dit, pas question que l’Union prenne le chemin voulu par l’Allemagne d’Angela Merkel : plus de « gouvernement économique », plus d’harmonisation budgétaire, plus d’union politique, plus de dynamique sociale commune, bref « plus d’Europe », comme le dit la chancelière. Cette évolution est sans doute indispensable pour sauver l’euro, reconnaît-on à Londres. Mais toute mesure contraignante allant dans cette direction fera ici l’objet d’un référendum. Les Britanniques sont logiques avec eux-mêmes. Ils n’ont pas rejoint l’euro sans raison. Ils entendent rester aussi souverains que possible dans le vaste domaine budgétaire - fiscalité, couverture sociale, temps de travail, retraite, etc. M. Cameron comprend parfaitement que les Dix-Sept de la zone euro s’embarquent dans une union de plus en plus intégrée. Il le leur recommande même. Avant chaque réunion des Dix-Sept, le grand jeune homme de Notting Hill - l’un des quartiers les plus bobos de Londres - prodigue volontiers ses conseils. Il intime aux Dix-Sept d’aller vers la plus étroite des unions bancaire et budgétaire. Le sauvetage de la monnaie unique est à ce prix, dit-il. À l’exception de Tony Blair, les dirigeants britanniques ont toujours été sceptiques sur l’euro. À Londres, la monnaie unique est en général présentée comme un désastre - une sorte d’utopie qui doit plus à l’idéologie qu’à la réalité économique. Difficile de dire que les Britanniques ont tout à fait tort… Pour autant, ils ne veulent pas l’effondrement de l’euro. Ce n’est dans l’intérêt ni de la City - l’un des principaux centres financiers pour les opérations en euros - ni de l’économie du Royaume en général - tant elle est liée au reste de l’Europe. Seulement, ce qui est nécessaire pour que vive l’euro, la constitution de ce noyau dur des Dix-Sept, inquiète la Grande-Bretagne. Si jamais elle voit le jour, cette union dans l’Union, petit groupe de plus en plus solidaire, va déstabiliser l’équilibre des pouvoirs au sein de l’Europe. Une zone euro intégrée risque de devenir l’entité dominante dans l’Europe des Vingt-Sept. Si les Dix-Sept forgent cette fameuse union budgétaire, elle marginalisera Londres. Elle lui enlèvera du poids pour défendre la seule chose qui intéresse vraiment les Britanniques dans l’Europe : le marché unique. Vestale du conservatisme le plus flamboyant, le Daily Telegraph dénonce la création d’un « super-État » - le club des Dix-Sept - aux portes du Royaume. Ce n’est pas ce pour quoi les Britanniques ont voté en rejoignant l’Europe en 1975. Le Telegraph y voit un changement dans la nature de l’Union européenne. Et, comme l’ont écrit la semaine dernière une centaine de députés tories à David Cameron, pareil bouleversement impose de renégocier les termes de l’adhésion de la Grande Bretagne à l’Europe. Dans un article confié à l’édition dominicale du Telegraph, le premier ministre leur répond. Il les « comprend », il « envisage » cette renégociation, il veut que Londres récupère nombre de compétences exercées à Bruxelles. Le Royaume-Uni entend garder le marché unique, mais dénonce les « intrusions » de l’UE dans les domaines de l’environnement, de la justice, du temps de travail, notamment. Scénario le plus souvent envisagé à Londres : le premier ministre ira aux élections de 2015 en promettant aux tories de renégocier les termes de l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’UE, puis de soumettre le résultat des négociations à un référendum de validation. The Economist évoque une manière de chantage : « Cela revient à parier, écrit l’hebdomadaire, que les autres membres de l’UE vont nous accorder de grosses concessions, sachant qu’ils risquent un non au référendum s’ils ne sont pas généreux.» « Il y a 50 chances sur 100 que Cameron ne puisse échapper à un référendum sur l’Europe au cours de la prochaine législature », dit le très europhile et très compétent Charles Grant, qui dirige à Londres le Center For European Reform (CER). Les chefs conservateurs, comme ceux du Labour, ne veulent pas que leur pays sorte de l’Union européenne. Mais la mécanique conduisant à cette consultation référendaire est en marche. Et l’ambiance n’est pas bonne ; l’Europe est encore moins populaire ici qu’en France. Le parti tory n’a jamais été aussi europhobe. L’opinion est chauffée à blanc par une presse qui ne parle de l’Union que pour en dire du mal. La situation de la zone euro ne fait pas envie. Nombre d’élus conservateurs souhaitent que leur pays négocie un statut de simple association à l’UE, comme la Norvège ou la Suisse. Cela garantirait à la Grande-Bretagne l’accès au marché unique - et la soustrairait à tout le reste. « La Grande-Bretagne n’a jamais été aussi près de la sortie », notait The Economist le 23 juin.
Analyse
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé