Bientôt, la Wallonie sera libre

Chronique de José Fontaine


A ma mère, Marie-José Fontaine Delferrière

décédée ce 23 novembre

qui m’a tant donné (*)


Les partis politiques belges semblent bien complètement enlisés dans la formation d’un gouvernement fédéral belge.
Bien sûr – cela demanderait toute une analyse – les médias wallons et bruxellois se croient malins de se faire le relais de l’unitarisme belge ou, du moins, du fédéralisme – un mot qui a été combattu par les mêmes médias (et aussi par les Flamands) très longtemps, au point que l’on estime que le roi Baudouin Ier lui-même (qui y était opposé également au départ), a pu reconnaître la chose le 20 juillet 1993 dans l’espoir que le fédéralisme allait sauver l’unité belge – plus exactement l’unitarisme absurde de la Belgique.
C’était une erreur.
Dans le vide belge, la Wallonie debout presque sans même le vouloir
Dans le vide actuel du pouvoir fédéral, cette image à la télévision (doit-on encore dire “belge”?), le mardi 27 novembre n’est pas passée inaperçue: le Premier Ministre wallon s’adressant à une salle remplie d’investisseurs américains avec derrière lui le drapeau wallon et le drapeau américain, sans aucun autre emblème. Mon Dieu! Pourtant, l’actuel Premier ministre wallon n’est pas un indépendantiste, mais il a tout de même tenu à dire à ses hôtes US que malgré l’absence de gouvernement belge, les gouvernements des Etats fédérés fonctionnaient sans aucun problèmes. J’ajoute à ce qu’il a dit qu’en 27 ans, les compétences de ces Etats fédérés qui en 1980 n’existaient pas, gèrent maintenant 51% des politiques autrefois nationales. On est donc passé de 0 % d’autonomie à 51%, en 27 ans. Une progression rapide, on en conviendra.
Il y a une profonde colère qui m’habite. Les médias francophones belges estiment cependant qu’il faut jouer les pleureuses. Au mois de septembre, ces mêmes médias sont allés jusqu’à lancer sur le marché une brave Liégeoise (Marie-Claire Houard) dont le journal ultra-unitariste La Dernière Heure a pu expliquer le 17 novembre dernier qu’elle avait reçu par des dons privés une somme équivalant à près d’un million d’€ (en quelques semaines). Soit à peu près la somme que l’Institut Jules Destrée a reçu - en vingt ans - pour réaliser une Encyclopédie du mouvement wallon de près de 1800 pages qui couvre la période 1880-1980 et dont on vient de m’annoncer qu’elle sera prolongée. Qu’en a fait notre Marie-Claire? Organiser une manif pour l’unité belge qui n’a réuni selon les meilleurs observateurs que des Bruxellois francophones (à plus de 80%). Comme d’ailleurs deux manifs du même genre – sans Wallons ni Flamands ou pratiquement - le 31 mars 1963 et le 25 avril 1993 que tout le monde a oubliées (je suis persuadé que je dois être l’un des rares Belges – je m’autorise à employer ce qualificatif pour le coup - à pouvoir donner ces deux dates par coeur).
L’illusion belge
Dans Le pouvoir intellectuel en France, Régis Debray explique la différence entre la revue de réflexion et le magazine comme ceci: la revue oeuvre en différé - vers l’avant, le magazine en direct – donc vers l’arrière. Dire que la première est affaire de durée et que le deuxième réagit à l’instant, c’est dire que l’une s’oblige à l’authentique (ce qui résiste à la vérification et à l’épreuve du temps) et l’autre à l’idéologie, (la présence de l’illusion tenant à l’illusion du présent). Voilà qui peut s’appliquer également à Marie-Claire Houard (dans l’illusion du présent et du fric qui lui tombe du ciel), et l’Encyclopédie du Mouvement wallon (la seule encyclopédie politique récente pour la Wallonie et Bruxelles). Il est clair que dans deux mois, Marie-Claire sera oubliée si elle ne l’est pas déjà. En revanche, le Mouvement wallon même affaibli, même vieilli continue à structurer la société wallonne.
Car l’image du Premier ministre wallon qui parle avec derrière lui le drapeau américain et le drapeau wallon (image authentique, elle, car la Wallonie est parfaitement libre de mener sur le plan international la politique qu’elle veut), sans aucun drapeau belge, voilà l’image exacte de la Belgique (mais doit-on encore s’exprimer ainsi?). Il est évident aujourd’hui que nous allons vers la formation d’une Belgique constituée de trois Etats indépendants dans le cadre de l’Europe unie et gardant entre eux – c’est nécessaire et ils ont déjà commencé à bâtir cette structure dans la Constitution ou les lois actuelles – d’importantes normes communes pour les affaires d’intérêt commun (le meilleur exemple que l’on puisse donner, ce sont les routes qui traversent deux – ou trois - régions – de même que les fleuves etc. Dans ces cas, d’ailleurs, comme pour la Meuse, les accords entre Etats fédérés belges incluent les pays voisins souverains (France, Pays-Bas, Allemagne et Luxembourg que la Meuse – fleuve européen important mais qui a son bassin principal en Wallonie- traverse).
Ce qui signifie aussi que la Belgique ne va pas éclater, mais cesser tout doucement d’exister et que la Wallonie va s’imposer avec la Flandre (la réputation de Bruxelles étant, elle, assise, pour des raisons qui ne lui sont pas propres mais qui tiennent au fait qu’elle abrite de nombreuses institutions européennes, sans être pour cela capitale de l’Europe, une expression fort surfaite).
Mise en garde
Je mets en garde mes lecteurs québécois et mes lecteurs belges ou wallons du Québec: c’est la presse française qui voit clair. La presse francophone belge, en perte de vitesse auprès de ses lecteurs, de ses téléspectateurs (peut-être la radio s’en tire-t-elle un peu mieux), s’aveugle sur des réalités qu’elle n’analyse que mal, se figeant dans l’illusion du présent qui tient à ce que lors de la prochaine rencontre sportive on parlera toujours d’une équipe nationale belge alors que la Belgique n’existe déjà plus, sauf comme je viens de le décliner dans cet article. Il y a des milliers de Wallonnes et de Wallons qui ont donné, tout, jusqu’à leur vie, pour que leur pays soit libre. Si la Belgique s’en va comme je viens de le dire, je n’ai nulle envie de pleurer sur elle. L’organisation rigidement unitaire de cet Etat – elle est morte – a fait à la Wallonie un tort incalculable. La monarchie supposée symboliser cette organisation meurtrière de ma patrie wallonne, va mourir avec elle. Là non plus, je ne verserai pas une seule larme. J’espère que la presse de Wallonie se ressaisira.
Quand mon père, prisonnier en Allemagne durant cinq ans comme les soldats wallons de l’armée belge (les Flamands avaient plu à Hitler, je ne les accablerai pas, je ne leur en veux même pas mais j’en veux à ceux qui disent que tous les Belges sont unis comme les 5 doigts de la main), a été libéré par les Russes le 8 mai 1945 vers 22h30 il s’est dit ceci le lendemain: je suis sûr d’une chose, je ne serai pas repris par les Allemands (l’Allemagne était politiquement et militairement anéantie!). Et quelques jours plus tard, il veut encore ne pas se faire trop d’illusions parce que se situant dans la zone “russe” (l’ancienne Allemagne de l’est), il a quelques difficultés à rejoindre la zone “occidentale” tenue par les Américains, les Anglais et les Français.
Moi aussi, devant ce qui arrive, j’ai encore trop peur de croire à mon bonheur.
José Fontaine
(*) Marie-José Delferrière, ma mère, s’en est allée sur la pointe des pieds, le 23 novembre dernier à près de 92 ans, 41 ans après la mort tragique de mon père en 1966, des suites de la dureté de la captivité en Allemagne nazie. Mes soeurs et mon frère, nos enfants, nos épouses ou nos époux, nos neveux, nos amis avaient pour elle une admiration immense car elle s’appelait “courage” (elle en donnait: mon père en sut quelque chose durant sa captivité). Nous avons énormément pleuré il y a déjà cinq ans quand nous avons su que son esprit allait aller à l’abîme en raison de l’Alzheimer. D’autant plus pleuré que ma mère était restée belle, vive, intelligente. Nous avons perdu toute communication avec elle, de sorte que le travail de deuil était déjà fait en grande partie et ce à quoi nous avons tenu par-dessus tout, lors de la cérémonie de l’humble église de Neffe, c’était lui crier MERCI et que nous l’adorions. Ceux qui l’ont connue ne l’oublieront jamais. Par cette exergue et ce petit mot en bas de page, je veux en faire part à tous mes amis du Québec, la plupart de ces amitiés ayant été contractées par cette page même que VIGILE me donne, c’est aussi une façon de remercier le beau journal de Bernard Frappier. Si j’y ai été un peu moins régulier ces derniers temps, c’est en raison non de difficultés familiales ou de santé mais un d’un gros coup de pompe sans rapport avec la disparition d’une personne qui, pour mon coeur de croyant, est plus que jamais présente.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Robert Bertrand Répondre

    1 décembre 2007

    Mon cher José,

    Je viens de prendre connaissance avec un article qui paraît sur Vigile que ta mère vient de passer une autre étape.

    Oui, il faut bien parler de condoléances mais à un ami je dois dire encore plus. Mon affection et ma présence en ces jours qui font que les choses changent.

    La Wallonie, le Québec et tout le reste prennent une autre dimension.

    Le temps arrange ce qui ne semble pas toujours aller dans le sens de la baguette du chef d'orchestre.

    Mon amitié et une chaude accolade à toi et à tous les tiens qui t'entourent.

    Bien amicalement,

    Robert Bertrand