Dernière heure! Dernière heure! Scandale du rapatriement! Bob Rae accrédite la théorie du complot. Dernière heure! Dernière heure! scandale...
Ce qu'il fait bon, à l'ère de la cybernétique, de s'imaginer un instant dans les souliers d'un camelot des années 1920, hurlant les derniers détails du scandale des Black Sox de Chicago. Mais, autres temps, autres mœurs. De nos jours, il faut se contenter de pianoter au clavier pour découvrir les détails croustillants du scandale des...Black Robes d'Ottawa.
Un brin de nostalgie
Alors, oui, l'Affaire du rapatriement aurait mis Bob Rae d'humeur particulièrement nostalgique. Le 24 mai dernier, donc, il signait à ce propos un blogue de facture presque lyrique sur le site du Huffington Post (Le rapatriement de la Constitution et la Charte). Ce faisant, cependant, il se trouvait à confirmer la théorie du complot...Nostalgie, quand tu nous tiens.
Et, l'ex-chef libéral y va de façon très méthodique. Il entame donc avec une identification formelle des premiers conspirateurs à l'origine du coup d'État tranquille dont le fédéralisme canadien a été victime aux mains de la Cour suprême au fil des dernières décennies. Jusque-là, personne dans le camp fédéral n'avait montré du doigt un coupable. Maintenant, le doute est levé:
« Pierre Trudeau, Frank Scott et Bora Laskin étaient des amis dans les années 1950 et 1960, tous trois professeurs de droit et fervents défenseurs de la nécessité pour le Canada d'adopter une déclaration des droits, et d'avoir sa propre constitution. »
En verve, l'influent député libéral se prend ensuite à étendre l'ampleur de ce méfait constitutionnel au saccage du partage des compétences par la Cour suprême, montrant par là beaucoup plus d'envergure que le gouvernement québécois qui, lui, s'entête à circonscrire le débat aux simples limites du rapatriement et de la charte. Et, s'il faut en croire monsieur Rae, l'intention des conspirateurs frisait la transparence extrême:
« Ils (Trudeau, Scott et Laskin) voyaient d'un plus mauvais œil encore la façon dont les lords britanniques avaient interprété la constitution canadienne, et la mesure dans laquelle les pouvoirs du gouvernement fédéral avaient été érodés par ce qu'ils considéraient être une lecture fautive de l'expérience canadienne. Dans un de ses poèmes, Frank Scott a accusé le Conseil privé d'ériger en dogme le partage des compétences. »
Se faisant presque complice après le fait du coup d'État, monsieur Rae se laisse aller à des propos hautement dithyrambiques sur la personne des conspirateurs. Bora Laskin était donc d'une « intégrité à toute épreuve ». Dommage que les ex-juges de Grandpré (Louis-Philippe) et Beetz (Jean) ne soient plus là pour commenter. À tout événement, Bud Estey, lui, était apparemment l'un des « plus brillants spécialistes du droit de son époque ». Et, il savait se faire « remarquablement direct, drôle et franc dans ses propos ».
Quel contraste, donc, avec le haut-commissaire britannique, John Ford, qui lui, « était un homme indiscret...opiniâtre...mal informé... ». En milieu ottavien, il est toujours « de bon ton » de salir un peu ceux qui ont la malheur de dire la vérité...
Alors, non, de conclure monsieur Rae, il n'y a pas eu complot, et quiconque se serait donné la peine de prendre connaissance des écrits de Pierre Trudeau, Frank Scott et Bora Laskin alors qu'ils étaient professeurs de droit ne devraient pas être surpris de ce qu'ils ont fait une fois passés à la vie publique.
Est-ce qu'une amitié de longue date entre co-conspirateurs absout ces derniers de leur méfait, monsieur Rae? L'amitié qui existait entre ces gens-là les excusent-ils de s'être servi de la Cour suprême pour modifier la constitution? À Montréal, monsieur Rae, les gens qui ont « harmonisé » le marché des contrats publics étaient dans bien des cas des amis de longue date. Cela bonifie-t-il leurs stratagèmes ?
Et, que dire des amis Nigel Wright et David Tkachuck maintenant ?
À tout événement, l'ex-chef libéral semble bien vouloir blanchir le père de Justin. Non, il n'y a pas eu complot. Et, comment le sait-on ? Tout simplement parce que...la Cour suprême n'a jamais entériné cette théorie. Imaginez, il n'y a pas eu de complot parce que les conspirateurs n'ont jamais affirmé qu'il y en avait eu un. Coluche aurait difficilement fait mieux.
Un peu dans la même veine, l'ex-chef libéral poursuit avec une opinion voulant que le fédéralisme canadien soit l'un des plus décentralisés au monde. Ne s'agit-il pas, après tout, du plus beau pays du monde. Il y aurait peut-être lieu, ici, de recommander à monsieur Rae la lecture de certaines décisions de la Cour suprême. Mais, limitons-nous au Renvoi concernant le Régime d'assistance publique du Canada.((1991) 2 RCS 525)
Pouvoir fédéral de dépenser
Peut-on faire indirectement ce que l'on ne peut pas faire directement ? Au Canada, il semble que oui. C'est du moins la conclusion que l'on pourrait tirer du renvoi sur le Régime d'assistance publique.
Fin des années 1980, donc, le gouvernement fédéral avait depuis quelques années déjà entrepris de réduire, sinon d'effacer, son déficit budgétaire. Quoi de mieux, alors, qu'un bon coup de sabre dans le financement des programmes sociaux. Évidemment, les provinces, elles, auraient préféré que le gouvernement central retrouve les vertus de la rectitude budgétaire autrement qu'à leurs dépens, d'autant plus que celui-ci se montrait peu enclin à mettre de l'eau dans sa propension à leur imposer des normes nationales. Le fédéral était-il justifié d'agir de la sorte ?
La Cour suprême se vit donc confier la tâche de trancher. Et, comme d'habitude en semblables circonstances, le gouvernement central allait sortir de la salle d'audience avec la part du lion. Laissons donc le bon juge Sopinka (John) déposer les boules de crème glacée sur la pointe de gâteau du fédéral :
« Je passe, enfin, au second volet de cet argument du procureur général du Manitoba. Il s'agit de l'argument selon lequel "le principe essentiel du fédéralisme" exige qu'il ne soit pas loisible au Parlement de s'immiscer dans des domaines de compétence provinciale. On a dit que, pour protéger l'autonomie des provinces, la Cour devrait surveiller l'exercice par le gouvernement fédéral de son pouvoir de dépenser. La surveillance du pouvoir de dépenser ne constitue cependant pas un sujet distinct de contrôle judiciaire. Si une loi n'est ni inconstitutionnelle ni contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, les tribunaux n'ont nullement compétence pour surveiller l'exercice du pouvoir législatif. » (Sopinka, à la p., 567)
Le déséquilibre fiscal aidant, le gouvernement fédéral se retrouve en effet bien souvent à même de dicter sa volonté aux provinces dans leurs propres champs de compétence, quitte à accompagner ses intrusions d'une contribution financière à tel ou tel programme relevant de l'article 92 du British North America Act, 1867 (Toujours pas de version française officielle de cette Loi). Évidemment, cela signifie que le gouvernement fédéral peut influencer de façon significative le contenu des lois adoptées par les provinces dans les secteurs qui leur sont attribués par l'article 92. Jusque-là, le pouvoir de dépenser baignait en eaux constitutionnelles incertaines. Et, la Cour suprême allait finalement clarifier la situation en faveur du fédéral. On ne compte plus les brèches que la Cour a ouvertes dans ce que le Comité judiciaire avait jadis défini comme le domaine exclusif des provinces. La Cour suprême a modifié le partage des compétences.
Mais, en quoi l'opinion du juge Sopinka est-elle si condamnable, demanderont certains ? Évidemment, elle contribuait à diluer le principe du fédéralisme. Mais, c'est au plan juridique élargi qu'elle était véritablement discutable. D'ailleurs, elle l'était tout autant côté politique.
Comme nous le verrons plus loin, elle péchait contre le principe voulant que non seulement justice doit être faite, mais qu'elle doive également paraître avoir été faite. Au plan politique, maintenant, elle permettait au gouvernement fédéral de continuer à imposer des normes nationales, même avec une contribution réduite aux programmes conjoints. Ensuite, disons que l'Avis de la Cour « tombait particulièrement bien ». En 1991, on était en pleines négociations visant à restreindre le pouvoir de dépenser, en lien avec les éventuels accords de Charlottetown. Mais, limitons-nous aux aspects juridiques au sens large de cette affaire.
Le déménagement du juge Sopinka
Rappelons d'abord que si l'État n'a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation, il ne devrait pas être à sa place, non plus, dans le financement résidentiel des juges de la Cour suprême du Canada. Imaginez, par exemple, si l'on avait appris que le Canadien de Montréal finançait l'emprunt hypothécaire de l'arbitre qui a annulé le but d'Alain Côté des Nordiques de Québec il y a quelques années...C'est à grande peine que l'on aurait évité la guerre civile.
En mai 1988, donc, John Sopinka est nommé à la Cour suprême. Comme il résidait alors à Oakville, en Ontario, il se retrouvait de ce fait dans l'obligation de déménager à Ottawa. Après quelques mois d'hésitation, il se décide à mettre sa résidence d'Oakville en vente au prix de 995 000 $. Il en avait fait l'acquisition en 1965 pour 39 500 $ et avait depuis apparemment éteint sa dette hypothécaire. Disons qu'il y avait probablement un écart entre la valeur réelle de sa résidence et la valeur affective qu'il semblait lui attribuer...
En juin 1989, le bon juge Sopinka fait l'acquisition d'une nouvelle résidence dans le quartier bien élevé de Rockliffe, en banlieue d'Ottawa. Malheureusement, le prix demandé, 850 000 $, était peut-être un tantinet trop élevé pour le modeste salaire d'un juge de la Cour suprême, 166 800 $:
« Most people get the impression that because you were a lawyer you've got finances to buy a house without selling your old one. That's not the case», expliquait le juge Sopinka en réponse à une question des journalistes. (Sopinka Caught in Weak Housing Resale Market, Ottawa Citizen, Jan., 29, 1991, p., A-6).
Heureusement, le cabinet fédéral sait prendre soin de ses juges. Le gouvernement allait donc accepter d'assumer, sur une base discrétionnaire, les frais d'intérêt sur le prêt qu'avait dû contracter le juge Sopinka pour l'achat de sa nouvelle résidence. À l'époque de la parution de l'article du Citizen, le gouvernement s'était engagé à payer jusqu'au 31 octobre 1992.
Faut-il s'inquiéter du fait que le gouvernement fédéral supporte une partie des frais de déménagement à Ottawa des juges de la Cour suprême? Dans une certaine mesure, oui, si cette aide est suffisante pour qu'un juge se sente obligé envers l'exécutif. Et cela sera d'autant plus vrai si l'aide ainsi apportée est secrète et consentie sur une base discrétionnaire.
En effet, même les juges ne mordent pas la main de celui qui les nourrit. Voici ce que disait à cet égard le juge ontarien David Marshall dans les pages du Globe and mail, en 1995:
« He said people often forget that the executive branch of government is the chief supplier of funds as well as the chief litigant in the courts.
If I were given a car by General Motors, would you as a shareholder of Ford feel comfortable coming before me as a litigant?", he asked. "You have governments giving fine limousines and fine offices to judges when they are also the chief litigants coming before the courts."» (Making a Case for Judicial Independence, Globe and mail, Nov., 27, 1995, p., A-6).
Les largesses discrétionnaires du gouvernement fédéral ont-elles influencé le juge Sopinka dans la rédaction de son opinion dans l'Affaire du renvoi sur le Régime d'assistance sociale? Difficile de le dire. Mais, justice doit non seulement être faite, elle doit également paraître avoir été faite.
Le juge Sopinka a-t-il bénéficié de l'aide, ô combien compétente, d'un de ses attachés de recherche dans la rédaction formelle de son opinion? La rumeur veut en effet que certains attachés de recherche soient particulièrement influents auprès des juges de la Cour suprême. Et, cela est très inquiétant également.
Influents jeunes génies
En 2009, la Cour suprême a coupé court à un projet de recherche piloté par le professeur David Weiden de l'Indiana State University. Avec le soutien d'une subvention fédérale, le professeur Weiden avait en effet entrepris d'interroger plusieurs centaines d'anciens attachés de recherche auprès des juges de la Cour suprême dans le but de déterminer, entre autres choses, leur influence réelle dans le contenu des décisions finales des juges. Un attaché avait-il déjà été capable de convaincre un juge de modifier l'opinion initiale qu'il s'était faite sur une affaire donnée? Les attachés rédigent-ils leurs mémoires de recherche comme s'il s'agissait d'une décision formelle? Bonnes questions.
Informée du détail du projet du professeur Weiden, la Cour se serait empressée de faire parvenir à près de 500 ex-attachés de recherche « a frosty warning » leur rappelant leur engagement de confidentialité. Le professeur Weiden, lui, se demandait ce qui pouvait bien motiver la Cour à agir de la sorte, d'autant plus qu'il avait eu accès aux documents du Très honorable...Laskin:
« I've interviewed a former justice at the court, and have also gone through the papers of justice Laskin. » (Top Court Orders Clerks to Keep Quiet, Globe and Mail, June 19, 2009, at p., A-4). Intéressant pour le Québec, ça.
Il ne faut surtout pas sous-estimer l'intimité des liens qui peuvent exister entre les juges de la Cour suprême et leurs attachés de recherche. Feu le juge Lamer (Antonio), par exemple, a épousé une de ses attachés, Danièle Tremblay. Celle-ci a par la suite été nommée juge à la Cour fédérale. en principe, donc, son époux aurait pu siéger en appel de ses décisions...All in the Family
Le juge Sopinka, lui, ne détestait apparemment pas jouer au squash avec ses attachés de recherche, s'il faut en croire le juge Lamer. (The Clerk's tale is a Supreme Story, Globe and Mail, Aug., 17, 2005, p., B-7). Dans le même article, le juge Lamer accréditait la rumeur voulant que les attachés de recherche rédigent parfois des passages substantiels des décisions des juges:
« I felt it would be a waste of my time to do a first draft of the summary of the facts, or of the (prior) judgments. »
Alors, résumons. Les attachés rédigent le résumé des faits, ils tirent l'essence des jugements dont appel et ils préparent les rapports de recherche sur lesquels se basent les juges pour rendre leurs décisions.
On se demande vraiment ce qui reste à ces derniers, outre la signature sur la ligne pointillée. On peut, après tout, comprendre la Cour de se montrer jalouse de ses processus internes. Le ministère de la Justice est probablement aussi très jaloux du secret sur ses rapports avec les attachés de recherche.
Alors comment tout cela aide-t-il le gouvernement du Québec dans l'Affaire du rapatriement? Il y a certainement là une piste d'enquête. Rappelons-nous que la réglementation des professions est toujours de compétence provinciale, même si le fédéral ne détesterait pas y mettre les pieds.
Allez, Me LeBel, parlez-en au Barreau avant qu'il ne soit trop tard. À cet égard, le cas du dénonciateur Edgar Schmidt, à la Justice, est très intéressant.
Il y aurait donc lieu d'identifier les attachés de recherche inscrits au barreau du Québec au moment où la Cour a rendu des décisions discutables. Il y en a plein. Ces attachés de recherche pourraient ensuite être interrogés en commission parlementaire, sous peine de radiation. Ils en savent des choses les attachés.
Non, le Québec n'est pas sans pouvoirs dans cette affaire. Mais, veut-il seulement les exercer ?
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé