Londres | Le jour J du Brexit est arrivé. Après trois ans de déchirements, le Royaume-Uni devient vendredi le premier pays à quitter l’Union européenne pour entamer un nouveau chapitre de son histoire, qui reste entièrement à écrire.
Brandissant l’Union Jack et au son de la cornemuse, plusieurs eurodéputés britanniques europhobes ont quitté triomphants le Parlement européen à Bruxelles au matin de cette journée historique pour l’avenir du Royaume-Uni comme de l’Union européenne, qui perd 66 millions d’habitants et sa deuxième économie. «Goodbye! Nous ne reviendrons pas», a lancé l’une d’eux, Ann Widdecombe.
Dans la soirée, c’est devant le Parlement britannique, lieu d’innombrables heures de débats acharnés depuis le référendum de 2016, que les partisans les plus farouches du Brexit savoureront leur victoire, même si la célèbre cloche Big Ben restera muette.
Car à 23h (heure de Londres), le Royaume-Uni sera officiellement divorcé de l’UE après 47 ans d’un mariage houleux. Mais ce clap de fin n’en est pas vraiment un, trois ans et demi après le référendum sur le Brexit, voté par 52% des Britanniques, qui a semé la zizanie dans le pays.
Le jour a beau être historique, il n’entraîne pas de grand changement concret dans l’immédiat. Pour que la séparation se fasse en douceur, le Royaume-Uni continuera d’appliquer les règles européennes, sans avoir voix au chapitre, durant une période de transition jusqu’au 31 décembre.
«Menace existentielle»
Il marque surtout le début d’une deuxième saison dans la longue saga du Brexit: celles des complexes négociations sur les liens qui uniront Londres et Bruxelles en matière commerciale, de sécurité ou de pêche après la transition.
Londres souhaite aboutir en un temps record, avant la fin de l’année, et exclut toute prolongation de la transition au-delà de 2020. Un calendrier jugé très serré à Bruxelles.
Le premier ministre britannique Boris Johnson, qui devrait détailler sa vision en début de semaine prochaine, a déjà clairement annoncé qu’il visait un accord de libre-échange du même type que celui signé par l’UE avec le Canada, sans alignement avec les règles communautaires, quitte à accepter des contrôles douaniers, selon la presse.
Mais à Bruxelles, on craint les risques d’une concurrence déloyale. «À défaut de conditions équitables dans les domaines de l’environnement, du travail, de la fiscalité et des aides d’État, il ne saurait y avoir de large accès au marché unique», ont prévenu les responsables de l’UE - Commission, Conseil et Parlement européens dans une tribune publiée dans la presse européenne.
«On ne peut pas conserver les avantages attachés au statut de membre lorsque l’on n’a plus cette qualité», ont-ils ajouté.
Plus alarmiste, le premier ministre irlandais Leo Varadkar a mis en garde contre «la menace existentielle» que constituerait pour l’économie irlandaise un échec à conclure cet accord commercial post-Brexit.
«Bonne chose»
En attendant, le frétillant Boris Johnson peut savourer comme une victoire la concrétisation du Brexit, après avoir été élu à une large majorité en décembre sur la promesse de le réaliser.
Il a réussi là où la précédente locataire de Downing Street, Theresa May, s’était cassé les dents: il a fait adopter sans encombre son accord de divorce renégocié à l’automne avec Bruxelles.
Le texte, qui a ensuite été voté dans l’émotion au Parlement européen, règle les modalités du divorce en garantissant notamment les droits des citoyens expatriés et en résolvant le casse-tête de la frontière entre les deux Irlande.
«C’est le moment d’un vrai renouveau et changement national», doit dire le dirigeant conservateur dans un discours à la nation diffusé une heure avant le grand saut, tandis qu’une horloge lumineuse projetée sur Downing Street lancera le compte à rebours.
Surtout, le conservateur, qui réunit ses ministres dans la ville pro-Brexit de Sunderland, souhaite «unifier» pour aller «de l’avant», une tâche s’annonçant difficile tant sont profonds les antagonismes au sein de la population.
«Il y a eu beaucoup d’alarmisme, mais je pense qu’en fin de compte, ce sera une chose positive pour le Royaume-Uni, avec le temps», espère l’infirmier trentenaire Anthony Latham.
Tous ne partagent pas cet avis. Dans l’europhile Écosse, où le Brexit a ravivé les velléités d’indépendance et où une veillée est prévue dans la soirée, la première ministre Nicola Sturgeon a évoqué vendredi «un moment de réelle et profonde tristesse (...) empreinte de colère».
Face au refus catégorique de Londres d’autoriser un nouveau référendum sur l’indépendance, elle s’est dite déterminée à amplifier la bataille, envisageant également de défendre le droit d’organiser un vote consultatif devant les tribunaux.