Brexit : pas la catastrophe économique annoncée

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Les prédictions les plus folles ne se sont pas réalisées


Après trois années et demie de débats, de négociations, d’incertitudes et d’accords arrachés et rejetés, le Brexit devient enfin réalité. Le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne et un accord commercial devra être trouvé d’ici le 31 décembre pour éviter l’imposition de tarifs douaniers à la frontière en vertu des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).




Depuis le référendum sur le Brexit en juin 2016 et, j’ajouterais, depuis l’élection de Donald Trump aux États-Unis en novembre de la même année, on constate deux choses fondamentales : d’abord, les catastrophes annoncées ne se produisent pas nécessairement, et on finit par s’habituer et s’adapter aux nouvelles situations.


On se rappelle bien les sombres projections économiques qui ont été faites dans les jours précédant le référendum sur le Brexit. Une semaine avant la consultation populaire, la directrice du Fonds monétaire international Christine Lagarde affirmait qu’un vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne allait faire plonger l’économie du pays en récession. Ce choix allait réduire de 5,5 % le PIB du Royaume-Uni, disait-elle, et provoquer une forte inflation.


Quelques semaines auparavant, c’est le gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney qui annonçait de grands périls : une récession menaçait le Royaume-Uni si le peuple disait oui au Brexit et une chute majeure de la valeur de la livre sterling était à prévoir.


Pas de récession


Le résultat est tout autre. La croissance économique s’est poursuivie : hausse du PIB de 1,9 % en 2016 et en 2017, de 1,4 % en 2018 et de 1,2 % en 2019. Un seul trimestre, en 2019, a été négatif depuis le Brexit. Le Royaume-Uni n’est pas en récession et si le pays devait y plonger, il s’y retrouverait, en bonne partie, en raison du ralentissement économique mondial en cours après plus d’une décennie de croissance.


Ensuite, le taux d’inflation est passé de 0,7 % en 2016 à 1,8 % en 2019. Le taux de chômage est passé de 4,9 % à 3,8 % durant la même période. Même la dette du pays a baissé : en 2016, elle représentait 87,9 % du PIB. L’an passé, elle correspondait à 85,6 % du PIB.


Pour ce qui est de la livre sterling, elle a chuté de 20 % dans les sept mois suivant le Brexit. Depuis le début de 2017, la devise a repris environ 10 % de sa valeur.


Maintenant, si la catastrophe annoncée par Christine Lagarde et Mark Carney ne s’est pas produite, nous avons tout de même noté un ralentissement de l’économie britannique.


Le graphique suivant, tiré d’une étude de l’économiste Francis Généreux de Desjardins, illustre bien la croissance moins forte de l’économie britannique par rapport à l’évolution des économies américaine et européenne. Ce sont les investissements des entreprises, en particulier, qui ont baissé et qui ont provoqué cette croissance plus faible.


L’économie britannique a connu une baisse par rapport à celle des économies américaine et européenne.

L’économie britannique a connu une baisse par rapport à celle des économies américaine et européenne.


Photo : Radio-Canada




Une année 2019 difficile


Les craintes de récession se sont amoindries peu de temps après le Brexit avant de revenir en force dans les derniers mois en raison de l’incertitude politique au Royaume-Uni et des tensions géopolitiques et économiques mondiales en 2019. Le Brexit, qui devait se produire le 29 mars 2019, a été repoussé au 31 octobre, puis au 31 janvier 2020.


On a craint à un certain moment de l’année que le Brexit se réalise sans aucun accord conclu avec l’Union européenne, ce qui a poussé les entreprises à accumuler des stocks. C’est ce qui a fait en sorte que le PIB a progressé de 2,5 % au premier trimestre de 2019 avant de se replier de 0,7 % au deuxième trimestre de l’année.


Tout ça pour dire que l’année 2019 a été la plus difficile depuis le vote en faveur du Brexit. Mais l’élection d’un gouvernement majoritaire en fin d’année, dirigé par le premier ministre Boris Johnson, a fait rebondir les indices de confiance.


Cette nouvelle donne offre une clarté, affirme Francis Généreux, notamment avec la ferme résolution du gouvernement d’aller de l’avant avec le Brexit, et ce, sans entrave parlementaire. [...] La victoire de Boris Johnson face au candidat travailliste Jeremy Corbin a aussi été perçue favorablement, car le programme plutôt à gauche présenté par ce dernier inquiétait les entreprises et les investisseurs.


Négociations commerciales


Maintenant, comme l’écrit Francis Généreux dans sa note économique, la négociation qui s’amorce sur les liens économiques entre le Royaume-Uni et l’Union européenne est importante.


Les effets du Brexit sur l’économie dépendent donc de ces négociations, écrit-il. À court terme, la conclusion encore inconnue de ces négociations risque d’alimenter les incertitudes. À moyen terme, plus les liens entre les deux économies demeureront serrés, plus les effets négatifs du Brexit seront modérés.


C’est vrai, tout comme il est aussi vrai que les marchés, les autres pays d’Europe, les travailleurs, les citoyens, les fournisseurs, les exportateurs et importateurs vont s’ajuster à la nouvelle réalité. Plus vite l’incertitude sera levée, plus stables seront les relations commerciales et les perspectives économiques.


Il est tentant pour les analystes de prévoir, une fois de plus, des jours troubles alors que s’amorce une négociation commerciale entre l’Union européenne et le Royaume-Uni qui doit mener à une entente qui serait appliquée dès le 1er janvier 2021.


Desjardins souligne, dans son étude, que l’absence d’une entente commerciale et l’imposition de tarifs douaniers en vertu des règles de l’OMC auraient pour effet de réduire de 7,7 % le PIB du pays à long terme, selon une analyse du Trésor britannique publiée en novembre 2018.


À l’opposé, ajoute Francis Généreux, un scénario ayant comme hypothèse une union douanière et l’acception presque totale de la réglementation européenne par les Britanniques provoquerait un manque à gagner de seulement 0,6 % à long terme. Ce scénario est cependant peu probable étant donné la volonté actuelle du gouvernement Johnson de pouvoir négocier des accords commerciaux avec d’autres pays.


Il ajoute : Sur 14 études recensées par l’Institute for Governement, toutes montrent un effet négatif sur le PIB d’un accord de libre-échange par rapport à la situation actuelle, mais c’est aussi à chaque fois moins grave que dans un scénario où les règles de l’OMC prévalent.


L'aventure du Brexit ne fait que s'amorcer. Il est trop tôt pour en mesurer pleinement les effets. Mais il est clair que la catastrophe appréhendée et suggérée au printemps 2016 n'a pas eu lieu.




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