«C'est comme ça que ça marche», aurait dit Charest à Bellemare

Les notes de l'ancien sous-ministre Georges Lalande au sujet de la nomination des juges pourraient être soumises à une expertise

Commission Bastarache



Québec — La commission Bastarache débattait hier soir de l'opportunité de faire des expertises sur les agendas et sur les notes de l'ancien sous-ministre Georges Lalande, dont le témoignage, qui a duré une bonne partie de la journée hier, est venu corroborer en plusieurs points les allégations de Marc Bellemare.
M. Lalande a pris de nombreuses notes dans ses agendas des années 2003 et 2004 ainsi que sur des papiers jaunes de type Post-it ou «papillon adhésif amovible» (terme proposé par l'Office québécois de la langue française). C'est sur ceux-ci que, ce matin, la Commission pourrait décider de faire effectuer des expertises s'apparentant à celles faites sur le carton de notes de M. Bellemare.
Les notes de M. Lalande tendent à démontrer que le collecteur de fonds libéral Franco Fava aurait, dès l'été 2003, talonné Georges Lalande au sujet de la nomination de juges, ce qui concorde avec ce que Le Devoir avait révélé vendredi.
M. Lalande a été nommé sous-ministre associé à la Justice en mai 2003 principalement pour piloter une importante réforme des tribunaux administratifs. Il a soutenu que le M. Fava lui avait fait part de son impatience à l'égard du nouveau ministre: «Bellemare s'entête à jouer au pur», aurait dit M. Fava à M. Lalande, lors d'une rencontre au restaurant Michelangelo, le 8 juillet. Le collecteur, a expliqué M. Lalande, estimait que le ministre ne comprenait pas qu'il fallait nommer les «amis» du parti, aussi qualifié de «famille», «à la justice comme ailleurs». «Franco me revient avec ses histoires de nominations», a même noté, le 7 août 2003, celui qui avait été député libéral de Masson de 1979 à 1981. M. Lalande croit d'ailleurs que c'est parce qu'il faisait en apparence partie de la «famille» que les collecteurs de fonds comptaient sur lui pour convaincre le ministre d'agir comme ils le souhaitaient.
Toujours selon les dires de M. Lalande, M. Fava aurait utilisé les mêmes termes qu'avec Marc Bellemare, soit qu'après «neuf ans dans l'opposition», ça «foule aux portes» du gouvernement libéral. M. Fava aurait aussi expliqué qu'il rencontrait régulièrement la responsable des nominations au cabinet du premier ministre, Chantal Landry, pour «aligner» des listes de noms de personnes à nommer. Il se serait aussi vanté de collecter un million de dollars par année pour le PLQ et d'être un ami du premier ministre Jean Charest, avec qui il avait passé la soirée électorale du 14 avril 2003.
Selon M. Lalande, Franco Fava avait indiqué que lui et d'autres au PLQ souhaitaient que «la cousine de Michel Després soit nommée à Québec». M. Lalande avait aussi des notes faisant référence à la nomination de Marc Bisson, fils du collecteur Guy Bisson, à Longueuil et de la promotion de Michel Simard comme juge en chef adjoint à Québec, un choix cher au collecteur Charles Rondeau.
«C'est comme ça que ça marche»
Selon ses dires, même si ces propos étaient hors de son mandat, M. Lalande a tenté d'aborder le sujet avec M. Bellemare qu'il rencontrait régulièrement pour discuter du projet de réforme de la justice administrative. Mais ce dernier a refusé pendant plusieurs mois d'en discuter, soutenant être au courant de cette affaire.
Ce n'est que le 8 mars 2004, un peu plus d'un mois avant sa démission, que Marc Bellemare aurait «déballé son sac» et confié qu'il avait fait des nominations sous influence: «Ces nominations-là, je les ai faites sous pression. J'en ai parlé au PM [premier ministre] deux ou trois fois et il m'a dit: "c'est comme ça que ça marche"», a relaté M. Lalande.
En début d'après-midi, l'important collecteur de fonds de l'Outaouais Guy Bisson est venu confirmer à la table des témoins qu'il était bel et bien intervenu auprès du député Norman MacMillan pour promouvoir la candidature de son fils Marc à la magistrature. Ce dernier avait essayé à plusieurs reprises d'accéder à un poste de juge, dont une fois en 1994, mais en vain. «Le gouvernement a changé de bord» à l'époque, a noté M. Bisson. Avant le retour des libéraux au pouvoir, il ne servait à rien de parler à M. MacMillan des ambitions de son fils parce que les libéraux n'étaient pas au pouvoir, a-t-il expliqué. Il a dit «oser espérer» que d'en avoir parlé à M. MacMillan en 2003 ait aidé son fils à obtenir sa nomination. Marc Bisson a été finalement nommé le 26 novembre 2003 juge coordonnateur adjoint à la chambre criminelle et pénale à Longueuil, soit en dehors de son district judiciaire.
Contre-interrogatoire
Quant à Georges Lalande, il a été contre-interrogé en après-midi de manière serrée par l'avocat du premier ministre, André Ryan. M. Ryan a tenté de démontrer que l'affirmation selon laquelle il y aurait eu cinq à six rencontres entre M. Lalande et M. Fava à partir de l'été 2003 ne tenait pas. Dans ses réponses, M. Lalande a semblé soutenir que, finalement, de mai à décembre, il ne se serait entretenu avec M. Fava qu'à deux reprises. Croisé dans le couloir après son témoignage, M. Lalande a dit avoir oublié d'indiquer à M. Ryan la rencontre du 7 août. L'ancien sous-ministre a dit qu'il rappellerait celle-ci aujourd'hui lors de la poursuite des contre-interrogatoires.


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