Cacophonique

Chronique de Patrice Boileau


Échanges vifs et musclés au débat des chefs hier soir au Québec. L’animateur de l’événement, Stéphan Bureau, a péniblement réussi à imposer son autorité sur ses trois invités, après un laborieux début de soirée.
Aucun des chefs des trois principales formations ne s’est vraiment démarqué. Néanmoins, celui qui risque de voir son parti politique subir le plus important recul au terme de l’élection générale, selon les derniers sondages, est probablement le gagnant de la soirée. Mario Dumont a particulièrement bien paru lorsque la question de la santé a été abordée. L’exode des médecins du territoire québécois, parce qu’ils ne jouissent pas suffisamment d’heures pour travailler dans plusieurs salles d’opération des hôpitaux publics, constitue un des obstacles majeurs qu’il a bien expliqués. En évoquant le système mixte que la France et l’Allemagne utilisent, le chef adéquiste a montré que sa solution n’est pas une idée farfelue.
Mario Dumont n’a toutefois pas réalisé une prestation digne d’un triomphe. Il serait étonnant que sa bonne performance renverse la tendance lourde que dénotent les maisons de sondages. L’Action démocratique qu’il dirige ne comptera plus beaucoup de représentants à l’Assemblée nationale le 9 décembre prochain. L’équipe qui l’entoure est beaucoup trop faible pour convaincre l’électorat québécois de lui confier les rennes de l’État. Il ne fait pas de doute que Mario Dumont tirera alors les conclusions qui s’imposent.
La chef du Parti québécois, Pauline Marois, n’a rien cassé. Elle n’a pas su pleinement profiter des occasions qui lui ont été offertes pour expliquer clairement certaines mesures de son programme politique. Le plan auquel elle s’est souvent référée pour combattre la tempête économique qui se lève n’a pas suscité l’enthousiasme. Est-ce le ton employé par la leader péquiste qui transpirait un excès de confiance ?
La dirigeante du PQ a toutefois réussi à persuader que la présente élection doit servir à juger le bilan du gouvernement libéral. Voilà maintenant six ans que Jean Charest est le premier ministre du Québec. Il a donc eu amplement le temps d’amener le Québec là où il le désire. Les résultats que la population observe aujourd’hui sont les fruits de ses politiques. Force est d’admettre que la récolte est loin d’être abondante.
Le débat aura surtout permis aux adversaires de Jean Charest de démontrer aux téléspectateurs que le gouvernement libéral ne contrôle pas l’appareil d’État québécois. Il est prouvé que les informations économiques que divulgue l’administration Charest sont fausses. Les finances publiques sont dans un mauvais état. Les Québécois font probablement face à un déficit budgétaire beaucoup plus élevé que celui révélé par le Vérificateur du Québec. Les investissements privés qui devaient toucher le Québec sont dramatiquement plus modestes que les 16 milliards de dollars sur cinq ans annoncés par Monique Jérôme-Forget. Ils s’élèvent tout au plus à cinq milliards pour cette période. Les actifs de la Caisse de dépôt et placement du Québec ont beaucoup souffert de la crise financière. Jean Charest n’a jamais voulu préciser à combien s’élevaient les pertes de la société d’État durant le débat, lui qui n’a pourtant jamais hésité à blâmer le Parti québécois pour les insuccès qu’elle a subis au début des années 1990. Le chef libéral dit pourtant qu’il veut parler d’économie dans cette campagne, selon son slogan électoral…
Le député de la circonscription de Sherbrooke a également mal paru lorsque l’avenir du Québec a été traité. À une question posée par un téléspectateur qui voulait savoir ce que compte faire le gouvernement québécois face à une perte de son poids politique à Ottawa, Jean Charest s’est contenté de reprocher à ses adversaires de vouloir rouvrir le débat constitutionnel, alors qu’une récession économique s’installe. C’est pourtant Stephen Harper, premier ministre du Canada, qui veut attribuer plus de sièges aux Communes aux provinces de l’Ouest. Dans son discours du trône présenté la semaine dernière, le chef conservateur a également manifesté son intention de modifier le fonctionnement du sénat malgré les réticences traditionnelles du Québec. Le ralentissement économique qui pointe à l’horizon ne semble pas le convaincre qu’il doit s’occuper uniquement du domaine économique. Le chef libéral n’a donc convaincu personne lorsqu’il s’est indigné de voir ses opposants désireux de régler des litiges politiques plutôt qu’économiques.
Pauline Marois a parlé de souveraineté à la fin du débat. Le projet de pays semble maintenant un objectif assez lointain. Sa priorité immédiate vise plutôt à faire « progresser le Québec » en rapatriant certaines compétences d’Ottawa. La tenue d’un référendum devient pour elle un outil qui permet un rapport de force. Un moyen de faire plier le gouvernement fédéral afin de l’amener à amender la Constitution de manière à garantir que les gains du Québec ne seront pas éphémères, comme c’est le cas lors d’ententes administratives ou de motions gouvernementales. Le résultat électoral du 8 décembre prochain lui dira si sa « stratégie référendaire » est la bonne.
Il ne fait pas de doute que les douze prochains jours seront interminables pour Jean Charest. Les mauvaises nouvelles économiques continueront de s’accumuler, précarisant ainsi sa marche tranquille vers une majorité. En tentant de les banaliser, voire de les camoufler comme il le fait présentement dans le dossier de la Caisse de dépôt, le chef libéral pourrait subir le même sort que Stephen Harper. Ce qui serait une bonne nouvelle car les Québécois qui songeaient à bouder les urnes, des souverainistes pour la plupart, auront finalement réalisé à quel point les libéraux n’ont pas les compétences requises pour diriger le Québec. Le dernier droit de cette campagne électorale s’annonce à l’image du débat d’hier soir.
Patrice Boileau


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