C’était jour d’entrevue pour Jean Charest hier. Entre deux activités, les représentants de la presse écrite se suivaient à la queue leu leu dans son autobus de campagne. Un collègue de la Gazette qui nous précédait m’a prévenu : « Il est dans une forme dangereuse. » D’un point de vue journalistique, c’est généralement de mauvais augure.
Le hasard l’avait bien servi. La prise de bec de la veille entre Pauline Marois et François Legault à propos du référendum d’initiative populaire (RIP) lui avait offert ses «lignes» de la journée sur un plateau d’argent.
Au cours de son point de presse, il l’avait savourée avec délectation, en français et en anglais. « Deux souverainistes qui ne s’entendent pas sur la stratégie référendaire. »
Il est vrai qu’il est assez rare de voir deux adversaires se tirer dans le pied simultanément. Le chef libéral avait gagné son débat sans même y avoir participé. Mieux encore, plus la journée passait, plus M. Legault et Mme Marois s’empêtraient dans leurs contradictions.
Pendant que la chef péquiste présentait le RIP comme un simple outil de consultation, Bernard Drainville, qui avait fait du RIP une condition implicite de son appui à sa chef en janvier dernier, donnait presque raison à M. Legault en déclarant qu’un gouvernement Marois aurait « un prix politique énorme à payer » s’il refusait de tenir un référendum réclamé par 850 000 électeurs. « Imaginez le ressac populaire ! » Il a parfaitement raison : au PQ, ce serait la révolution.
Quant à M. Legault, le ridicule de sa position saute aux yeux. S’il était chef de l’opposition, il voterait non à un référendum, mais il ne se mêlerait pas de la campagne. Toute la députation caquiste serait-elle condamnée au même mutisme ? Un peu de sérieux !
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Il était écrit dans le ciel qu’en dépit de son slogan, Pour le Québec, la campagne libérale allait éventuellement se transformer en croisade pour le Canada. C’est chaque fois la même histoire. Il reste encore dix jours avant les élections. M. Charest a encore tout le temps de ressortir son passeport, comme aux beaux jours de l’automne 1995, quand il était devenu la coqueluche du camp du non.
Il était grand temps qu’il se trouve un nouveau cheval de bataille. Malgré la désespérante tranquillité du retour en classe, il n’a pas voulu reconnaître que la défense de la loi et l’ordre ne pouvait plus constituer la « question de l’urne » ; mais les raisons pour lesquelles il faudrait réélire son gouvernement ne m’ont pas semblé très claires, sinon que les solutions de rechange étaient encore pires.
Le premier ministre refuse de voir dans le « grand ménage » dans l’appareil gouvernemental que promet François Legault l’équivalent de la réingénierie de l’État que lui-même a vainement tenté de réaliser lors de son premier mandat, dans la mesure où le chef de la CAQ annonce d’avance son intention d’en découdre avec les syndicats.
Pourtant, durant la campagne électorale de 1998, la députée libérale de Jean-Talon, Margaret Delisle, avait déclaré que l’élection d’un gouvernement dirigé par Jean Charest déclencherait « une grande bataille avec les syndicats ». Que pense l’ancienne présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget, du programme de la CAQ ? La connaissant, son silence veut tout dire.
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M. Charest semblait presque surpris quand mon collègue Antoine Robitaille lui a demandé quelles seraient les trois priorités des cent premiers jours de son nouveau gouvernement, comme s’il n’avait pas réellement envisagé cette possibilité.
Rien de très original, à vrai dire : 1) mise en place des structures du Plan Nord ; 2) adoption du projet de loi 35 sur les pratiques frauduleuses dans la construction ; 3) équilibre budgétaire.
Dans une rare incursion sur le terrain identitaire, le premier ministre s’est dit favorable à ce que les organismes fédéraux et les entreprises sous juridiction fédérale soient assujettis aux dispositions de la Charte de la langue française. Il n’a cependant pas voulu en faire la demande formelle.
Il a fallu lui rappeler qu’une modification à la Charte des droits de la personne pour renforcer l’importance du français, de même qu’un ajout à la loi 101 visant à en renforcer l’usage dans les municipalités, qui devaient faire contrepoids à la légalisation des écoles passerelles, s’empoussièrent sur les tablettes de l’Assemblée nationale. De toute évidence, le projet de loi sur les accommodements raisonnables dans l’administration publique est également destiné à demeurer dans les limbes.
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