Pour quiconque s'intéresse au discours politique américain, les tirades contre le rôle de l'État, sur la taille des administrations publiques et sur leur inefficacité sont chose familière, une sorte de folklore politique qu'on ressasse comme un mantra. Pour ceux qui, malheureusement pour eux, fréquentent TQS et ses démagogues de l'information, les sorties outrées et scandalisées contre les bureaucrates, les fonctionnaires endormis et l'incompétence étatique ne surprennent pas. Ce recours systématique à la caricature, à la démagogie et à la désinformation font partie de la formule, comme une sorte de potion magique de la cote d'écoute.
Mais qu'une ministre et, qui plus est, la ministre responsable du bon fonctionnement de l'État québécois ait recours à la même démagogie et aux mêmes procédés caricaturaux que Jean-Luc Mongrain, cela surprend et semble invraisemblable. C'est pourtant à cette «job de bras» populiste que s'est livrée Monique Jérôme-Forget dans une conférence qu'elle a prononcée à Toronto devant le Conseil canadien pour les partenariats public-privé. Fonction publique pléthorique, incompétence crasse, résistance absolue au changement: la «dame de fer» a repris tous les poncifs des populistes des ondes et n'a pas fait dans la dentelle en déclarant sans sourciller que «tout ce que nous avons fait dans le passé n'avait pas de sens». Pas de sens, Hydro-Québec, la Manic, la Caisse de dépôt, la démocratisation de l'éducation, la Baie-James, l'assurance automobile, la protection des terres agricoles? Et quoi encore? Pis encore, pour appuyer son délire anti-étatique, elle a utilisé des exemples qui, s'ils n'étaient pas mensongers, relevaient de la caricature. Elle a fait rire son auditoire en soutenant que le métro de Laval est «tellement mal planifié qu'une des stations aboutit dans une rivière». La Presse rapporte que son attachée de presse a par la suite déclaré que c'était une «figure de style». Par honnêteté intellectuelle, Mme Jérôme-Forget aurait peut-être dû rappeler que c'était une entreprise privée qui était responsable de la construction du métro. Elle ne l'a pas fait. Elle a poursuivi en se vantant de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux quand ceux-ci prennent leur retraite et en présentant comme un sondage gouvernemental un sondage effectué par ce même Conseil canadien des PPP, qui révèle qu'une écrasante majorité de Québécois favorise les PPP. Comme on le constate, la présidente du Conseil du trésor aime prendre quelques libertés avec les faits.
Plus profondément, ce genre de discours sur l'inefficacité de l'État correspond à une sorte de conviction profonde alimentée par la caricature et l'ignorance. En gros, l'entreprise privée, condamnée à la rentabilité et au profit, fait mieux que l'État, qui n'est pas soumis à la concurrence. Ce raisonnement ne résiste pas aux faits et à l'analyse. Il suffit par exemple de comparer la situation des citoyens québécois et des citoyens américains dans le domaine de la santé. Le système de santé américain, système privé, est le plus coûteux au monde et 35 % de tous les Américains sont privés d'assurance santé. L'incompétence, le manque de vision, la difficulté à s'adapter au changement et la lourdeur des organisations sont des phénomènes qu'on retrouve dans tous les secteurs d'activité, qu'ils soient publics ou privés. L'incapacité de s'adapter aux nouvelles tendances du marché et à bien évaluer les coûts des avantages sociaux accordés aux employés a poussé Ford et General Motors au bord de la crise. Ces deux grands modèles de l'entreprise privée ont annoncé des pertes respectives de 7,4 milliards et de 23 milliards de dollars pour l'année 2005. Et, plus près de chez nous, doit-on rappeler à Mme Forget que c'est une entreprise privée qui a construit le viaduc de la Concorde?
Souvent associé à l'incompétence de l'État dans la conscience populaire, il y a le mythe de l'État corrompu et dissimulateur. Pourtant, c'est dans l'entreprise privée qu'on retrouve les plus grands scandales de corruption. Les dizaines de milliards qui se sont évanouis dans les scandales financiers de Parmalat et d'Enron, pour ne citer que ces deux-là, et les manipulations comptables de Nortel ont de quoi faire pâlir de jalousie tous les Chuck Guité de la planète.
En fait, il n'existe pas de bons ou de mauvais États, il n'y a que de bons et de mauvais gouvernements. De bons gouvernements dotés d'une vision du bien commun, soucieux de bien planifier la richesse collective et d'en assurer la pérennité, comme le premier gouvernement du PQ ou celui de la petite Norvège. Et de mauvais gouvernements comme celui de Mme Forget, dénués de tout projet collectif et qui agissent au gré des pressions et des souhaits de petits lobbys affairistes. Des gouvernements à la petite semaine.
En cette fin de session, le gouvernement a préféré le droit à l'escalope aux intérêts de plus de 100 000 travailleurs de l'alimentation. Ce ne sont pas des fonctionnaires inefficaces qui ont accouché de ce projet de loi. Tout comme le ministre Béchard a préféré jeter au panier tous les conseils de ses fonctionnaires qui s'opposaient à la vente du mont Orford. Il y a aussi sur la table d'un ministre des dizaines d'études qui prouvent que l'installation de photoradars réduit énormément le nombre d'accidents dus aux excès de vitesse. Mais le ministre a remis cette mesure aux calendes grecques, tout comme le projet d'interdire l'utilisation des cellulaires lorsqu'on conduit. Tout cela pour ne pas mécontenter les amateurs de vitesse et les compagnies de transport routier, au mépris bien sûr des milliers de victimes de la route. Je le répète: il n'y a pas de mauvais États, il n'y a que de mauvais gouvernements.
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