Céder au cynisme de la presse, des recteurs et du gouvernement?

Le débat sur la hausse des droits de scolarité et la gestion des universités ne peut pas être clos puisqu’il n’a jamais eu lieu!

Chronique de Louis Lapointe

Le débat sur les universités n'a pas eu lieu
Bien avant le début de cette crise que l’éditorialiste en chef de la Presse, André Pratte, qualifiait récemment d’artificielle, je n’ai cessé de répéter, chronique après chronique, que le Québec ne pouvait faire l’économie d’un débat sur la gestion des universités, qu’il s’agissait d’un passage obligé avant même de songer à augmenter les droits de scolarités. Quelle crise des universités?
Aujourd’hui, dans un nouvel éditorial, Céder à la casse?, André Pratte implore le gouvernement de Jean Charest de ne pas céder devant une violence qui serait, selon lui, d’abord le fait des étudiants et non celle des forces de l’ordre poussées dans la mêlée par le gouvernement.
Depuis le début du conflit, l’éditorialiste en chef de la Presse répète à qui mieux mieux que le gouvernement ne doit pas céder à la pression des étudiants puisque le débat sur la hausse des droits de scolarité est clos, ayant déjà eu lieu. S’ils voulaient y participer, étudiants, syndicats et professeurs n’avaient qu’à ne pas se retirer de la table des partenaires en éducation comme ils l’ont fait en décembre 2010.
Or, tous les analystes sérieux qui connaissent bien le monde universitaire, comme l’éminent professeur Guy Rocher, expriment exactement l’idée contraire. Il n’y a pas eu de débat sur la hausse des droits de scolarité, pas plus que sur la gestion des universités.
Les recteurs se sont plutôt entendus ex parte avec le gouvernement pour hausser le financement gouvernemental des universités ainsi que les droits de scolarité des étudiants sans qu’il ne fût le moindrement question de leur gestion, une opération qui aurait dû commander un large consensus social tant la question a des ramifications complexes, les universités étant largement financées par des fonds publics.
En fait, le débat ne peut pas être clos puisqu’il n’a jamais eu lieu.
Voilà pourquoi tous ceux qui exigent aujourd’hui un large débat sur la question universitaire, étudiants, parents, professeurs et groupes sociaux, ont raison de réclamer du gouvernement qu’il impose un moratoire sur le dégel des droits de scolarité et qu’il s’assoit avec les étudiants pour convenir d’une trêve afin de s’engager dans une vaste consultation publique sur le sujet.
Le gouvernement n’avait tout simplement pas la légitimité voulue pour agir comme il l’a fait en haussant les droits de scolarité, n’ayant pas été plébiscité sur cette question lors des élections du 8 décembre 2008.
Une crise sans précédent
En refusant de rencontrer les étudiants comme il le fait depuis le début de la grève étudiante, le gouvernement libéral de Jean Charest a précipité le Québec dans une crise sans précédent où nos enfants sont traités comme des voyous, des délinquants et des criminels par les forces de l’ordre et les tribunaux, alors qu’ils réclament le droit aux études universitaires pour les enfants de toutes les couches de la société.
Ignorant leurs demandes, le gouvernement libéral de Jean Charest a jeté d’inoffensifs jeunes étudiants dans la fosse aux lions, sans qu’ils aient la moindre possibilité de se défendre contre d’arrogants politiciens professionnels aguerris, des gendarmes antiémeutes armés jusqu’aux dents et la démagogie d’une presse à sensation forte, d’une hargne incommensurable, instrumentalisant le conflit étudiant pour vendre plus de copies, de clics et d'images en boucle, alors que notre jeunesse ne demande qu’à retourner sur les bancs d’école pour faire son métier, celui d’étudier paisiblement!
Une honte sans nom pour nos gouvernants, les officiers de notre système judiciaire et nos médias qui ne semblent pas réaliser la gravité de leurs gestes et l’évidente disproportion dans les moyens utilisés pour faire taire notre jeunesse.
Je ne connais aucun parent sensé qui utiliserait les matraques, le poivre de Cayenne, les gaz lacrymogènes, les armures et les boucliers pour faire entendre raison à leurs progénitures. Si c’était le cas, il y a longtemps qu’on les aurait enfermés en prison.
Quelles seront les conséquences de ces horribles stigmates infligés à toute une génération d’étudiants idéalistes? Comment vivront-ils la profonde injustice qu’on leur impose gratuitement sans motifs qu’on pourrait qualifier de raisonnables?
Tous ces gens de chambre, de chaire, de prétoire, d’armes et de plume devront un jour ou l’autre rendre des comptes pour ce vaste complot ourdi contre toute une génération.
On ne peut pas traiter nos propres enfants d’une façon aussi ignoble parce qu’ils réclament plus d’amour, plus justice, plus de compassion pour leurs semblables et les générations futures.
Comme l’histoire se répète! La voix de la population s’est fait entendre à travers les sondages. Elle préfère crucifier les étudiants, Jean Charest attendra.
Les justes seront toujours condamnés à porter sur leurs épaules toutes les souffrances du monde.
Des recteurs qui ont manqué à leur devoir

Ayant été successivement avocat universitaire, directeur d’un centre universitaire et directeur de l’École du Barreau du Québec durant 20 ans, j’ai l’intime conviction que les recteurs des universités du Québec ont manqué à leur devoir depuis le début de cette grève étudiante en n’intervenant pas collectivement de vive voix à l’occasion d’une déclaration solennelle pour inviter le gouvernement et les étudiants à s’asseoir à la même table afin de discuter de la situation et s’entendre sur une marche à suivre pour dénouer l’impasse.
Les recteurs ont manqué à leur devoir en laissant nos enfants que nous leur avons confiés manifester dans les rues alors qu’ils auraient dû être dans leurs classes pendant que leurs représentants discutaient avec le gouvernement.
Les recteurs ont manqué à leur devoir en préférant se ranger derrière le gouvernement en choisissant l’argent et la sécurité financière de leurs établissements plutôt que l’avenir et la sécurité physique et morale de nos enfants.
Les recteurs ont manqué à leur devoir en faisant défaut d’être les initiateurs d’États généraux sur les universités, laissant plutôt le soin à nos enfants de les réclamer eux-mêmes dans la rue.
En raison de leur inaction, de leur silence et de leur incurie, ils sont professionnellement responsables de la crise que vit aujourd’hui le Québec ainsi que de la profonde détresse dans laquelle ils ont plongé nos enfants dont je peux témoigner personnellement comme père de jeunes universitaires.
Si les recteurs continuent de garder le silence comme ils le font depuis le début de la crise et laissent le gouvernement répondre à l’invitation d’André Pratte de ne pas céder à la casse en ne reculant pas sur le dégel des droits de scolarité sans s'objecter, ils se rendront collectivement responsables de la suite des malheureux événements qui pourraient survenir en raison de leur mépris des traditions universitaires qui enjoignent les universités à régler elles-mêmes leurs litiges internes sans l’intervention des pouvoirs séculiers.
Au nom des principes centenaires de liberté universitaire et d’indépendance institutionnelle, les universités et leurs recteurs avaient le devoir d’ouvrir le dialogue avec les étudiants et inciter le gouvernement à s’entendre avec eux sur l’épineux sujet des droits de scolarité.
Les recteurs ont préféré céder au cynisme en choisissant immédiatement l’argent du gouvernement plutôt que l’avenir de nos enfants.
Ils se sont avilis comme des manants en s’écrasant cupidement devant un gouvernement incompétent qui semble totalement méconnaître les affaires universitaires.
La présente crise en est une preuve flagrante.
***
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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    25 avril 2012

    Il aurait été un grand privilège pour nous Québécois d'être gouvernés par des personnes avisées et visionnaires comme vous. Vous m'avez touché profondément parce que j'ai vécu plusieurs années des contraintes familiales reliées au fait que j'ai voulu donner à mes enfants l'accessibilité à la connaissance. Leur héritage monétaire y a pratiquement passé mais les métiers qu'ils ont acquis leurs ont donné la liberté à tous les niveaux...Quand nous discutons avec eux, nous sommes maintenant convaincus que c'était le plus bel héritage que nous pouvions leurs donner: L'ACCÈS À LA CONNAISSANCE...

  • Archives de Vigile Répondre

    25 avril 2012

    Voici un texte que j'appuie à 100% M. Louis Lapointe.
    Pour financer les frais de scolarité et ne pas augmenter la dette des étudiants-es une simple taxe de 0,3% sur le capital des banques et autres entreprises financières serait suffisante pour conserver le gel des frais de scolarité au niveau actuel. Les profits des institutions financières et des entreprises se chiffrent à 25 milliards en 2011, au Canada. Le gouvernement ne pourrait pas demander une petite contribution aux institutions financières de 228 millions $ que la hausse veut aller chercher dans les poches des étudiants et de leurs parents. Voilà le fond du problème... une grande injustice sociale... qui me révolte.
    Marius MORIN

  • Raymond Poulin Répondre

    22 avril 2012

    Le cynisme de la presse, des recteurs et du gouvernement risque de triompher dans les prochains jours. Malgré ce que nous avions pu croire, la FECQ s’est désolidarisée de la CLASSE, à moins que cette dernière ne s’incline devant l’ultimatum de la Ministre. Je peux comprendre la hâte des collégiens d’en finir, ils sont au bout du rouleau financièrement, et je suis bien placé pour le savoir. Mais, stratégiquement parlant, il s’agit d’une quasi-reddition qui risque de leur coûter cher. Il est vrai que, malheureusement, les deux tiers de la population n’appuient pas les étudiants, en dépit de tout ce que nous avons pu voir de la sauvagerie psychopathe des forces de police publique et privée, de même que de l’insigne malhonnêteté du gouvernement Charest. J’ai failli croire, comme tant d’autres, à un printemps d’érable. Ce sera partie remise, quoique cette révolte étudiante aura tout de même planté les graines d’un dégel.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 avril 2012

    Je suis sidérée. Comment peut-on matraquer, intimider ses propres enfants « pour les faire écouter » ? Le PM et sa clique devraient être référés à la DPJ. Nous savons maintenant de quel côté se trouve la violence.
    Et on se surprendra ensuite de l'intimidation et autres violences dont sont victimes certains enfants... La pomme ne tombe jamais loin du pommier.
    Il s'agit de toute une génération qu'on aura matraqué, bafoué, battu physiquement et psychologiquement. Que deviendra-t-elle quand on sait les conséquences de tels gestes. Mais de cela, les gangsters qui sont au gouvernement s'en fichent. Il faut tuer dans l'oeuf toute velléité que les Québécois se tiennent debout.
    Cette affaire est beaucoup plus grave qu'on le pense et je n'ose en imaginer les conséquences pour l'avenir de notre nation.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 avril 2012

    Mon Dieu que j'aimerais décrire les faits aussi bien que vous le faite,mais je n'ai pas assez de scolarité.J'ai juste
    4 années de cours classique.J'ai été obligé d'arrêter
    d'étudier en raison du manque d'argent.Tous ce que vous avez
    écrit, émanant d'une personne très crédible,est très
    juste.Merci pour ce playdoyer.