Commission Bastarache

Charest se fait taper sur les doigts

Le commissaire n'apprécie guère les déclarations extérieures au processus

Commission Bastarache


Mardi, le premier ministre Jean Charest a réagi à chaud au témoignage de Marc Bellemare devant la commission d’enquête sur le processus de nomination des juges. Hier, le commissaire Michel Bastarache a invité les témoins à ne pas «discuter la preuve ou la crédibilité des témoins en dehors de la salle d’audience».
Québec — Michel Bastarache n'a pas apprécié la sortie de Jean Charest, mardi, au soir de la première journée de témoignage de Marc Bellemare. «C'est très clair que ça n'aide pas quand les participants, les intervenants ou les témoins se mettent à faire des déclarations à l'extérieur du processus», a déclaré Guy Versailles, l'attaché de presse du commissaire Bastarache, hier après-midi. La commission, a-t-il insisté, a la difficile tâche de faire la lumière sur les allégations de Marc Bellemare. Or, ces déclarations risquent «d'engendrer plus de confusion que de clarté».
M. Versailles a bien pris soin de ne pas préciser qui il visait. Les sorties de Marc Bellemare et de son ancien sous-ministre Georges Lalande ont, bien sûr, aussi indisposé le commissaire. Et il a tenu à dire que le commissaire ne formulait aucun blâme. «On n'est pas dans le blâme. Ce qu'on veut dire, c'est: "De la retenue tout le monde, s'il vous plaît".»
Dans sa déclaration d'ouverture du 14 juin, Michel Bastarache a enjoint aux «personnes qui participent à l'enquête» de le faire dans un esprit de coopération. Ainsi, «ni les avocats, ni les participants ou intervenants ne doivent discuter la preuve ou la crédibilité des témoins en dehors de la salle d'audience avant le dépôt du rapport; ceci est nécessaire pour assurer une procédure juste pour tous ceux qui sont impliqués». Le Journal de Québec évoquait hier la possibilité que Jean Charest ait, par sa sortie de mardi, contrevenu au règlement de la commission et que, par conséquent, il s'exposait à une sanction pouvant aller «d'un simple blâme à l'exclusion des audiences publiques». M. Versailles a insisté hier: les règles de fonctionnement n'interdisent pas aux participants, intervenants ou témoins de faire des déclarations en dehors du processus. À ce compte-là, Marc Bellemare, qui a multiplié les sorties depuis la création de la commission, se serait exposé à plusieurs «blâmes» de la part du commissaire. Le 14 juin, a souligné M. Versailles, le commissaire a formulé un souhait. Et hier, il a tenu à renouveler son «appel à la retenue des parties et des personnes appelées à témoigner».
À l'entrée du caucus libéral hier, Jean Charest a réitéré qu'il se réservait le «droit d'intervenir publiquement» si «les circonstances le justifiaient» pour répondre à ce qui se dit à la commission. Il a indiqué que mardi, il n'avait fait que répéter ce qu'il avait dit publiquement en avril, bien avant d'être assigné à témoigner par la commission Bastarache. En début de soirée, l'attaché de presse du premier ministre, Hugo D'Amours, a soutenu qu'au fond, la position du premier ministre concordait avec celle de la commission puisque cette dernière n'a pas interdit formellement les commentaires publics. «Le premier ministre se réserve le droit, s'il le juge à propos, de commenter les témoignages. Mais il a bien dit et redit qu'il ne commenterait pas chaque témoignage. D'ailleurs, il ne l'a pas fait hier [mercredi] et aujourd'hui [jeudi], et jusqu'à maintenant, il n'a fait que réitérer des propos qu'il avait déjà tenus.»
«Audi alteram partem»
Devant la mauvaise semaine que vient de traverser Jean Charest, et les mauvais sondages, les libéraux se sont serré les coudes hier matin à l'entrée de leur caucus présessionnel. Ils ont applaudi leur chef à tout rompre, scandant: «Charest! Charest!»
Plusieurs se sont portés à la défense de leur chef. Le whip et député de Châteauguay, Pierre Moreau, a souligné que jusqu'à maintenant, un seul témoin s'était exprimé et qu'on ne peut se faire une idée après un seul témoignage. Il a même rappelé une maxime latine et juridique martelée au débat des chefs de 2003 par le premier ministre péquiste Bernard Landry: «Audit alteram partem, il faut entendre toutes les parties», a-t-il soutenu, rappelant qu'il y avait encore 39 témoins à venir. «Entre lui et M. Bellemare, je sais lequel des deux est le plus crédible», a soutenu David Whissell, selon qui l'ancien ministre de la Justice a commencé mercredi à s'empêtrer dans des «contradictions».
Charest ne témoignera pas bientôt
Tout en refusant de commenter les sondages indiquant que la version de Marc Bellemare est crue par une bonne partie de la population, M. Charest a aussi soutenu qu'il fallait attendre son témoignage avant de tirer des conclusions.
Sauf qu'il ne témoignera pas la semaine prochaine, et peut-être même pas de sitôt. La commission a rendu public son calendrier hier pour les travaux à venir. Outre Marc Bellemare, elle compte entendre quatre autres témoins: Andrée Giguère, qui est coordonnatrice à la sélection des juges depuis 2003. Son prédécesseur Pierre Legendre, qui avait occupé ce poste de 1994 à 2003, ainsi que celle qui avait assuré l'intérim entre M. Legendre et Mme Giguère, de juillet à décembre 2003, Nicole Breton. Enfin, si le temps le permet, témoignera aussi celle qui fut juge en chef de la Cour du Québec de 1996 à 2003, Huguette Saint-Louis.
Rappelons que Pierre Legendre avait été brutalement muté par M. Bellemare peu de temps après l'arrivée de ce dernier à la tête du ministère de la Justice. La seule raison évoquée à l'époque: il était le frère du député péquiste de Blainville de l'époque, Richard Legendre. Ce dernier avait d'ailleurs dénoncé le sort réservé à son frère en ces termes: «C'est une injustice totale. Il est fonctionnaire au ministère depuis plusieurs années et sous plusieurs gouvernements. Mon frère n'a jamais fait de politique et je ne sais même pas pour qui il a voté. [...] Pour moi, M. Bellemare est plus le ministre de l'Injustice que le ministre de la Justice.» À l'époque, le 3 octobre 2003 précisément, Jean Charest avait refusé de «commenter les affaires internes» du ministère, mais il avait tenu à dire: «Le ministère de la Justice est entre de très bonnes mains avec M. Bellemare. Il est un ministre qui a une vision, je pense, très intéressante de l'administration de la justice.»


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