En autorisant la prière au conseil municipal de Saguenay, la Cour d’appel nourrit les arguments de ceux qui, comme le gouvernement du Parti québécois, plaident pour une Charte de la laïcité consacrant de manière claire la neutralité religieuse de l’État.
Dans une décision dévoilée lundi, les magistrats de la Cour d’appel ont invalidé un jugement du Tribunal des droits de la personne qui avait interdit la prière au conseil municipal de Saguenay en février 2011. La bataille mettait en vedette le maire Jean Tremblay et un citoyen, Alain Simoneau, se disant brimé dans sa liberté de conscience et de religion, convaincu en outre que ni la prière, ni le crucifix, ni la statue du Sacré-Coeur n’avaient leur place dans une enceinte vouée au débat démocratique.
Dans la décision d’une quarantaine de pages, le juge Guy Gagnon conclut que la prière récitée en début de séance publique à Saguenay ne démontre pas que le conseil municipal est sous l’influence d’une religion ou tente d’en imposer une. De même, les signes religieux visés par la poursuite lui semblent inscrits dans le patrimoine culturel historique, quasi « dépouillés de leur connotation religieuse » et « n’interférant nullement avec la neutralité de la Ville ». Il casse donc la décision du Tribunal des droits.
Il note au passage que pour une question « délicate et difficile de neutralité religieuse de l’État », une notion « encore mal cernée et difficile d’application », les balises n’abondent pas au Québec. Il écrit : « Il n’existe pas au Québec une telle chose appelée charte de la laïcité. » En guise d’écho au ministre Bernard Drainville, qui rappelait en nos pages samedi le caractère absurde de n’avoir inscrit nulle part au Québec la séparation de l’Église et de l’État, le juge Gagnon signale qu’« en l’absence d’un énoncé de principe officiel portant sur les valeurs que l’État entend protéger dans le cadre de son obligation de neutralité », force est de s’en remettre à la règle libérale habituelle : un État neutre n’impose aucune vue religieuse à ses citoyens.
Or, la prière litigieuse de Saguenay n’apparaît au juge exprimer que des valeurs universelles ne s’identifiant à aucune religion en particulier. Ce court énoncé, avait rappelé en cour l’experte Solange Lefebvre, pourrait convenir à un grand nombre de religions. Qui plus est, rappelle le juge Gagnon, il est difficile de dire qu’une telle prière pourrait violer les droits d’un citoyen quand le préambule de la Charte canadienne, de laquelle le droit se revendique, fait directement référence à… Dieu.
Quant aux signes religieux et leur place dans des espaces comme un hôtel de ville, le juge cite le rapport Bouchard-Taylor sur la compatibilité d’un symbole religieux avec la laïcité « lorsqu’il s’agit d’un rappel historique plutôt que le signe d’une identification religieuse de la part d’une institution publique ».
Une gifle au maire Tremblay
Le maire de Saguenay, Jean Tremblay, qui commentera le jugement mardi matin, ne sort pas indemne de cette lecture juridique. On le dit « intransigeant » et on note que si la Cour supérieure avait été saisie des « attitudes engagées de M. le maire » pour les faire cesser par ordonnance, elle aurait difficilement pu rester insensible à certaines des manifestations publiques de l’élu coloré, par exemple son signe de croix et les paroles qu’il prononçait avec.
« Manifestement, il s’agit d’une attitude engagée qui remet en cause, du moins en apparence, la neutralité religieuse de la Ville », ajoute le juge Gagnon.
Témoignant devant le Tribunal des droits de la personne, Jean Tremblay n’avait d’ailleurs fait aucun secret de ses intentions réelles : « Ce combat-là, je le fais parce que j’adore le Christ. […] Quand je vais arriver de l’autre bord, je vais pouvoir être un peu orgueilleux. Je vais pouvoir lui dire : “Je me suis battu pour vous.” Il n’y a pas de plus bel argument. C’est extraordinaire. »
Le juge Gagnon ne voit rien de bon dans ce type de discours. « Il me semble tout à fait inconvenant que des fonctions prestigieuses puissent être utilisées aux fins de promouvoir ses propres convictions personnelles sur le plan religieux. »
Le magistrat discrédite en outre le témoignage de l’expert Daniel Baril, qu’il juge partial et subjectif, car il était vice-président du Mouvement laïque québécois, une des parties en cause, au moment des procédures.
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La prière du maire de Saguenay
«Ô Dieu, éternel et tout puissant, de qui vient tout pouvoir et toute sagesse, nous voici assemblés en votre présence pour assurer le bien et la prospérité de notre ville. Accordez-nous, nous vous en supplions, la lumière et l’énergie nécessaire pour que nos délibérations soient destinées à promouvoir l’honneur et la gloire de votre saint nom et le bonheur spirituel et matériel de notre ville.»
Charte de la laïcité - La Cour d’appel nourrit le débat
Oui à la prière au conseil municipal de Saguenay
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