De plus en plus, ce ne sont pas les allophones, mais plutôt les francophones qui s'opposent à ce que les dispositions de la Charte de la langue française qui régissent l'accès à l'école anglaise soient étendues au niveau collégial.
Hier, La Presse publiait la lettre d'une jeune femme, Marie-Clode Larocque, qui exprimait son indignation «devant l'idée saugrenue de Bernard Landry de ne permettre l'enseignement qu'en français au cégep». Elle expliquait que sa «seule chance» d'apprendre l'anglais avait été de s'inscrire au collège Vanier, avant de poursuivre des études universitaires à McGill.
Selon Mme Larocque, M. Landry «est fidèle à sa vision politique d'antan, soit un Québec surprotégé qui n'interagit pas avec le reste du pays et du monde». Elle enviait «les Scandinaves qui parlent parfaitement anglais, même si leur langue maternelle est seulement parlée dans leur pays».
Il est vrai que les Suédois ou les Norvégiens sont remarquablement bilingues. Pourtant, l'État n'y finance pas de réseau public anglais, qui permettrait à ceux qui trouvent leur langue trop folklorique de la troquer pour celle de Shakespeare.
Mme Larocque déplore avec raison la déficience de l'enseignement de l'anglais dans notre système d'éducation, mais faut-il pour autant se tirer dans le pied et risquer de compromettre la francisation des «enfants de la loi 101»? Dans la vie d'un étudiant, le cégep est une étape charnière qui détermine en bonne partie ses choix ultérieurs, professionnels et autres.
Déjà, dans certains quartiers de Montréal, l'exode des francophones vers les écoles privées pose un défi presque insurmontable pour les enseignants qui tentent de faire du français la langue commune de leurs élèves.
L'intégration des immigrants n'incombe pas uniquement à l'État. Les francophones ont une responsabilité individuelle à cet égard. Il ne s'agit pas de priver qui que ce soit d'une connaissance approfondie de l'anglais, mais plutôt de faire en sorte que le système d'éducation français permette de l'acquérir.
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Bien des militants péquistes se souviendront qu'à l'époque où leur parti était au pouvoir, M. Landry faisait partie de ceux qui s'opposaient à ce que la fréquentation du cégep français devienne obligatoire pour les non-anglophones.
Quand il est devenu premier ministre, en mars 2001, il s'est accordé une période de réflexion de trois ans, préférant s'en remettre à des mesures incitatives. Quatre ans plus tard, au congrès de juin 2005, il avait encore fait en sorte que la proposition visant à étendre les dispositions de la loi 101 au niveau collégial soit battue. Qui sait; s'il avait donné satisfaction à ses militants, il aurait peut-être sauvé son poste.
Au moment où le OUI atteignait un sommet de 55 % dans les sondages, M. Landry pouvait toujours espérer que la souveraineté rende bientôt inutile le recours à cette mesure. Dans un État souverain à 80 % francophone, les immigrants ne verraient-ils pas immédiatement leur intérêt à s'intégrer à la majorité?
Bien entendu, il ne faut rien espérer du gouvernement Charest dans ce domaine. Dans l'esprit du premier ministre et de sa ministre de la Culture, il ne semble y avoir aucun problème linguistique au Québec.
En revanche, puisque son nouveau plan renvoie la souveraineté aux calendes grecques, Pauline Marois aurait dû prendre à plus forte raison tous les moyens d'assurer la protection du français. Il est assez difficile de comprendre pourquoi elle refuse d'inclure cette mesure dans sa «nouvelle loi 101». Que la suggestion vienne de son vieux rival ne contribuera sans doute pas à la faire changer d'idée, mais ce serait certainement bien accueilli au PQ.
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Dans son rapport d'août 2001, la Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française, présidée par Gérald Larose, en avait écarté l'idée, trouvant injuste de faire reposer le sort du français sur les fils et les filles des nouveaux arrivants. Pourtant, c'est précisément ce qu'a fait la loi 101!
La commission jugeait également que les statistiques disponibles ne justifiaient pas cette «mesure draconienne». Entre 1983 et 2000, la proportion d'allophones inscrits au cégep français est passée de 21,7 % à 43,1 %. Cette progression a cependant stoppé depuis.
Le mathématicien Charles Castonguay a calculé qu'entre 2000 et 2006, il y a eu en moyenne 4463 nouveaux inscrits de langue maternelle anglaise au cégep anglais. Pendant ce temps, le nombre total de nouveaux inscrits a été en moyenne de 9058. Autrement dit, plus de la moitié des nouveaux inscrits étaient allophones ou francophones. Cherchez l'erreur!
Même en imposant à ces derniers la fréquentation du cégep français, rien n'empêcherait de retenir l'idée de la commission Larose, qui voulait faire du cégep non seulement «un lieu de maîtrise du français, mais aussi de perfectionnement de l'anglais et d'une troisième langue, un bouillon de culture québécoise dans toutes ses manifestations et une agora où se fréquenteraient les citoyens, toutes origines, appartenances ou allégeances confondues».
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mdavid@ledevoir.com
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