La commission Charbonneau complète son incursion dans le monde municipal avec des révélations désagréables pour les citoyens de Québec et de Gatineau : leurs villes n’ont pas été épargnées par la collusion.
Les firmes de génie-conseil qui ont adhéré à des cartels à Montréal et à Laval ont étendu leurs pratiques frauduleuses dans leurs filiales régionales afin d’éviter « une guerre de prix » à la suite de l’adoption de la loi 106 en 2002.
Marc-André Gélinas, directeur général en Outaouais pour la compagnie AECOM (ex-Tecsult), a été initié à l’art de la collusion par l’ingénieur lavallois Roger Desbois (aujourd’hui accusé de fraude). Quatre firmes (CIMA +, Genivar, Tecsult et Dessau) ont été invitées à s’entendre entre elles pour se partager des contrats annuels de 2,5 millions de dollars à Gatineau, entre 2003 et 2009.
Un des membres du cartel, François Paulhus (Genivar), a plongé dans l’embarras le maire de Québec, Régis Labeaume. Les révélations de M. Gélinas ont eu raison de sa candidature au sein d’Équipe Labeaume.
La collusion à Gatineau obéissait à une logique différente qu’à Montréal ou à Laval. Ni les élus ni les fonctionnaires n’étaient dans le coup. « Notre système, il n’avait pas d’indices, étant donné qu’on maintenait nos prix aux barèmes. Il n’y avait pas un “ pattern ” qui pouvait montrer qu’on se parlait », a expliqué M. Gélinas.
Les firmes se partageaient les contrats en fonction de parts de marché fixées d’un commun accord (celle d’AECOM était de 22 %). Pour éviter les ennuis, les ingénieurs conservaient sur des clefs USB les fichiers relatifs à la collusion. M. Gélinas avait mis au point une grille codée pour dicter l’ordre des soumissions à ses soi-disant concurrents.
Le manège a pris fin lors de l’achat de Tecsult par le géant américain AECOM, qui se montrait intraitable sur les questions d’éthique et d’intégrité. À l’instigation des avocats de l’entreprise, M. Gélinas a dénoncé ses homologues au Bureau de la concurrence et il a collaboré avec les enquêteurs de la commission. « J’avais sous-estimé la gravité de l’infraction », a-t-il dit, plein de regrets.
Le maire de Gatineau, Marc Bureau, s’est dit choqué. « Tout système de collusion est inacceptable, a-t-il commenté. Ce type de pratique va à l’encontre de toutes les valeurs de l’administration municipale. » Aucun élu ni aucun fonctionnaire n’ont participé à ce système, a assuré le maire, ajoutant que les prix des contrats n’avaient pas été gonflés.
À Québec aussi
En après-midi, un ancien vice-président d’AECOM, Patrice Mathieu, a révélé l’existence d’une entente entre les firmes de la région de Québec pour l’octroi des contrats municipaux. Tout comme M. Gélinas, il a rejeté d’emblée toute possibilité de collusion dans les contrats du ministère des Transports du Québec.
La collusion a débuté en 2004-2005 lors des appels d’offres pour les bassins de rétention de la rivière Saint-Charles, a relaté M. Mathieu. La Ville avait fractionné l’octroi des contrats pour favoriser la concurrence. Les firmes se sont entendues entre elles pour maintenir les prix à la hausse. « Ça a été long à s’installer, mais on en est venus à le faire », a dit M. Mathieu, dont le témoignage se poursuivra mercredi.
Après quoi le monde municipal pourra enfin souffler et se consacrer à l’élection de novembre. La commission étudiera les relations incestueuses entre les syndicats de la construction et le crime organisé. Le procureur en chef, Sonia LeBel, a indiqué qu’il est nécessaire d’examiner la vulnérabilité des syndicats à l’infiltration par le crime organisé.
La commission s’intéressera notamment à l’intimidation et à l’extorsion pratiquées sur les chantiers, de même qu’à la présence des « motards criminels » (c’est-à-dire les Hells Angels) dans l’univers syndical, entre autres avec le témoignage d’un enquêteur de la Sûreté du Québec (SQ), Alain Belleau.
Avec Gaétan Pouliot
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