Contestation judiciaire de la loi 21: la logique du régime

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Bastien : « Au nom des libertés fondamentales, on s’attaque à notre culture, on s’oppose à nos choix collectifs, on nous traite d’intolérants, de racistes, de nazis, d’islamophobes et j’en passe. »


Le 2 septembre dernier, lors du débat à TVA, le chef bloquiste a déclaré que la loi 21 continuera d’être contestée avec la complicité des fédéraux, peu importe le résultat de l’élection. La future loi 96, qui reconnaîtrait la nation québécoise dans la constitution, subira le même sort, disait aussi Yves-François Blanchet. Il faisait référence au Programme de contestation judiciaire (PCJ), qui nous coûte 5 millions par année. 


En vertu de celui-ci, Ottawa verse de l’argent à des groupes qui s’opposent en cour aux lois identitaires québécoises.


Le PCJ reflète la logique du régime de 82. Si son ampleur a varié au fil du temps, il a été maintenu autant par les libéraux que les conservateurs.


L’idée est ici d’utiliser la constitution contre les lois identitaires québécoises et elle remonte à l’adoption de la loi 101. Comme cette législation était très populaire, Pierre Trudeau n’a pas osé l’attaquer de front, par exemple en utilisant le pouvoir fédéral de désaveu. Il a opté pour une approche plus discrète mais plus hypocrite: financer les groupes s’opposant à la Charte de la langue française, et ce pour qu’ils puissent la faire invalider par les juges des tribunaux supérieurs, tous nommés par Ottawa.


La Loi constitutionnelle de 1982 constitue à cet égard le coup de maître de l’ancien premier ministre. Avec ses articles sur l’éducation, la langue et le multiculturalisme, la charte, qui nous a été imposée contre notre volonté et qui s’applique dans nos champs de compétence exclusifs, est taillée sur mesure pour permettre aux magistrats fédéraux d’invalider des lois comme la loi 101, la loi 21 et bientôt la loi 96, tout cela sans que le gouvernement fédéral ait l’air de s’en mêler.


L’illusion du Canada bilingue


Cette mécanique maintient par ailleurs l’illusion que le Canada est un pays bilingue où les francophones peuvent vivre partout, ce qui réduit le Québec au rang de province comme les autres. Pour ce faire, le PCJ donne de l’argent à une minorité francophone d’une autre province, où le français en est réduit à une situation de survivance folklorique. Le plus souvent, les francophones du coin feront un gain en cour, car la charte penche en leur faveur.


Le gain en question ne changera rien à l’assimilation fulgurante du groupe de francophones en question. Il permet toutefois aux fédéraux de dire que le français fait des avancées partout au Canada. En plus, chaque victoire des francophones hors Québec sert ensuite les Anglo-Québécois pour contester la loi 101, ces derniers réclamant pour eux-mêmes ce que nos frères des autres provinces ont obtenu. Tout cela bien sûr alors que, comme partout au Canada, c’est la culture française qui est menacée au Québec.


Multiculturalisme


Le PCJ sert aussi à faire la promotion du multiculturalisme canadien, inscrit dans la charte. Cette disposition a pour but de nier l’existence de notre nation en nous réduisant à une minorité culturelle parmi d’autres. Or, la loi 21 renforce le caractère distinct du Québec, ce qui bien sûr s’oppose à la logique du régime. Tout naturellement, certains adversaires de cette législation se sont tournés vers le PCJ pour l’attaquer. Tous les opposants invoquent par ailleurs la charte canadienne. Le printemps dernier, celle-ci leur a déjà permis d’obtenir partiellement victoire en Cour supérieure.


Parallèlement, il est impossible de défendre la différence québécoise dans le régime canadien en se tournant vers le PCJ. Personne à ce jour n’a réussi, par exemple, à obtenir des fonds pour défendre la loi 101 ou la loi 21. Voilà pourquoi le Bloc doit profiter du débat sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles à Ottawa pour demander aux autres partis que le Québec soit exclu de ce programme.


Effacer notre culture


Au bout du compte, on retiendra que tout est fait pour affaiblir et effacer la culture de la plus grosse minorité nationale du Canada. Le plus ironique de ce procédé reste le fait qu’il est mené au nom d’un noble combat pour la défense des droits et la protection des minorités religieuses, des francophones des autres provinces et des Canadiens anglais du Québec. Ces derniers ne sont pas présentés ici pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire les représentants de la majorité canadienne-anglaise chez nous, un groupe qui a exploité le Québec pendant des générations en reléguant nos ancêtres au rang de porteurs d’eau.


Dans le Canada de la charte, les anglophones d’ici sont plutôt dépeints comme une pauvre petite minorité dont nous piétinons méchamment les droits en oppresseurs que nous sommes.


Telle est bien la logique du régime. Au nom des libertés fondamentales, on s’attaque à notre culture, on s’oppose à nos choix collectifs, on nous traite d’intolérants, de racistes, de nazis, d’islamophobes et j’en passe. Tout cela parce que nous aspirons simplement à survivre et à nous épanouir comme peuple dans notre propre pays.


Frédéric Bastien, historien



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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.





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